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Max | Dis Yury Vlasov, t'es où ?

Publié le 11 juin 2019 par Aragon

peau 007 (2).JPGQuand j'étais môme à la ferme, le tonton avait fabriqué des haltères "olympiques" avec la barre d'un essieu de charrette à boeufs et il m'avait dit de m'entraîner, de soulever en arraché, épaulé-jeté... Il connaissait les termes et les techniques, faut dire qu'il adorait le sport, tous les sports pratiquement, il pratiquait aussi : la course de fond, le basket - il avait gagné deux fois la Coupe des Landes avec Castel-Sarrazin - la boxe, il était dingue de Cassius Clay, comme il était profondément communiste ses références étaient souvent russkoffs et pour les "haltères olympiques" il m'avait dit de faire comme Yury Vlasov qui avec Cassius et Federico Bahamontes était son idole. Quand j'ai vu sa fabrication j'étais dubitatif, j'avais onze douze ans je sais plus, j'ai essayé de soulever le curieux objet à la barre carrée qui était difficilement pognable dans les mains et bien sûr impossible de lever d'un centimètre. À quatorze ans je la levais cinquante fois d'affilée en arraché, j'étais costaud, les travaux à la ferme te rendent vite balaise, arbres qu'on allait scier à la main au passe-partout dans le bois, sacs de blé et maïs jetés sur les épaules montés à l'échelle au grenier...

Aujourd'hui j'aurais presque de la difficulté à sortir de mon placard ma boîte de riz Basmati, je vois / sens mon corps se rétrécir, se racornir, s'affaiblir, s'ossiser, mon éventration comme une énorme bulle de gomme à mâcher, une fatigue bizarre sourde et vicelarde s'insinuer à l'intérieur, le règne du seigneur Tramadol dose XXL, la peau de partout en toi en mille plis, peau que mes doigts, parfois, s'efforcent vainement de déplier...

En rentrant de Mayotte en 2004 je me souviens avoir pesé quatre-vingt-quinze kilos (y'avait un peu d'excès à ce moment-là pour mon mètre soixante-dix), j'en fais ce matin presque quarante de moins...

Le cancer est une plante carnivore, une Drosera tiens, elle te chope insidieusement et te vide de ta substance. Alors branle-bas de combat à l'hosto, l'équipe oncologue te dit de manger, de ruser en faisant plein de petits repas, de prendre des compléments alimentaires hyper caloriques, bullshit que tout ça quand tu peux pas tu peux pas, un point c'est tout. Quand tout est effort surhumain, quand tout est pénible, quand la vue d'un super bon pat que tu adorais avant te fait gerber, ils peuvent tous causer, la Drosera te suce...

Je pense à mon époque vlasovienne, mon ami Quignard écrit si justement que tous les matins du monde sont sans retour, si évident, on traverse mille époque dans une vie, mille et mille stratifications en nous, on est comme une tranche géologique. Aujourd'hui est mon époque drosérienne, mentalement je sais que je suis toujours capable de dire à cette salope qu'elle ne me sucera pas ad vitam aeternam, qu'elle verra bien - bientôt - qui est le patron, le maître d'équipage, le cavalier, ah les amis si vous saviez ce que je ne pourrais jamais vous décrire, vous expliquer, ce que je veux que jamais vous ne viviez...

Le cancéreux malgré lui entre un jour dans une nuit polaire, ce que François Couperin le Grand a pu traduire (par quel mystère ?) sur une partition musicale, il entre dans une pièce sombre pour entendre sa leçon de Ténèbres...

Demain je veux entrer dans une autre pièce, lumineuse celle-là, chanter avec Graeme, avec vous, tous ensemble will be fine et demain sera bien...

Quel Everest physique et mental un cancer, putain de nom de dieu de bordel de marde, quel Everest !!!


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