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RugyGate, ou la trouille des riches - 635ème semaine politique

Publié le 13 juillet 2019 par Juan

  RugyGate, ou la trouille des riches - 635ème semaine politique

Il n'y a que François de Rugy qui ait pris peur, la trouille et la gêne frappe une classe entière, celle qui gouverne les affaires publiques et privées du pays. Une France d'en haut qui s'agace qu'on exhibe ses privilèges, qui s'inquiète quand le rideau se dévoile sur des pratiques qui abime les éléments de langage officiel sur la rigueur et l'effort partagé.

Cette classe se goinfre, mais préfère se goinfrer dans la discrétion.


Homard l'a tuER
Il avait l'air pitoyable, pas même contrit, juste surpris. Presque choqué qu'on ose l'interroger et l'accuser. François de Rugy, ministre de la Transition écologique et macroniste zélote, est pris dans une tempête médiatique que la France adore: quand il était président de l'Assemblée nationale, il a dépensé des sommes qui donnent le tournis pour la réfection de son appartement de fonction à l'Hôtel de Lassay et pour une dizaine de dîners somptueux avec des amis et des proches. Puis on apprend qu'il reçoit des lobbyistes industriels en dehors de son agenda officiel, c'est-à-dire en secret. Puis sa directrice de cabinet est accusée de disposer indument d'un logement social de la Ville de Paris depuis 12 ans (elle est sacrifiée dès le lendemain des révélations par son ministre). Puis Mediapart lâche que de Rugy a joué de la réglementation pour bénéficier également d'un logement à vocation sociale.
"Les photos de ces soirées fastueuses le confirment : on y a bu entre amis du mouton-rothschild 2004 du centenaire de l’Entente cordiale entre l’Angleterre et la France (au moins 500 euros la bouteille, en photo ci-contre), du Château Cheval Blanc 2001 (550 euros), du Château d’Yquem 1999 (265 euros la bouteille), du Château Pichon-Longueville (100 euros), de la Clarté de Haut-Brion 2014 (100 euros), du Château Brane-Cantenac 2000 (120 euros), du pavillon-rouge du château Margaux 2003 (200 euros)…"
Fabrice Arfi, Mediapart, 10 juillet 2019
"Certes, ça appartient à un cercle amical mais on n’est pas là pour se taper la cloche." Mme de Rugy, à propos des dîners.
 
