Magazine

Max | Je me souviens 3

Publié le 09 juillet 2019 par Aragon

480

« Je me souviens »,

souvenirs datant d’entre 1953 et 2019,

Perec m’en a donné le goût et l’envie,

je me suis dit pourquoi-pas moi ? J’ai essayé...

Si vous voulez, je vous invite à mettre en route

une zik d’Erik Satie (Gymnopédies par exemple)

pour la juxtaposer au texte pendant que vous lirez ces

« Je me souviens »

Satie colle mieux qu’Uhu

et que quoi et qui que ce soit, je le pense,

à mes (des) bribes de souvenirs…

98/

je me souviens de Hatane Kaudré, mon ami et frère kanak de Doking, Lifou, Îles Loyauté, il a quatre-vingt-un ans en 2019, quand je dis frère, c’est

99/

je me souviens de Doking, personnes, âmes, couleurs et reflets vrais, Hatane m'a dit que j'aurai toujours ma place dans la Grande Case de la tribu, il m'avait dit aussi que le temps ne comptait pas, il est une notion introduite par les blancs

100/

je me souviens de pilotes de F1 que j’ai passionnément aimés : François Cevert et Jacky Stewart, des victoires de Stewart, je l’ai souvent vu courir, je l’ai vu gagner sur le magnifique circuit de Charade en montagne, près de Clermont-Ferrand en 1972, je m’en rappelle, je suis même rentré chez moi en faisant plus de 150 kms dans le noir ce soir-là, j’étais en panne de phares, j’ai roulé comme un dingue, à l’adrénaline en suivant les voitures qui me précédaient, folie… mon dieu quand j’y pense

101/

je me souviens des obsèques de François Cevert qui s’était tué le 6 octobre 1973, sur le circuit de Watkins Glen, État de New York, États-Unis, c’était à Vaudelnay près de Saumur, j’y étais, j’ai lu dans la presse dans les jours qui suivaient : «François Cevert , une merveille de la nature , doux, cultivé , musicien, excellent pianiste, courageux et fabuleux pilote, un regard merveilleux, un sourire ravageur, quelle peine immense à l’annonce de ce maudit accident, de son décès, il est sûrement le plus bel ange du paradis...» 

102/

je me souviens de Christian Kyndt de Varennes, Yonne, mon pote, « Le Père »

103/

je me souviens de Daniel Huard de Varennes, Yonne, mon pote, à l’enfance et à la vie de David Copperfield (pas le magicien mais le gamin de Dickens), d'Huckleberry Finn, de Rémi de « Sans-Famille » et de Cosette réunis, une vie si dure, un mec si bien, un frangin, je pense souvent à lui, j'espère aller poser bientôt trois fleurs sauvages sur sa tombe à Ligny-le-Châtel, Yonne

104/

je me souviens du Mont-Tremblant, Québec, le chalet, la liberté, la pioche et les moustiques (clin d’oeil pour mon ami Pierre Latry)

105/

je me souviens de Caryl Chessman, de son bouquin, incroyable, glaçant, poignant, « Cellule 2455 couloir de la mort » lu quand j’étais en 6ème

106/

je me souviens de Christian Ranucci guillotiné à 22 ans aux Baumettes, qui disait à ses avocats, pitoyables Lombard & Le Forsonney qu’il avait « tiré le gros lot à la loterie du malheur »

107/

je me souviens de la Traction Avant noire 15/6 du curé-doyen Gabriel Lamaison d’Amou dans laquelle il « chargeait » 10 enfants pour aller jouer au basket, ou aller ailleurs, en balade, je ne me souviens plus, années cinquante début soixante...

