D’abord, je suivais la formation traditionnelle qui m’initiait à la philosophie des fixations Look, à savoir tout ce qui les rendait supérieures aux autres, comme leur grande course élastique, leur plaque tournante placée anatomiquement et leur étanchéité assez unique.
La prochaine étape logique aurait été de me familiariser avec les archives du service de course dont je devenais le nouveau responsable, mais il n’existait rien du tout à propos de l’activité « Compétition ».
Un vide total, c’est tout. Pas de fichiers, pas de carnet d’adresse, pas de rapports, pas de budget, pas non plus de correspondance avec les différentes fédérations de ski ; strictement rien.
Plancherel, l'ancien responsable, était un sous-traitant indépendant résidant à Kreuzlingen, en Suisse, pour lequel la séparation avec Look s’était faite en des termes moins qu’amicaux. Madame Beyl m’avait du reste interdit tout contact avec René Plancherel, ce qui n’était pas du tout fait m’aider.
Le seul élément que j'avais trouvé, lié à l'activité course, étaient quelques copies récentes du periodique Ski Racing, une publication américaine à laquelle le service export était abonné. Je n’arrivais pas à comprendre cette absence d’information et j’en avais conclu que c’était la façon dont Look fonctionnait, ce qui s’est du reste très vite avéré vrai.
Sans le vouloir, je venais de me mettre dans une situation catastrophique où j’aurais été voué à l'échec total si je n'avais pas eu une détermination acharnée, une généreuse dose de bon sens, pas mal de chance ainsi que beaucoup d'énergie et de créativité.
C’est là que j’ai immédiatement commencé à contacter les différents techniciens que nous avions en France, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, aux États-Unis et au Canada. Sauf pour la France et l'Amérique du Nord, tous ces techniciens avaient été embauchés et mis en place par mon prédécesseur, René Plancherel, alors qu'il était chargé d’administrer le programme.
Chacun d’entre eux avait sa propre vision des choses, de ce que sa mission devrait être, et n’était pas nécessairement au courant des objectifs de Look en matière de promotion et de marketing. De plus, ces gens craignaient la maison-mère, avaient beaucoup à perdre dans ce changement et ne voulaient surtout pas m’avoir sur leur dos. Bref, les parfaits ingrédients pour échouer.
Ce que j’ai vite appris, c’est que sous Plancherel, le budget de course de Look avait explosé à un niveau insoutenable. En dollars, la course coûtait à la société 1 million par an contre un chiffre d'affaires autour des 12 millions, sans compter les dépenses normales en publicité, promotion et marketing.
Au même moment, Look sentait la pression de Salomon qui se mettait à fabriquait des produits très attrayants, à des prix plus abordables et surtout beaucoup plus pratiques, et qui allait bientôt dominer l’immense marché que constituaient les skieurs débutants et moyens.
Garder des coureurs comme Gustav Thöni ou Annemarie Moser-Pröll sur le produit coûtait très cher et dans un environnement concurrentiel beaucoup plus sévère, cet argent dépensé sur la course aurait mieux profité si il avait été alloué à la recherche et au développement de nouveaux produits.
Bien sûr, je n’ai jamais pu découvrir pleinement la dichotomie qui existait entre le coût du maintien d’un programme de course et la gravité de la situation financière dans laquelle se trouvait l’entreprise. On m'a simplement donné un budget et demandé de le suivre en essayant d’économiser au maximum.

On m'avait alors demandé d'analyser l'ensemble de ce département et ma recommandation avait été de mettre en commun nos services techniques sur le terrain (poste extrêmement coûteux) avec un autre fabricant de matériel, comme par exemple Rossignol. Ce n’était pas du tout du goût de M. Beyl, qui valorisait farouchement l’indépendance de sa marque et a préféré décapiter l’ensemble du programme de course, à l’exception toutefois de l’Italie et de la France.
J'ai malgré tout survécu à cette importante coupure car Look m'avait alors offert un poste de chef de produit à Nevers - lieu que je détestais – mais qui prolongerait de manière providentielle ma carrière chez le fabricant de fixations de ski.