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Victime de son succès, la bio est menacée d'industrialisation

Publié le 28 juin 2019 par Bioaddict @bioaddict
Les fruits et légumes bio pourront-ils être cultivés hors saison sous serres chauffées ? Majoritairement, les producteurs s'y opposent vent debout. Mais des nouveaux acteurs de ce secteur y sont favorables et font pression. De l'issue de cette bataille dépendra l'avenir de l'agriculture biologique. Va-t-on modifier ce mode de culture et contrevenir à ses principes de base pour des raisons commerciales ? Victime de son succès, la bio est menacée d'industrialisation ¤¤ Les fruits et légumes bio pourront-ils être cultivés hors saison sous serres chauffées ? Une décision doit être prise le 11 juillet par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), qui gère le label bio en France. OK
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La bataille fait rage sur la question de produire ou non des fruits et légumes bio hors saison sous serres chauffées. Jusqu'à présent, ce type de culture est très marginal en France. Les producteurs bio appellent à une interdiction rapide avant qu'il se développe. Une décision doit être prise le 11 juillet par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), qui gère le label bio en France. Il doit dire si le règlement bio européen permet dans l'hexagone la culture des fruits et légumes sous serres chauffées. Ce règlement autorise, à la demande des pays nordiques et pour des questions climatiques, que des cultures soient possibles sous serres chauffées. Mais il affirme clairement qu'un des critères de base de la production biologique est de respecter les saisons. Certains producteurs français ne l'entendent pas ainsi et agitent la vieille rengaine de la distorsion de concurrence entre pays de l'UE.

Une décision qui s'impose déjà reportée deux fois

Que va décider l'INAO ou plus précisément son Comité national de l'agriculture biologique (Cnab) ? La fièvre monte à ce sujet car la décision a déjà été remise deux fois. Et il se dit qu'elle pourrait l'être une troisième fois en juillet. Et pendant ce temps des serres se montent ou se convertissent au bio en Bretagne et Pays de Loire. Une fois en activité, il sera difficile de faire marche arrière.

Sous la pression, l'INAO tarde à entériner sa propre analyse. L'institut a déjà jugé incompatibles en 2018 les principes de la bio avec la culture hors saison de fruits et légumes sous serres chauffées.

Dans le même temps, les chantres des serres chauffées prennent du pouvoir. C'est le cas au sein de l'interprofession des fruits et légumes où le nouveau co-rapporteur du comité bio élu fin mai, Bruno Vila, pratique lui-même ce genre de culture. Le co-rapporteur en place, opposé aux cultures sous serres chauffées, a démissionné peu avant.

Le pouvoir des producteurs est très limité

Il faut savoir que les interprofessions agricoles sont puissantes. Leurs membres votent des décisions qui, une fois validées par le gouvernement, s'appliquent à tous. Problème : le pouvoir des producteurs y est très dilué et parfois même inexistant. En effet, ces interprofessions réunissent tous les membres d'une filière de production. Exemple pour les fruits et légumes : les fabricants de plants, les fournisseurs de pesticides et d'engrais, les producteurs, les conditionneurs, les coopératives, les transformateurs, les distributeurs... Très souvent, les voix des producteurs n'y sont pas majoritaires. L'arrivée du nouveau co-rapporteur ne va pas peser dans le bon sens. Et ce vote, juste avant une prise de décision cruciale, n'est pas vécue comme un hasard par les producteurs bio de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (Fnab) qui ont décidé de quitter l'interprofession. Ils sont soutenus par des structures historiques du secteur comme Synabio (transformateurs bio), Forébio (transformateurs et distributeurs) et le réseau Biocoop (coopératives de consommateurs bio). Depuis lors, ils alertent sur les dangers d'une industrialisation de la bio. Après la culture sous serres chauffées, quelles autres décisions contraires à ses principes pourraient miner le mode de production biologique ?

100 000 litres de fuel par hectare en serres chauffées

Jusque-là très neutre, le ministre de l'Agriculture s'est déclaré peu favorable aux serres chauffées le 18 juin lors d'un séminaire international organisé par l'Agence bio. Mais il reste en dehors de la décision qu'il confie aux professionnels. Il serait difficile pour le gouvernement de justifier un " oui ", en se disant engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique. Car produire sous serres chauffées émet beaucoup de CO2. Une production de tomates, plantée en février et récoltée en mai, nécessite la consommation de 100 000 à 150 000 litres de pétrole ou équivalent gaz par hectare, explique Jean-Paul Gabillard, secrétaire national de la Fédération nationale de l'agriculture biologique en charge des légumes. Il appuie notamment cette affirmation sur un compte-rendu d'essai mené à Pleumeur Gautier en Côtes d'Armor.

La facture est donc lourde pour le climat. Aujourd'hui, les acheteurs de produits bio, mieux informés, soucieux du devenir de la planète, en sont conscients. Veulent-ils vraiment des tomates ou de fraises en hiver ? Rien n'est moins sûr. Des enseignes bio refusent d'ailleurs d'en vendre et expliquent pourquoi. Alors sont-ce plutôt l'agro-industrie et la grande distribution qui voient dans ce type de produits labellisés bio une opportunité pour doper la croissance des ventes et la hauteur des marges ? En ce cas, elles ne sont pas conscientes qu'elles vont à contre-courant des attentes des consommateurs bio.

Anne-Françoise Roger


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