108/

je me souviens de Fernand Raynaud en gala dans les arènes de Dax, sous la pluie, j'étais contre la scène avec Serge, Fernand Raynaud invectivant le public, lui disant que lui aussi il se mouillait, ceci quand le public commençait à vouloir refluer vers la sortie et ce, quelques jours avant sa mort dans un accident de circulation au volant de son coupé Rolls-Royce Silver Shadow, en septembre 1973, qui s’encastra dans le mur du cimetière de Cheix-sur-Morge, Puy-de-Dôme. Je ne sais plus où j’avais pêché qu’il avait une Rolls couleur rose… en tout cas le mur du cimetière porte une plaque sur laquelle est inscrit le seul mot « Heu...reux »

109/

je me souviens de Pif le Chien et de la chronique quotidienne d’André Wurmser qui s’intitulait « Mais, dit… André Wurmser » dans l’Huma chez mes grands-parents maternels, le journaliste Wurmser avait un pseudo rigolot qu’il utilisait de temps à autre en littérature : « Casimir Lecomte »

110/

je me souviens des surnoms donnés à certains illustres sportifs : le Taureau de Nay, l’Aigle de Tolède, le Mongol, Poupou, les Boni, le Lion de Swansea, la Locomotive tchèque, Brin d’osier, le Duc de Brive, Papillon, Godasse de plomb, l’Albatros, etc.

111/

je me souviens de « l’Écume des Jours » le seul bouquin dont je suis tombé physiquement amoureux

112/

je me souviens de ma collection de 1000 BD, bédéiste passionné suis

113/

je me souviens de Corto Maltese, j’ai toutes les BD, plusieurs grands portraits dans ma chambre, pour toujours je Corto

114/

je me souviens de Bouche Dorée, des femmes, de Raspoutine, Jack London, des chats, de Venise, des mouettes, chez Corto

115/

je me souviens d’Andreï Tarkovski, de son film troublant et mystérieux « Stalker », du verre de lait qui sous le regard de l'enfant, avance sur la table et tombe...

116/

je me souviens de son autre film « le Sacrifice » pour moi le plus beau film du monde

117/

je me souviens de « Voyage au bout de l’enfer / Le chasseur de daim » pour moi un autre plus beau film du monde

118/

je me souviens d’avoir mangé du foie d’orignal au Québec chez Jano & Pierre ce qui est exceptionnel car on le mange dans le bois et du crocodile en Australie, mais je n’ai jamais encore goûté la « poutine » québécoise ni le « haggis » écossais

119/

je me souviens des milliards et milliards de mouches dans l’Outback, le Centre Rouge de l’Australie, avide de ta sueur, ton sel, ta vie, te rendant fou si t’avais pas de quoi parer

120/

je me souviens de mes petits « comics » adorés et dévorés étant enfant et encore maintenant : Jim Canada, Buck John, Battler Britton, Bleck le Roc, Tartine, Akim, etc.

121/

je me souviens du Club des Cinq, d'Enid Blyton, bibliothèque rose, avec dans le désordre : Mick, Dagobert, Annie, François, Claude et pas Claudine sinon gare

122/

je me souviens de l’affaire Ben Barka, France d’État pitoyable

123/

je me souviens à l’époque, des forces obscures du « SAC » barbouzes gaullistes d’État en France, effrayant

124/

je me souviens des troubadours en Occitanie, au Moyen-Âge, de Jaufré Rudel et Bernat de Ventadorn en particulier

125/

je me souviens de « la dame à la capuche » de Brassempouy, première figure féminine sculptée au paléolithique il y a près de 25 000 ans sur une pointe de défense de mammouth, un ami, préhistorien éclairé et amateur, m’avait dit jadis que l’artiste « devait être follement amoureux de cette fille » pour la sculpter ainsi, avoir fait un tel chef-d'oeuvre

126/

je me souviens des frères Villas-Bôas, Orlando, Claudio, Leonardo, brésiliens, humanistes, indigénistes, formidables hommes de bien, d’un de leurs bouquins qui m’avait captivé, je ne me souviens plus du titre, j'aimerais tant le relire

127/

je me souviens de l’abbé Pierre qui gueulait sa rage publiquement en abritant les pauvres, les non logés, sous ses ailes d’ange dissimulées dans sa longue cape noire usée et ravaudée, de sœur Emmanuelle qui distribuait de l’amour et des capotes, de vrais saints

128/

je me souviens de Gabrielle Russier, broyée par la morale. Merveilleuse Gabrielle qui mourut d’aimer et du Président Pompidou qui, interrogé sur « l’affaire » à l'époque, cita au journaliste les vers d’Éluard : « Comprenne qui voudra, moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés »

129/

je me souviens d’Éluard (mort, le jour de mes 1 an) et de ses vers sur les femmes tragiquement et honteusement tondues à la Libération : « En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait des filles. On allait même jusqu’à les tondre. »