Mediapart a tiré le premier, et les révélations sont graves. La défense du ministre est stupéfiante, si stupéfiante qu'elle suffit à masquer la surenchère inutile du site d'informations qui laisse entendre que le ministre a légalement abusé des règles fiscales pour ne pas payer d'impôt sur le revenu en 2015 alors que l'ampleur de ses dons à son parti d'origine Europe Ecologie Les Verts suffisait à justifier ce résultat fiscal.
RugyGate, ou la trouille des riches - 635ème semaine politique
Mais de Rugy s'effondre: il promet de justifier, de corriger, de rembourser s'il le faut. Il justifie que ces dîners luxueux lui servent à ne pas se "couper de la société". Il braille, des sanglots dans la voix, qu'il est "allergique au homard", que le champagne lui "donne mal à la tête", qu'il "déteste le caviar". Sa bonne amie Barbara Pompili, transfuge écolo en Macronie comme lui, conteste de la plus bizarre des manières que ces dîners soient des agapes "entre copains" comme l'explique Mediapart: "Je suis son amie et je n'ai jamais été invitée à ces repas. Cela veut bien dire quelque chose."
La Macronista vire à la farce. Tout ce que compte le Parti médiatique vient au secours du ministre blessé. On comprend ces éditocrates, il y a du réflexe de classe, le stress inouï d'observer cette curée populaire sur des pratiques qu'eux-mêmes adoptent. Combien sont-ils d'ailleurs, à avoir bénéficié de ces "repas de travail" dispendieux aux frais de la République ? On appelle à la rescousse quelques heureux élus de ces repas pour témoigner de la normalité de la chose. Le Point publie rapidement un publi-reportage sur l'appartement de fonction, réalisé en compagnie de l'épouse du ministre (ah ce paragraphe croustillant où les allergies alimentaires aux crustacés sont détaillées pour justifier la simplicité forcée de leur goût...).
RugyGate, ou la trouille des riches - 635ème semaine politique
On dénonce la chasse à l'homme, le "poujadisme", la "démagogie niveau première section de maternelle" (Robert Namias). "comportement robespierriste de Mediapart" (Dominique de Montvalon). "Se faire servir du homard à l’heure des téléphones mobiles qui sont autant d’yeux indiscrets et dont les images circulent par nature sur le Net, c’est une faute politique autant qu’une faute de goût" s'inquiète Laurent Joffrin. Ce n'est pas le fond de l'affaire qui gêne ces messieurs-dames, mais plutôt que l'un des leurs a été attrapé par la patrouille de quelques Zorros autoproclamés. On excuse ces "excès légaux forts répandus" (Véronique Maurus), on se lamente du scandale. On justifie ces frais de représentation. Combien de grands patrons et autres cadres du secteur privé bénéficient de largesses similaires ? Dans cette France où un million de travailleurs pauvres survivent péniblement, neuf millions de famille sont sous le seuil de pauvreté, que la Macronie affaiblit encore davantage en réduisant les droits au chômage, les agapes mondaines du ministre choquent.
Deux poids, deux mesures
Les Macronistes eux-mêmes sont peu diserts. Il faut dire que le Nouveau Monde aime à se goinfrer sur le dos des gens autant que l'ancien. Le couple Macron a commencé par dépenser l'intégralité du budget annuel de repas de son ministère en quelques mois pour les besoins de sa campagne à venir; on se souvient aussi de ses sommets inutiles mais faramineux à Versailles avec des grands patrons de multinationales; personne n'a oublié l'utilisatioon du Falcon présidentiel pour des agapes privées, ni cette piscine mobile à Brégançon.
Certains macronistes s'agacent publiquement de la mauvaise "image" que donne François de Rugy.
Quand un loup saigne, la meute le lâche.
La Macronista est une farce de classe. Tandis que cette France d'en haut se défend comme elle peut des excès de l'un des siens, elle perd pied. Elle oublie ce qu'elle tolère. Elle oublie son indulgence sur les contrats de sécurité qu'Alexandre Benalla a conclu avec deux oligarques russes quand il travaillait à l'Elysée. Elle réagit peu quand le monarque nomme des proches et des fidèles, fussent-ils incompétents (comme ce remplacement de l'ex-Hollandiste Bredin par un financier du cinéma soutien de campagne à la tête du CNC).
La Macronista néglige sa violence, elle tait des excès plus graves encore. Elle braille qu'on est injustement violent avec ce ministre et son épouse noyés dans les fastes de la haute République, mais elle applaudit à la violence d’État déchaînée contre les "gueux", les Gilets Jaunes, ou les migrants sans-papiers. Elle évoque le "lynchage" d'un de Rugy, mais ne dit rien quand des CRS surarmés lynchent des manifestants un à un. Elle justifie ces homards, ce champagne, ces compositions florales, mais applaudit quand Jupiter taille dans ce "pognon de dingue" des prestations sociales ou pérennise le gel des traitements des fonctionnaires. Elle applaudit quand le gouvernement durcit les sanctions contre les chômeurs, mais pleure au poujadisme quand l'un des siens fait dépenser 63 000 euros de rénovation de l'appartement de fonction.
