Le 16 juin 2019, quatre plasticiens, Ernest Breleur, Julie Bessard, Claude Cauquil et Valérie John étaient réunis autour d’une table ronde à la Fondation Clément pour débattre des pratiques plastiques contemporaines. Après s’être brièvement présentés, ils ont expliqué leurs démarches autour de quelques questions.
Ernest Breleur

Plasticien mais aussi Professeur et directeur pédagogique de l’Institut d’Arts Visuel, avec une pratique artistique en évolution permanente, qui passe de la peinture la plus traditionnelle à d’autres types de représentations.
Julie Bessard

Je pratique à la fois la peinture, l’installation, le volume, un certain dessin contemporain. J’ai toujours travaillé en même temps je créais. La création au cœur de ma vie. Que vous pour ne pas proposer un résumé de CV trop âpre ? Depuis quelques années je travaille globalement, uniquement avec le pastel à l’huile, un matériau très coloré, très charnel et très exigeant et en même temps, j’essaie de maintenir d’autres pratiques. En solitaire je travaille la peinture, en équipe, je travaille l’installation.
Valérie John

Plasticienne, professeure, née en Martinique. Mais j’ai beaucoup vécu hors de la Martinique Et je crois que cela fait partie de ce que je suis en tant que créateur. J’ai quitté la Martinique à l’âge de seize ans. J’ai suivi à Paris des études d’arts visuels dans la perspective d’enseigner l’expression plastique, mais des études à la fois de praticienne et de théoricienne, puisque pour moi c’était fondamental. Au moment de définir mon sujet de recherche à l’école doctorale, je me pose la question du positionnement comme originaire de la Martinique, de la Caraïbe.
Après je décide donc de tout arrêter et de partir vivre quelques temps au Sénégal et ça va véritablement là être le lieu déclencheur de ma démarche artistique. Depuis que je suis revenue en Martinique, depuis 1995, je tisse mes œuvres avec un matériau unique des papiers recyclés. Donc effectivement, ma problématique c’est peindre avec quoi, peindre comment, quand on appartient à cet espace-là et quand on veut remettre en question la peinture telle qu’elle vous a été enseigné aux Beaux –arts pour définir sa propre écriture. Donc quoi faire et avec quoi ? C’est vraiment ça qui m’a taraudé et qui a déterminé le titre de mon travail de recherches « Errance du lieu, dépaysement et rapiècement ». C’est depuis 1995 et aujourd’hui encore , la pierre angulaire du travail que je mène.
Claude Cauquil

Je suis originaire du sud de la France. J’ai une formation d’Enseignant en Arts Appliqués. Mais à la fin de mes études, j’ai décidé de privilégier le travail en atelier, donc je n’ai pas enseigné. En atelier, j’ai connu, on va dire, une bonne vingtaine d’années d’errance, c’est-à-dire où mon travail ne suffisait pas à me nourrir, donc je me suis investi dans des travaux alimentaires . Et puis maintenant, depuis l’an 2000 à peu près, je vis uniquement de ma production artistique et je travaille essentiellement autour du portrait, même si parallèlement je mène d’autres expériences , du Land Art par exemple, que je ne montre pas ou des photographies qui restent des jardins secrets.
Pour vous quatre, qu’est-ce que peindre aujourd’hui , compte tenu de la porosité des formes artistiques ? Comment est-ce qu’on peut peindre aujourd’hui au XXIe Siècle ?
Julie Bessard

J’aurais retourné la question : comment ne peut-on pas peindre ? Comment avec et malgré les virages techniques et technologiques, la croissance mondiale, la dispersion, la multiplication de tous ces artistes, liée à une ouverture de la possibilité de peindre, comment ne doit -on pas peindre ? Aujourd’hui, tout le monde peut aller dans un magasin, acheter de la peinture et peindre. Mais peindre, ce n’est pas juste manipuler le matériau. Pour moi, j’ai quelque chose à dire dans ce monde aujourd’hui et je vais le dire avec les moyens qui me semblent pertinents. Bien sûr, on peut se questionner sur le fait qu’on n’est pas innocent- personne ne l’est- la peinture n’est pas innocente. La peinture se fait mondialement avec cette ouverture entre les gens, les civilisations, les mixités, donc je pense que chacun, dans sa culture, choisit un mode d’expression et ce mode d’expression nous confronte tous les jours à l’histoire de l’Art et à l’Art contemporain… et on se positionne, on se repositionne, on bifurque, en choisissant d’autres matériaux, en faisant des parcours diversifiés, ou en restant dans la même technique. Et je réponds, moi, la question « pourquoi je peins, ça, je ne l’ai pas encore résolue ». Moi-même je ne le sais pas. Merci.
Ernest Breleur