Comprenne qui voudra / Moi mon remords ce fut / La malheureuse qui resta / Sur le pavé / La victime raisonnable / À la robe déchirée / Au regard d’enfant perdue / Découronnée défigurée / Celle qui ressemble aux morts / Qui sont morts pour être aimés / Une fille faite pour un bouquet / Et couverte / Du noir crachat des ténèbres / Une fille galante / Comme une aurore de premier mai / La plus aimable bête / Souillée et qui n’a pas compris / Qu’elle est souillée / Une bête prise au piège / Des amateurs de beauté / Et ma mère la femme / Voudrait bien dorloter / Cette image idéale / De son malheur sur terre.

130/

je me souviens de Barbara, tout de Barbara, rien que Barbara, elle, la femme, la chanteuse, l’auteure, l’amoureuse, la magicienne, la comédienne, la femme qui chante

131/

je me souviens du film « Franz » de Brel, avec Barbara et Brel, je le garde éternellement plié en quatre, comme un mouchoir de soie rouge, sur mon coeur

132/

je me souviens, bouleversé, du « Grand Meaulnes » film d’Albicocco

133/

je me souviens du film « Nocturne indien » de Corneau, comme je me souviendrai toute ma vie de ses « Matins du monde » d’après le roman de Quignard et de l’histoire et de la musique à voix humaine de M. de Sainte Colombe

134/

je me souviens du film « le Quintette de Sven Klang » film d’Olsson que personne ne connaît, pourtant je n’ai pas rêvé pour qu’il me brûle encore à ce point, il a bien été tourné

135/

je me souviens du film « La légende du Saint Buveur » d’Ermanno Olmi adapté de la nouvelle éponyme de Joseph Roth, mon grand-père spirituel, avec Rutger Hauer dans le rôle du « buveur » en voie de sanctification, RH pour moi le plus grand comédien du monde (mais c’est un peu comme avec les hommes les plus forts du monde cités ici, il y en a un certain nombre chez moi)

136/

je me souviens du film « Blade Runner » de Ridley Scott avec entre autre comme comédien, Rutger Hauer dont j’ai parlé en 135, RH dans le rôle du « replicant » Roy Batty et son fameux et éternel (dans l’histoire du cinéma) monologue final, arrangé passablement par lui avec l’accord ému de Scott : «  I've seen things you people wouldn't believe... Attack ships on fire off the shoulder of Orion... I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhäuser Gate... All those moments will be lost in time, like... tears in rain. Time to die. »

« J'ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire... De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion... J'ai vu des rayons fabuleux... Des rayons C briller dans l'ombre de la porte de Tannhäuser.... Tous ces moments se perdront dans l'oubli... comme... les larmes dans la pluie... Il est temps de mourir. »

137/

je me souviens de la légendaire et formidable équipe de rugby de Dax en 1973, de sa défaite en finale du Bouclier de Brennus contre ces maudits tarbais, défaite dont aucun supporter, dont moi, ne s’est jamais remis

138/

je me souviens parfaitement du tremblement de terre d’Arette, Pyrénées-Atlantiques, le dimanche 13 août 1967 à 23h08, nous étions seuls ma mère et moi assis encore, malgré l’heure un peu tardive, autour la table de la cuisine quand tout s’est mis littéralement « à avancer en grondant » buffet, table, chaises, etc. je n’ai dit qu’un seul mot immédiatement à ma mère interloquée « C’est un tremblement de terre »

139/

je me souviens exactement de la même manière (avec ma mère, assis autour de la table) qu’en 138, mais quelques années plus tôt, de la mort de John Kennedy assassiné à Dallas Texas, le vendredi 22 novembre 1963, annoncée à la radio vers 18h30 / 19h00

140/

je me souviens que Fidel Castro dira dans un de ses discours fleuve que Kennedy était un bandit intelligent mais que Lyndon B. Johnson, son successeur à la Maison Blanche, est un bandit médiocre