La police française a éborgné 24 civils depuis novembre. Elle a causé 314 blessures à la tête contre des civils et des journalistes, 18 à la main, 28 au dos, et 131 aux membres inférieurs. Elle a tué une octogénaire avec une grenade. Près de 900 signalements de violences policières indues ont été documentés. Et pourtant, aucune instruction judiciaire n'a été lancée. Pire, la police des polices a été incapable d'identifier le moindre auteurs. Tout a été classé sans suite. Il faut applaudir Jean-Michel Aphatie (si si) quand il s'est (enfin) inquiété de la disproportion de cette répression.
Mais où étaient les autres ?
Un jeune homme, Steve, est porté disparu depuis l'intervention nocturne de la police. Pas d'auto-saisine de la Justice française, malgré les témoignages de l'agressivité injustifiée des forces de l'ordre cette nuit-là. "Où est Steve?" s'interrogent des proches, des journalistes, des opposants politiques à la Macronie.  Un syndicat de policiers dénonce le manque de discernement du commissaire responsable de l'attaque. Mais pas d'enquête publique, silence radio. Cette violence-ci n'indigne visiblement pas la Macronie.
La traque des sans-papiers a une autre ampleur que la "chasse" au ministre Rugy. La France macroniste s'est alignée sur les desiderata de l'extrême droite européenne. Vendredi 12 juillet, Jupiter fait des selfies avec des jeunes de la diaspora africaine et publie quelques mots doux et généreux - "L'Afrique a énormément à offrir. C’est un continent jeune, décomplexé, puissant, un territoire qui avance." - mais une autre diaspora, des migrants sans-papiers, se fait matraquer au Panthéon: ce même vendredi, quelque 600 sans-papiers et aidants sont délogés du Panthéon qu'ils occupaient brièvement sans violence mais sans autorisation. La police y va à coup de frappes, de grenades, et de baffes. Ces Gilets Noirs (ainsi baptisés car la plupart étaient Africains) ne recueillent que peu de soutiens de nouveaux vigilants de cette France d'en haut. Ces derniers si prompts à crier leur indignation sur les réseaux sociaux, ces nobles esprits si prompts à crier au "poujadisme" se taisent, sans surprise.
En Afrique, la France laisse les réfugiés se noyer, plus de 2200 personnes ont péri en tentant la traversée entre la Libye et l’Italie ou entre le Maroc et l’Espagne en 2018. Elle livre même des bateaux aux gardes-cotes libyens, lesquels sont accusés d'exactions contre les migrants - viols, tortures, mise en esclavage - par l'ONU, reportages de CNN à l'appui. Mais Macron instrumentalise ces crises comme l'extrême droite. Le nombre de réfugiés est infinitésimal, mais Jupiter veut faire de l'immigration "une question centrale" de la fin de son quinquennat.
Cette France-là a peur
Le RugyGate est comme un nouvel épisode de cette revanche des gueux. Il ne mobilise pas encore les foules, mais l'agitation gênée et la panique qui ont saisi le microcosme révèlent combien le dévoilement des privilèges d'en haut fait peur.
La peur n'est jamais bonne conseillère. Mais en politique, elle permet parfois de joyeux résultats. Effrayé par les Gilets Jaunes, Macron avait déjà lâché un peu de lest en décembre 2018 sur le front social. Pas grand chose, pas suffisamment, évidemment moins que les effarants cadeaux fiscaux accordés aux foyers les plus aisés et les grandes entreprises, mais tout de même. La dizaine de milliards d'euros de dépenses sociales avait suffit à un petit regain de croissance économique. La peur des gens est toujours là au sein de cette Présidence des riches, l'élan "réformateur" semble cassé: on fanfaronne moins, on cache sous des fatras de novlangue les pires méfaits (comme l'adoption du CETA, ou, plus récemment, la réduction massive des droits des chômeurs).
Voici que l'équipe Macron renonce à supprimer 120 000 postes de fonctionnaires d'ici 2022. La curée sera toujours gigantesque: Jupiter veut imposer une baisse de 70 000 postes à la Fonction publique territoriale, mais seulement de 15 000, et non plus 50 000, à la Fonction publique d'Etat. 
Pour son troisième budget, Jupiter table sur 1 à 1,3 milliard d'euros de la  réforme de l'assurance chômage (3,5 milliards en année pleine) et 1,4 milliard sur les aides aux logement (APL). Trop heureux d'avoir gagné quelques points auprès de l'électorat âgé, Jupiter lève aussi le pied sur les économies promises à court terme sur les retraites. Il préfère attendre la grande réforme "systémique" de 2020.
Officiellement bien sûr, il n'y a ni changement de cap, ni renoncement.
Le pragmatisme macroniste s'apparente désormais à une gestion de la trouille.
Ami macroniste, n'ai pas peur.

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