480
« Je me souviens »,
souvenirs datant d’entre 1953 et 2019,
Perec m’en a donné le goût et l’envie,
je me suis dit pourquoi-pas moi ? J’ai essayé...
Si vous voulez, je vous invite à mettre en route
une zik d’Erik Satie (Gymnopédies par exemple)
pour la juxtaposer au texte pendant que vous lirez ces
« Je me souviens »
Satie colle mieux qu’Uhu
et que quoi et qui que ce soit, je le pense,
à mes (des) bribes de souvenirs…
49/
je me souviens de Roger Gonot qui habitait Sallespisse, professeur au lycée d’Orthez, écrivain et poète, essayiste, ami des muses, ami tout court, qui m’a fait découvrir le poète René-Guy Cadou, j’avais quatorze ans, vers la fin de sa vie il m'a fait l'honneur de me demander de le tutoyer
50/
je me souviens du poète René-Guy Cadou et d’Hélène sa veuve, rencontrée à Orléans en 1981, qui m’a confié oralement ses souvenirs très personnels, je me souviens des traits de son visage, son sourire, sa voix, sa propre poésie, magnifique
51/
je me souviens de mon arrivée en Amérique en 1974 à l’aéroport Kennedy, il y avait du vent, des mouettes et tout mon enthousiasmant bonheur sur le tarmac
52/
je me souviens du Lac Saint-Jean, Québec, ou Piékouagami (eau plate) en langage indien de la tribu Porc-Épic (Montagnais)
53/
je me souviens de Péribonka, Québec, le pays de Maria Chapdelaine
54/
je me souviens des Chutes-à-l’Ours, Québec
55/
je me souviens de Jean-Jacques Dubois, rencontre exceptionnelle au lac Saint-Jean, Québec, en 1977, il parlait aux animaux sauvages qui venaient s’asseoir en face de lui près de son chalet au petit matin, fabriquait naturellement du mobilier araméen, émanait littéralement et totalement l’amour universel et n’était pas gourou bidon mais un simple homme, un homme simple
56/
je me souviens de ma première moto, une Yamaha 500 XT avec son extraordinaire réservoir en acier poli, achetée en 1981
57/
je me souviens de mon Harley Davidson et de toutes mes autres motos
58/
je me souviens de l’île Tristan da Cunha où je veux aller mais c’est très très très compliqué pour s’y rendre
59/
je me souviens de l’océan Atlantique dans les Landes, tantôt argent pur, plomb, or, azur
60/
je me souviens d’Uluru la montagne rouge sacrée des aborigènes, au cœur de l’Outback australien, gravie en solitaire en 1992 au sommet de laquelle me rejoindra un autre marcheur solitaire, un grand gars blond, très doux et très gentil qui venait de Philadelphie et auquel je parlais de Woody Guthrie, du « temps des rêves » aborigène, de la beauté du minéral
61/
je me souviens de Pora Pora, mai te pora, que les popas appellent Bora-Bora
62/
je me souviens de ma pirogue à balancier à Pora Pora en 1991, la traversée en solitaire au tout petit matin du lagon pour aller vers le motu-piti-utu sur lequel je retrouvais « mon » marae, des milliers d’années plus tard
63/
je me souviens de tous les visages des filles que j’ai aimées
64/
je me souviens de Sappho de Mytilène jeune de 2500 ans, sa poésie, ses amours, sa liberté… Ses vers : Tu as bien fait de venir, je n'osais plus, toute languissante, toute déchirée, toute moite, fiévreuse, chair consumée... espérer ton retour, et tu es là ! Je te vois marcher, gracieuse, vaporeuse comme l'aurore, et je veux toucher ta gorge d'un doigt léger, ta bouche où perle une rosée...
65/
je me souviens de Jean-Michel Folon (1934/2005), ses affiches extraordinaires, ce générique sur A2 et cette musique envoûtante…
66/
je me souviens de Sacajawea la femme-oiseau de la tribu shoshone, accompagnatrice de l’expédition Lewis & Clark (1804 à 1806), expédition qui hélas provoqua la découverte totale de l’Amérique du Nord, j’ai commencé à écrire une pièce de théâtre sur elle
67/
je me souviens du jour de la mort de Jacques Prévert, c’était le lundi 11 avril 1977, j’émigrais ce jour-là pour le Québec, j’étais dans un bistrot gare du Nord à Paris, en partance, attendant un train qui m’emmènerait vers l’aéroport de Bruxelles, j’ai entendu l’annonce de sa mort à la radio dans ce bistrot, ça m’a rendu si triste car Prévert était le premier de mes poètes de cœur
68/
je me souviens de Georges Brassens, Georges tout court
69/
je me souviens de Woody Guthrie, de sa guitare sur laquelle était toujours collé un papier qui disait qu'elle « tuait » tous les fascistes
70/
je me souviens de Jack Kerouac et de Neal Cassady, solaires et poussiéreux
71/
je me souviens de mes enfants, bébés, cette incroyable et indescriptible impression que je ressentais, les voyant, vivant avec eux
72/
je me souviens de la pub « Bébé Cadum », de la divine odeur de ses savons
73/
je me souviens des piles Wonder que ma mère vendait dans sa petite épicerie d'Amou et qui ne s’usaient bien sûr que si l’on s’en servait
74/
je me souviens (en partie) des noms des chevaux, vaches, canards et chiens environnant mon enfance & adolescence : Natadja, Zerbino, Blanche-Neige, Rip, Florine, Rita, Rien qu’un, la Grise, Caroline, Chocolat, Pomponnette, Wolf, Finette, Iris, etc.