141/

je me souviens de Josh Randall le chasseur de primes, héros solitaire dans le feuilleton télé « Au nom de la loi » fin années cinquante début soixante, du générique, du sourire un peu niais de Josh en fin de générique et surtout du fait qu’il ne portait pas le colt classique à la ceinture mais une arme incroyable que l’on appelait « randalette » avec les copains de l’époque, une Mare's Laig « Jambe de jument », carabine Winchester à canon et crosse sciés de calibre 44/40 modèle 1892, ça, pour les mômes que nous étions c’était du lourd

142/

je me souviens, début années soixante de Thierry la Fronde qui passait sur la seule chaîne de la télé française, on a beaucoup joué avec les potes de l’époque à Thierry la Fronde, mais ce collant ridicule que le réalisateur collait sur les miches de Jean-Claude Drouot, ça gâchait tout…

143/

je me souviens de la série télé « Janique Aimée », toujours début années soixante, mon dieu que cette fille en Solex me paraissait niaise, nunuche, BCBG et ridicule

144/

je me souviens de « Bonne nuit les petits » à la télé, j’adorais, tout comme le « Manège enchanté », extraordinaire de « pétillance » pour les petits que nous étions

145/

je me souviens de la chanson « Ballade en novembre » en 1967, Anne Vanderlove me sembla alors immédiatement l’archétype de la voix, l’archétype de la femme, elle bossa avec Manset par la suite

146/

je me souviens de la chanson de Moustaki « Le Métèque » en 1969, je pouvais l’écouter en boucle

147/

je me souviens de la chanson « Chimène » de René Joly en 1969, quintessence pour moi du mystérieux-émotionnel

148/

je me souviens de la chanson « Richard » de Léo Ferré en 1972, les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles à certaines heures pâles de la nuit... Cette chanson bouleversante pour moi, fut comme un tatouage gravé sur mon coeur, il ne s’effacera jamais

149/

je me souviens du feuilleton sur France Inter diffusé en 1968 et rediffusé en 1977, «l’Apocalypse est pour demain ou les Aventures de Robin Cruso» de et avec Jean Yanne, j’ai toujours le bouquin que j’emmènerais sur une île déserte, ce feuilleton, je l’ai écouté religieusement en 1968, les jours étaient trop longs pour attendre l’épisode du lendemain, palpitant !!!

150/

je me souviens des concerts de gamelan à Bali, étranges, magnétiques et magiques, ils résonnent encore en moi

151/

je me souviens du long défilé des makis qui rentraient à leurs frondaisons protectrices à certaines heures précises du jour sur les câbles téléphoniques, à Mayotte où je séjournais de 2002 à 2004 et de 2007 à 2009

152/

je me souviens des incroyables trilles et chants de la famille Trapp et de Joselito le rossignol andalou, dans les années cinquante, seuls films avec les « Don Camillo » qui avaient l’agrément de la paroisse dans mon village et qui passaient au cinéma improvisé du village, le dimanche après-midi

153/

je me souviens n’avoir jamais aimé la cour de récréation à l’école, c’était un territoire obscur, inquiétant, violent, où régnait la loi du plus fort et du plus bête, peuplé de braillards mouquireux agressifs, où je me risquais rarement

154/

je me souviens d’une très vieille affiche en carton dur pointée sur un mur de l’atelier de réparation, de bicycles, machines à coudre, gazinières, armes, etc. de mon père qui le tenait de son père... qui le tenait de son père... Affiche sur laquelle était inscrite une phrase sibylline qui me laissait perplexe quand j’étais enfant car elle était en forme de poème : « Un vieillard m’a dit / Et il avait raison / Si tu fais crédit / Tu perds ta maison »

155/

je me souviens de mon étonnement de môme quand je voyais et entendais dans les films, le Christ en croix répondre vraiment à Don Camillo qui l’interrogeait

156/

je me souviens de « Marguerite » la vache d’un Fernandel, prisonnier débrouillard, poltron, avisé et bonhomme, de son abandon déchirant final

157/

je me souviens du dessin de « La Vache qui rit », le fromage, j’adore ce dessin et j’adore encore cette pâte-fromage tartinée sur du pain grillé par exemple, accompagnée d’un mini cornichon, miam, et que l’on trouve en Bio aujourd’hui

158/

je me souviens de mon émerveillement quand je découvris enfant l’incroyable goût de crème ou pâte à la pistache

159/

je me souviens quand le « Ketchup » a débarqué en force en France dans les années cinquante, oh !!!! l’éblouissement de mes papilles

160/

je me souviens de la série « Le Prisonnier », Patrick Mac Goohan, agent secret, coincé dans un lieu interlope et mystérieux, c’était absolument surréaliste, poignant, haletant, dérangeant, passionnant, je l’entends encore hurler (Patrick Mc Goohan) … je ne suis pas un prisonnier… je suis un homme libre… et cette énorme boule blanche et molle qui le ramenait toujours dans la prison !!!