Peindre, c’est mener un projet, c’est ouvrir une réflexion, c’est installer une distance critique, par rapport aux différents mouvements, tout simplement parce qu’il est difficile d’échapper aux histoires. Quand on peint, quand on travaille on est confronté à tout ce qui a été fait. En même temps, il y a la recherche de sa propre singularité d’artiste. A partir de tout ça, se rendre compte, que dans toute l’histoire, avec les avancées techniques et technologiques, il y a eu un certain nombre de profonds changements. Donc je me positionne aussi de cette manière là, dans la nécessité de trouver une voix nouvelle. J’ai toujours eu cette volonté de trouver ma propre singularité, à la fois dans une distance par rapport à La Caraïbe, une distance par rapport à moi-même, à mes différentes avancées et toujours une distance par rapport à moi-même. J’ai été peintre, un pur peintre puis j’ai rompu avec la peinture tout simplement parce qu’il me semblait que la voie était désormais sans issue. Je suis passé à d’autres médium, mais aujourd’hui, je reviens à mes premières amours.
Alors aujourd’hui, d’une part je pense qu’il est très important de se poser cette question : comment peindre à l’aube du XXIe siècle, du fait que nos regards ont changé, les attentes aussi ont changé. Nous sommes dans un autre monde et cette question nous taraude tous les jours : comment peindre aujourd’hui ? D’ailleurs, y a quelque chose de frappant dans cette exposition Pictural , c’est que finalement il y a des œuvres qui sont plus traditionnelles , il y a d’autres œuvres qui sont sur différents territoires. J’en suis convaincu, les pratiques artistiques sont d’une grande porosité. Dire que les médiums se mélangent, je crois que c’est là que le nouveau peut apparaître. Il y a une difficulté à nommer ce que l’on fait aujourd’hui et moi je ne sais pas si je fais de la peinture, parce que j’utilise de la peinture ou des installations parce que j’utilise des objets. Il ne m’appartient pas de répondre à ces questions. Ce sont les les historiens d’art qui vont nommer les choses. Il nous faut suffisamment de recul pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui. En tout cas, il y a quelque chose qui fait que les pratiques sont tellement différentes au XXIe siècle.
Claude Cauquil

Peindre aujourd’hui, c’est comme peindre autrefois, comme hier et avant-hier. Avec la différence que nous sommes aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on utilise les matériaux d’aujourd’hui. La conception de l’image a totalement changé parce que la peinture autrefois , c’était quelque chose d’exceptionnel qui s’adressait uniquement à quelques classes sociales, même si c’est encore en partie vrai aujourd’hui . L’image c’était quelque chose de très rare. Maintenant l’image est devenue omniprésente, envahissante. Ça foisonne de partout et tout le temps. Donc déjà le rapport à l’image est tout à fait différent et pour les spectateurs et pour les peintres. Et puis au niveau des matériaux, des possibilités, ça a totalement changé. Avant, on peignait sur le vif ou d’après des modèles. Bon, enfin je parle pour la peinture figurative. Maintenant, nous disposons de banques d’images incroyables pour trouver les modèles. Les modèles en ateliers, c’est quelque chose qui est devenu extrêmement rare. En termes de culture, si on a besoin d’une référence en histoire de l’Art, on tape sur internet l’a tout de suite. Il y a une immédiateté, une rapidité d’accés à la culture et à l’histoire de l’art qui est fabuleuse et qui pour moi change totalement nos rapports à la culture.
Tu dis aussi que les avancées technologiques, notamment Internet, ont modifié ta façon de peindre.
Oui, elles influent sur mon processus de création. Dans un de mes tableaux, , il y a autant de travail réalisé sur mon ordinateur que devant le chevalet. C’est-à-dire déjà le choix de l’image, le choix de mon thème, parce que je peins essentiellement des portraits et que je m’attache aux harmonies de tons. Je commence par chercher une image de foule qui a une ambiance qui m’intéresse. Là, je zoome sur un personnage. Ce personnage, je vais l’isoler. Je vais tester sur ordinateur différents effets chromatiques, donc en gros je vais « monter l’image ». Donc je vais fabriquer mon image à l’aide des filtres d’ordinateur. Je vais modifier des couleurs, je vais en intensifier et tout ce travail de recherches, qui est très long, va se faire directement par le lien informatique. Et après, je fais une retranscription picturale sur toile où là, par contre, je me rapproche d’une technique beaucoup plus ancienne, je fais des agrandissements aux carreaux , comme les maîtres de la Renaissance. Voilà, c’est un grand écart entre les techniques.
Valérie John