75/
je me souviens de mon chat « Toutou », qui n’était pas un chien ni un chat mais en réalité une chatte et que je retrouverais un jour, je le sens, je l’espère
76/
je me souviens du pog de Montségur en catharie, gravi un jour de solstice d’hiver avec de la neige jusqu’au ventre, en 197. (?)
77/
je me souviens de la garrigue, son odeur, ses pierres, vers la chapelle de Saint-Michel-du-Larzac
78/
je me souviens du Larzac, de la Couvertoirade, du cirque de Navacelles, le Larzac mon lieu par définition, mon seul lieu unique au monde
79/
je me souviens des sentiers pyrénéens, la caillasse, les paysages, les lacs, la montée vers 3000 dans le Louron
80/
je me souviens n’avoir jamais aimé la discipline, l’ordre, les cons
81/
je me souviens de ma profonde émotion à l’écoute de la « Marche Consulaire » sur la base de Châteauroux La Martinerie ex OTAN en 1969, j’étais élève sous-officier ESOA et anti militariste, à l'époque, enfin, difficile de dire anti militariste, mon modèle de vrai militaire était le légionnaire de 2ème classe et le Général Jacques Pâris de Bollardière, héros de guerre, ami de la paix et de Lanza del Vasto
82/
je me souviens de mon pistolet-mitrailleur MAT 49/56, j’étais tireur d’élite, j’adorais tirer au PM, j’adorais tirer tout court, je le sais maintenant, non par envie de « tuer » mais par la jouissance incroyable ressentie quand on vise une cible… un objectif… très loin, quand on pense que c’est infaisable de mettre une balle (sa vie ?) dans un minuscule cercle noir (son but ?), là-bas, au loin, à l’horizon
83/
je me souviens de ma Jeep dans une base de l'Est de la France, d’être sorti d’énormes ornières de boue, boue qui arrivait à rentrer dans l’habitacle et la Jeep qui rugissait, se débattait, s’ébrouait et s’en sortait
84/
je me souviens avoir chassé avec un fusil que mon père m’avait donné, un Winchester modèle 1912, semi-automatique, j’étais frustré car le système d’approvisionnement ne fonctionnait plus et j’étais donc réduit à utiliser un fusil à 1 seul coup, mon père, armurier pourtant, ne l’a jamais réparé, mais ce mot Winchester gravé sur le canon me faisait rêver, c’était l’Amérique
85/
je me souviens avoir haï très vite la chasse peu de temps après avoir commencé à la pratiquer
86/
je me souviens de la forêt de mon enfance qui poussait alentour de la ferme de mes grands-parents maternels à Castel-Sarrazin, ses pins, sa profondeur, m’y être totalement immergé dans ma petite enfance
87/
je me souviens du Jeu de cent mille francs avec Roger Lanzac au cirque Pinder dans les années cinquante écoutés tous les jours à la radio familiale du midi, je l’écoute toujours sous sa forme moderne « Jeu des Mille Euros » sur France Inter, tous les jours à 12h45, j’adore, j’ai essayé 2 fois d’y participer, en vain
88/
je me souviens, me souviendrai toujours de Vézelay, la colline inspirée
89/
je me souviens de Cyrano de Bergerac pour moi le plus beau et difficile rôle du théâtre français, le comédien doit intégrer 1600 alexandrins !!! J’aimerais l’interpréter, c’est mon rêve fou. J’ai appris les tirades des nez et des non-merci avec un plaisir jouissif… Cyrano de Bergerac est une des pièces les plus difficiles à jouer du répertoire français. Cinq actes, cinquante personnages, des changements de décors ahurissants... Cette Pièce ! Quatre mille représentations par la Comédie Française, traduite dans une multitude de langues, tout à la fois farce, drame, comédie classique et moderne, trois mille vers pratiquement tous en alexandrins dont la moitié pour le seul rôle de Cyrano, c’est un monument...
90/
je me souviens des « Nombres » pièce de théâtre d’Andrée Cheddid dans laquelle je jouais le rôle de Dan, l’ânier, en 1968, j’étais au lycée à Pau, j’aurais voulu intégrer le TNP de Vilar, j’avais des ailes de 16 ans, à Pau il y avait le TPP (Théâtre Populaire des Pyrénées) mais ça c’est une autre histoire
91/
je me souviens du « Cercle de craie Caucasien » de Brecht, à la télé noir et blanc, années soixante, regardé à Castel-Sarrazin chez mes grands-parents, émotion incroyable devant cette pièce, j’avais douze ou treize ans
92/
je me souviens de la messe en si de JS Bach donnée en la basilique de Vézelay en 1973 je crois
93/
je me souviens de « This land is your land » chanson de Woody Guthrie, pour moi, chanson absolue
94/
je me souviens des chevaux de Brigitte dans sa propriété de la « Ballière » près de Gien en Sologne, le vieux Picpus (25 ans), Belle-Étoile que je montais, Hermine et Niagara, d’autres dont je ne me souviens plus des noms
95/
je me souviens des traces dans la neige au Québec, dans le bois, les dindons sauvages perchés à 20 mètres de haut dans les épinettes, ah, la raquette, l'hiver, au Québec, que la raquette, pas ces engins anormaux, monstrueusement bruyants, appelés « skidoo »
96/
je me souviens du temple de Borobudur en Indonésie composé de centaines de cloches de terre, ajourées, contenant chacune un Bouddha le tout en forme de cloche unique et immense et de ce papillon bleu-noir posé tout d'un coup sur ma main quand je fus assis sur le haut du temple après une longue ascension
97/
je me souviens des aurores boréales et des bleuets du Lac Saint-Jean
à suivre...