160/

je me souviens que les noms Da Nang, My Lai, Khe Sanh résonnaient si douloureusement dans le cœur vif de mes seize ans

161/

je me souviens de l’extraordinaire bougainvillée qui grimpait jusqu’au toit de la conciergerie du CREPS (centre d’études sportive) de Talence, Gironde, où j’ai travaillé quelques années comme diététicien pour les sportifs de haut-niveau et de la chapelle ruinée qu’il y avait, cachée dans un bosquet de son parc, sur le fronton de laquelle étaient gravés les mots suivants : « Memento homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris » dont vous connaissez obligatoirement la signification

162/

je me souviens de l’odeur sublime du Tiaré à Tahiti

163/

je me souviens de Saint-Paul-l’Île-aux-Noix, Québec, de sa rivière Richelieu dans laquelle j’ai nagé… à perdre haleine

164/

je me souviens de la petite chienne Boxer nommée « Pistache » de mes amis Jano & Pierre Rhéault de Saint-Jean-sur-Richeleiu, Québec, boule d’énergie vibrante, joyeuse, léchante, frétillante et aimante

165/

je me souviens au Québec de la bière « Labatt », la bleue, que je préférais à la « Molson »

166/

je me souviens du goût découvert dans mon enfance d’une simple tartine de bon pain frottée avec de l’ail, sur laquelle on pose une rondelle de tomate du jardin, un soupçon de fleur de sel et quelques gouttes d’huile d’olive, goût jamais abandonné ni dont je ne me suis jamais lassé ; éternellement : miam… hmmmmm… ma « madeleine » aillée

167/

je me souviens absolument du visage de chacun de mes amis, tout au long de ma vie, de tous ceux que j’aime et que je ne peux citer tous ici, c’est impossible et puis il y a la pudeur et puis c’est si intime, mais… ah, mes amis que j’aime

168/

je me souviens à 17 ans de mon émotion, de mon bouleversement, à la lecture du long poème « La Ballade de la Geôle de Reading » écrit par Oscar Wilde en 1897, quintessence de la poésie physio-psycho-humano-spiritualo-réaliste, c’est sublimement envoûtant, beau et terrifiant, je voudrais l’apprendre par coeur, quel défi pour un comédien !!! Ah oui, je voudrais pouvoir le déclamer sur un petit plateau noir devant un parterre d’ami… Et tous les hommes tuent ce qu’ils aiment / De tous que cela soit entendu / Certains le font d’un regard amer / Certains avec un mot flatteur / Le lâche le fait d’un baiser / Le brave avec une épée … Mais ce texte est et un Everest et un Amazone à la fois pour un comédien

169/

je me souviens de Blaise Cendrars, je me souviendrai toujours de Blaise et de son transsibérien, sa longue prose que je suis en train d'apprendre, c’est un voyage inoubliable, initiatique pour un ado, que j’ai fait en le découvrant et le lisant, vers mes treize ans

170/

je me souviens de Daniel Boone, d’un petit bouquin d’enfant dans la collection des « Deux Coqs d’or » que j’ai conservé, qui parlait de lui, avec de merveilleuses illustrations. Quand il avait bâtit un village, il entendait une « voix » qui lui disait « Viens Daniel Boone, viens... » et il quittait son village, s’enfonçait alors, toujours plus loin, dans les vastes forêts et espaces du Kentucky / Tennessee pour aller, oui, « plus loin, toujours plus loin » construire un nouveau village et ainsi de suite… Daniel Boone (1734/1820) a existé, il fut essentiellement « découvreur » dans sa vie, mais eût aussi trois mandats de député à l’Assemblée législative de Virginie, archétype du héros américain, à sa mort il fut l’objet d’incroyables récits épiques, héroïques, réels ou fictifs...

171/

je me souviens de Bernard Moitessier, vagabond des mers du Sud, qui avait gagné en 1968 la première course autour du monde en solitaire et sans escale, le mythique Golden Globe Challenge et qui au moment de franchir la ligne d’arrivée, renonce à la victoire, fait demi-tour pour retourner en mer ; après dix mois de nouvelle navigation il s’arrête en Polynésie ; il est et restera toujours vivant

172/

je me souviens d’Alain Colas et de son bateau Manureva, à jamais

173/

je me souviens d’Éric Tabarly et de son bateau Pen Duick 1, à jamais

174/

je me souviens que mon adorée grand-mère maternelle, Jeanne Dulayet née Dutauzia, née en 1899, modeste couturière-paysanne, adorait par dessus tout lire, quand elle avait un moment à elle, le dictionnaire « Larousse » comme un livre ou le journal, elle m’a dit jadis, « il y a tout dans le dictionnaire, on apprend tout, c’est bien un dictionnaire... »

175/

je me souviens avoir adoré moi aussi, sans doute grâce à ma grand-mère, lire dictionnaire et encyclopédies, avant Internet je les avais tous, dans leurs « grandes » éditions, Larousse, Littré, Robert, Universalis, Grevisse, etc. maintenant, il suffit d’un seul clic, extraordinaire Internet !

176/

je me souviens de « la guerre de Troie », je l’ai adoré étant enfant, j’étais pour les troyens, j’ai été dévasté quand ces traîtres de maudits grecs ont réussi par une ruse abjecte à faire introduire leur Cheval dans la cité… Bien qu’ayant toujours détesté l’école et le latin scolaire, j’ai toujours retenu le fameux « Timeo danaos et dona ferentes » (Je crains les Grecs, même lorsqu’ils apportent des présents) phrase de l’Éneide de Virgile placée dans la bouche de Laocoon qui se méfiait du canasson de bois creux rempli de soldats et qu’il ne voulait pas faire entrer… il ne fut pas entendu le malheureux !

177/

je me souviens de cet enfoiré de colonel Kilgore (Robert Duvall), fou de surf et de guerre, dans l’inoubliable « Apocalypse Now » de FF Coppola et de sa réplique mythique « J’aime l’odeur du napalm au petit matin... » prononcée après qu'il eût fait raser le village paisible avec ses hélicoptères de combat dont l’un avait un haut-parleur accroché à la carlingue, dégueulant à fond la terrifiante musique de la « Chevauchée des Walkyries » de Wagner

178/

je me souviens que Woody Allen a dit : " Quand j'entends du Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne..."

179/

je me souviens inaltérablement de Dead Man (1995), ce plan inoubliable de Johnny Deep alias William Blake, dans sa barque mortuaire, chapeau semi haut de forme sur la tête, revêtu d’un manteau en peau de bison, main gauche effleurant l’eau de la rivière, et ce regard, ce visage, ces éclairs de feu sur ses joues, oh... Johnny Deep, oh... Jim Jarmusch

180/

je me souviens de « personne… rien », du personnage Nobody joué par Gary Farmer acteur amérindien du peuple Cayuga, toujours dans Dead Man, ce personnage Xebeche/Nobody avec William Blake, Nobody autre capitaine Nemo avec le professeur Aronnax, autre Ulysse/Nemo avec le cyclope Polyphème, étonnant et mystérieux personnage interprétant le rien… là, dans Dead Man, possible nautonier Charon ?

181/

je me souviens de Ghost Dog le Chien Fantôme ou la Voie du Samouraï, toujours de Jim Jarmusch, des pigeons sur le toit, la présence incroyablement habitée de Forest Whitaker, le bûdo, tout son esprit, étonnamment visible à l’écran, ce film… ouah !!!

182/

je me souviens de Boris Vian comme d’un grand frère aimé tendrement et passionnément

183/

je me souviens avoir adoré savoir que Boris Vian passa des vacances à Capbreton dans les Landes, « chez moi »

184/

je me souviens avoir toujours été fasciné, comme Boris Vian, par la personnalité magnifique, incroyable et mystérieuse, la haute intelligence, de Jacques Loustalot, empereur du bizarre, capable de tout, fils du maire de Saint-Martin-de-Seignanx, Landes, qui fut l’ami et le mentor (alors qu'il était plus jeune de cinq ans) de Vian. Surnommé « Le Major, le bienheureux Major de retour des Indes » par Boris, il meurt à vingt-trois ans très très très bizarrement à 3 heures du mat, une nuit de «surboum» de 1948 à Paris, je ne peux en dire plus, ça me paraît tellement incroyable… si, je vais vous en dire un peu, au cours de la boum une fille le rembarre et ne veut pas danser avec lui, il rajuste alors dignement son frac et son monocle, stick sous le bras gauche, et dit à la cantonade qu'il prend la porte en sachant qu'il ouvrait la fenêtre et passe dans le vide... quatre étages plus bas

185/

je me souviens de la technique dite du « gaufrier » en BD, ces cases égales ou inégales dans lesquelles on place le dessin, géniale en ligne claire, chez Tintin en particulier

186/

je me souviens que les filles respirent toujours les fleurs quand elles ont un bouquet en main, ou placé dans un vase, à portée, les garçons jamais, ils se contentent bêtement de regarder et de dire parfois du bouquet « il est beau... » avec un sourire emprunté, niais

187/

je me souviens avoir aimé le mot, l’expression, clou de pitoune quand on l’eût prononcé en m’expliquant ce que c’était. C’est un très très long et très très gros clou en fer forgé, parfois sur le terrain au moyen de forges portatives, avec lequel les draveurs (bûcherons sur l’eau) arrimaient les trains de bois sur les rivières au Québec. La pitoune est la drave, cette technique ancestrale au Québec de charriage du bois par flottaison sur les rivières. J’en ai trouvé un du côté de Sainte Monique, Lac Saint-Jean, l’ai descellé de son rocher et le conserve précieusement chez moi depuis plus de quarante ans.

188 /

je me souviens du livre « Menaud, maître-draveur » de monsieur l’abbé Félix-Antoine Savard, je le conserverai toujours

189 /

je me souviens du livre « Agaguk » d’Yves Thériault, je le conserverai toujours

190/

je me souviens du livre « Le Survenant » de Germaine Guèvremont, je le conserverai toujours

191/

je me souviens du livre « Le Matou » d’Yves Beauchemin, je le conserverai toujours

192/

je me souviens de l’immense, IMMENSE, écrivain québécois, mystérieux et inconnu, dont deux seules photos de lui existent, Réjean Ducharme, il n’est pas mort contrairement à ce que l’on a annoncé

193/

je me souviens avoir grappillé, dévoré, de délicieux bleuets, myrtilles, au Lac Saint-Jean, Québec

194/

je me souviens du goût et du parfum du « tabac Matinée » de l’Imperial Tobacco Canada

195/

je me souviens qu’à Orléans on appelle les légères chutes de neige clairsemée dansant dans le vent des « venvoles »

196/

je me souviens du poète galvaudeux, magnifique et solaire Gaston Couté

197/

je me souviens de mon amie Catherine, fille du ministre du Front Populaire Jean Zay, assassiné par des français de la Milice en 1944, qui tenait la librairie des Temps Modernes à Orléans, 57, rue Notre-Dame-de-Recouvrance,

198/

je me souviens d’Albertine Sarrazin, son astragale brisée, sa vie fétu de paille solaire, sa fierté toujours debout, ses livres, Albertine disant à ses juges « Je n’ai aucun remords, quand j’en aurai je vous préviendrai..», Albertine assassinée par la médecine à la clinique Saint-Roch de Montpellier le lundi 10 juillet 1967

199/

je me souviens de cette photo que j’aime, Georges Perec avec un chat noir installé gaillardement sur son épaule

200/

je me souviens de l’album 33 T « Aufray chante Dylan » que j’ai acheté en 1965, je comprenais enfin le sens des plus grandes chansons de maître Zimm

201/

je me souviens, de mémoire, donc de façon très légèrement approximative, avoir entendu Jacques Brel dire en interview au journaliste qui l’interrogeait sur ce qu'il voyait dans son public qu’il allait quitter car il mettait fin à sa carrière, dans les gens... l’humanité en général : « Les autres, c’est toi, multiplié par eux... »

à suivre...


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Aragon 1451 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte