7-2 Les donateurs dans l’Annonciation : à gauche

Publié le 16 juillet 2019 par Albrecht

Une deuxième solution à l’inclusion du ou des donateurs est la latéralisation : la plus courante, est de loin, est à gauche, donc en général du côté de l’Ange.

Les premiers exemples


Martino da Verona, 1380-1400, église de la Santissima Trinita in Monte Oliveto, Vérone

Dans cette classique Annonciation d’encadrement sur arc triomphal, (voir XXX), un saint Evêque non identifié a été rajouté en prières en dessous de l’Ange. Ce rajout a été rendu possible par l’exceptionnel décentrage de l’arc par rapport à la nef. Noter que l’artiste a voulu caler le plancher du compartiment du Saint Evêque, de même que celui de la Vierge, sur les compartiments des fresques de l’intrados. En conséquence, pour ne pas donner au saint une taille disproportionné, il a dû rabaisser le compartiment de l’Ange (plancher et plafond) : bricolages efficaces puisque, dans son ensemble, la fresque réussit à donner une impression de symétrie.



Annonciation avec l’abbé Bernardo Tolomei, fondateur de l’ordre des Bénédictins Olivétains
1390-1400, Giovanni di Bartolomeo Cristiani, église San Benedetto, Pistoia

Dans cette église dédiée à Saint Benoît, rien d’étonnant à trouver cet abbé avec sa crosse et la robe blanche de son ordre. L’Ange et l’abbé ont été refaits à la suite de sa béatification en 1634 (d’où l’auréole et l’ajout du B. dans l’inscription), mais sans doute en reprenant la solution initiale : celle d’un donateur « in abisso », dont seule dépasse la tête (voir 2-8 Le donateur in abisso).


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Annonciation avec le donateur Jacopo di Matteo Bianchetti
Jacopo di Paolo, 1390-1400, Collezioni Comunali d’Arte, Bologne

Il s’agit ici d’une reprise bolognaise de l’iconographie florentine de la Santissima Annunziata, où le lit de la Vierge occupe tout le fond, avec un coussin posé dessus et un livre (voir XXX). Ici, le livre se trouve dans les mains de la Vierge. Et comme le centre est occupé par une colonne peinte, le donateur se trouve déporté sur la gauche, place flatteuse à l’aplomb exact du Seigneur, et à l’intérieur de la pièce (derrière la colonne de gauche).


Pietro Befulco , 1487-1503, Museo e Gallerie Nazionali di Capodimonte, Naples Annonciation avec St Jean Baptiste St Antoine de Padoue et un donateur
Zaganelli Francesco, 1509, détruite en mai 1945.

Ces deux exemples illustrent bien l’évolution radicale entre la formule médiévale – le donateur-souris, posé comme un ex-voto aux pieds de l’Ange – et la formule renaissante – le donateur à taille humaine, l’Ange étant ici renvoyé dans les hauteurs.

Les triptyquesde l’Annonciation

Ils sont très rare, la scène étant dans l’immense majorité des cas représentée au verso (voir XXX)

Triptyque de Mérode
Robert Campin, 1427-32, MET, New York

La situation du couple de donateurs dans ce volet, contemplant la scène depuis l’extérieur dans le dos de l’Ange, est le résultat d’une évolution en plusieurs temps, à partir d’un panneau central où le donateur ne figurait pas (voir 3.1 Une élaboration progressive).

Annonciation
Van der Weyden, 1434, Musée du Louvre (panneau central) et Galerie Sabauda, Turin

Popularisée par Van der Weyden, la formule du donateur sur le seuil (soit à l’extérieur, soit à l’intérieur) aura beaucoup de succès dans les triptyques flamands,

En éloignant le donateur des personnages sacrés, cette situation liminaire a en effet pour avantages de supprimer les interactions gênantes et de mettre en quelque sorte sur la touche la question du statut de ce type de représentation : voyage dans le passé, vision mystique, ou simple convention picturale (voir 1-4-2 Tryptiques flamands).


Jean Bellegambe, 1516-17, Ermitage, Saint Petersbourg

Contre-pieds total  en revanche dans ce triptyque tardif, où le donateur investit le panneau central, laissant les volets latéraux à ses patrons. Il s’agit de Guillaume de Bruxelles, abbé à la fois de l’abbaye de Saint-Amand à Valenciennes et de celle de Saint Trudeaux à Luttich. Les  deux patrons des abbayes, Saint Amand et saint Trudeaux, portent chacun leur église. Quant au patron éponyme, Saint Guillaume, il se trouve en armure à l’extrême droite.

On peut considérer ce triptyque comme le comble de la formule moderne, qui aurait certainement un siècle plus tôt horrifié le spectateur : en prenant place de plain-pied dans le lieu de l’Annonciation, le donateur y a invité également tout le cortège de ses patrons, publics et privés, ainsi que son petit chien. L’Ange n’est plus qu’une une sorte de majordome, au bâton plus petit que la crosse, chargé de conduire Guillaume de Bruxelles (qui a fièrement déposé sur un coussin son couvre-chef d’abbé mitré) au siège de l’autorité centrale.

Mystique et intimiste à ses débuts, l’Annonciation avec donateur est devenue ici publique et administrative.

Les enluminures

Dans les enluminures, le donateur se trouve d’abord dans la marge, puis  au seuil de l’image, pour finir à l’intérieur.



Pierre de Luxembourg priant la Vierge de l’Annonciation, 1386-87, Avignon – BM – ms. 0207

Une exception : cette composition très audacieuse pour l’époque combine en une seule image deux iconographies : celle du donateur en prières devant la Vierge, et celle de l’Annonciation (l’Ange porte une banderole avec la salutation angélique). Cette inclusion au sein de la scène sacrée, juste sous Dieu le Père et dans une position privilégiée par rapport à l’Ange, est autorisée ici par la piété extraordinaire du cardinal, célèbre pour ses visions mystiques : l’image se réfère ici clairement à une de ces apparitions.

Heures à l’usage de Paris,1400-25, Besançon – BM – ms. 0146 f. 028v

Ici, la formule en diptyque (bifolium) permet de déconnecter formellement la donatrice et l’Annonciation, tout en associant les deux images. Bien que celles-ci présentent de fortes homologies visuelles (fond en mosaïque rouge, bleue et dorée ; banderole verticale de la donatrice et de l’ange ;couleurs rouge et bleu de la Sainte et de Marie), l’artiste a pris soin d’indiquer, sur le sol, que les deux scènes se passent dans un lieu différent, jardin et chambre. Les motifs de la mosaïque sont également différents.

La composition est délibérément ambiguë : en plaçant la sainte patronne (Clotilde, avec son église) derrière la donatrice, et en mettant dans sa bouche une prière qui commence semble-t-il par Orate Maria (le reste est illisible), l’artiste suggère à la fois qu’elle est réellement présentée à la Vierge, et qu’elle dit une prière devant l’image de la Vierge.


Matines d’Agnes de Kiquemberg fol 49
Successeur du Maître des Heures du Maréchal de Boucicaut, vers 1425, National Museum Cracovie

Dans les missels, l’image de l’Annonciation est considérée comme une exhortation à la prière, accompagnée du début du Miserere (Psaume 50:17) :

Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange Domine labia mea aperies et os meum adnuntiabit laudem tuam

En haut l’Ange prie devant Marie, en bas la donatrice prie devant une autre image de la Vierge à l’Enfant, à l’intérieur de la lettre D. L’idée n’est pas encore venue de fusionner les deux prières, et les deux statuts visuels :

  • celui de l‘image, appartenant à l’espace et au temps de l’histoire ;
  • celui de la marge, appartenant à l’espace et au temps du donateur.



Stefan Lochner, 1444, Livre d’Heures 78b 1a, fol 38, Kupferstichkabinett, Berlin

Destinée à un usage privé, les enluminures autorisent une grande fantaisie. Ici par exemple, la tête de Marie, telle la statue de la Liberté, rayonne en réponse aux rayons passant par la fenêtre. En dessous de l’image, le donateur semble en prières moins devant Marie que devant son propre blason, lequel rayonne par ses trois étoiles : possible flatterie de l’artiste envers le commanditaire, pour signaler que sa famille est, elle-aussi, bénie entre toutes ?


Livre d’Heures de Guillaume de Montfort, Utrecht vers 1450, Osterreichische Nationalbibliothek, Cod. Ser. n. 12878, fol. 25v

Guillaume de Montfort est représenté en armes, à l’extérieur de la scène, entre le blason des ducs de Montfort (en haut) et celui des seigneurs de Culemborg (en bas), tous deux portés par des faucons.

Le partage des rôles entre l’image et la marge permet, tout en situant le donateur parmi les motifs profanes (y compris les deux oursons qui jouent), de montrer par sa posture et sa position qu’il assiste à l’Annonciation : il se place en somme face à la scène sacrée dans la même position d’abstraction que le lecteur face au livre.


Livre d’Heures à l’usage d’Utrecht de Jacobus Johannes IJsbrandus, vers 1460, Utrecht University Library Hs. 15.

Ici encore le donateur est à la fois dans l’image et dans la marge, au même titre que les personnages de fantaisie qui brandissent ses armoiries (en général, les quatre écussons en encadrement sont ceux des quatre grands parents, voir XXX).


Philippe le Bon devant l’Annonciation
Miniature de Willem Vrelant dans Jan Miélot, Traité sur la Salutation angélique, 1458, MS 9270, fol 2v, Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles

Philippe le Bon se présente en invité de marque, ayant fait installer sa tente dans l’enceinte de la maison de Marie, juste sous leur commun supérieur hiérarchique.


Livre D’heures du frère Jean Bourgeois, Cod. 281 fol 21
Jean Bourdichon, 1490-95, Innsbruck, Universitäts- und Landesbibliothek Tirol (ULBT)

A la fin du siècle, Jean Bourdichon n’hésite pas à faire pénétrer le donateur sur les pas de l’Ange.


Annonciation avec Jacqueline de Morainvillers
1498, BM Poitiers, MS 53, f 18

Le sexe féminin autorise bien des complicités. Dans le Livre d’Heures de Poitiers, Jacqueline de Morainvillers n’a pas craint pas de se faire représenter en dame d’honneur, présente dans la chambre avant même que l’Ange n’y soit entré par la fenêtre (dans cette Annonciation inversée).


L’Ange à l’extérieur

Il arrive que  l’Ange lui-même qui recule en arrière du seuil, repoussant d’un cran le donateur.




Annonciation de Dublin
Jacques Iverny, vers 1430, National Gallery of Ireland

Les donateurs sont un chanoine vêtu du surplis et de l’aumusse, présenté par Saint Etienne et suivi par une veuve en deuil (sa soeur ?). L’Ange se trouve sur la verticale de Dieu le Père, dans un cercle de nuages noirs.


Un microscopique bébé rouge, en prières, suit la colombe dans le rayon de lumière.

Girolamo di Giovanni di Camerino, vers 1461 , Pinacotheque, Camerino Annonciation avec St Emidius
Crivell, 1486, National Gallery, Londres

Les donateurs ont reculé de l’autre côté de la rue, laissant à Gabriel la verticale divine.

Dans l’Annonciation de Girolamo di Giovanni, il s’agirait selon la tradition du seigneur de la ville, Giulio Cesare Varano, et de sa fille Camilla, selon les études récentes de Rodolfo IV Varano et de sa mère Elisabetta Malatesta [1].

Dans l’Annonciation de Crivelli, il ne s’agit pas exactement de donateurs, puisque le tableau est une commande de la commune d’Ascoli, mais de témoins de l’événement du 25 mars 1482 : la réception de la lettre accordant à la ville l’autonomie administrative [2].

Dans les deux cas, l’enjeu se déplace de la mise en scène d’une intimité privilégiée à celle d’un événement public. En posant le pied dans la rue, l’Ange sert le goût du spectateur pour la représentation de sa ville (et de la ville dans la ville, dans le cas de Crivelli).

Quant à Dieu le Père, il passe du statut de source lumineuse diffuse à celui d’éclairage extérieur, ce qui pose un nouveau problème d’aménagement : comment faire pénétrer le rayon dans la pièce ?



Girolamo di Giovanni utilise une fenêtre existante, tandis que Crivelli imagine une perforation façon laser de la corniche.



Dans les pays germaniques

Au début du XVIeme siècle d, plusieurs tableaux de dévotion font montre d’une originalité étonnante.




Volets de retable de l’église paroissiale de Langenargen
Hans Strigel l’ancien , 1465, Staatsgalerie, Stuttgart

Dans la formule de l’Annonciation par la droite, commune au XVème siècle dans les pays germaniques, la position naturelle des donateurs est fort logiquement à droite, dans le sillage de l’Ange.

Il s’agit ici du comte Hugo XIII von Montfort-Tettnang zu Rothenfels und Argen et de son épouse Elisabeth von Werdenberg [3] suivis par leur famille (dont un moine) derrière une banderole commune :  Sancta dei genitrix intercede pro nobis

Annonciation avec donateur
1480-1500, Domschatz- und Diozesanmuseums, Eichstatt

Tout en conservant la formule vieillie de l’homoncule descendant derrière la colombe sur le rayon de lumière, l’artiste la renouvelle en insistant sur les croix :

  • celle du globe de Dieu le Père,
  • celles qui ornent la bandoulière dorée de l’Ange,
  • celle du serre-tête de Gabriel,
  • celle de l’Enfant Jésus.

Les deux dernières sont mises en évidence par les volets clos à l’arrière.

Autre iconographie rare : le document notarié, certifié par des sceaux trinitaires, que l’Ange déploie devant Marie.

Leur dialogue est sacralisé par l’or : lettres des paroles de l’Ange, en ligne droite de la bouche à l’oreille ; réponse de Marie en cercle dans son auréole. Quant au donateur, sa supplique s’inscrit sur une banderole de parchemin (qui se replie esthétiquement pour se perforer elle-même) :

O Mere de Dieu aie pitié de moi  O Mutter Gottes ebarme dich über mich



Annonciation avec donatrice
1480-1500, Museum fur Kunst und Kulturgeschichte der Stadt Dortmund

Ici en revanche les banderoles proliférantes marquent une prédilection particulière pour le texte. La nonne qui a offert le tableau ne supplie pas la Vierge, mais redonde l’allocution angélique ; quant à l’auréole de Marie, elle porte une formule familière aux Bénédictines :

Je suis la Mère de la Miséricorde  Ego sum Mater misericordiae

Il s’agit des paroles mêmes de Marie à l’abbé Odon de Cluny, révélées lors d’une vision.

En s’appropriant les paroles de l’Ange et en faisant dire à Marie ce qu’elle entend tous les jours dans les hymnes, la donatrice cherche moins à s’intégrer à l’Annonciation, qu’à intégrer l’Annonciation dans sa propre vie monastique.



Annonciation, vers 1500, Allemagne du Sud, collection privée

Ce charmant tableau cumule d’autres curiosités iconographiques :

  • la scène de la Visitation à l’arrière-plan ;
  • les trois oiseaux qui accompagnent l’Ange (un chardonneret sur la fenêtre, deux mésanges attirés par une poire) ;
  • les trois lapins (dont l’un se régale avec un rameau) qui accompagnent Marie en train de tisser le Voile du temple.



Vers 1510, region de l’Allgäu, Tyrol, Diözesanmuseum, Rottenburg

Cette Annonciation inversée se rapproche beaucoup de la composition  précédente :

  • scène de la Visitation en miniature à l’arrière-plan
  • compagnons aviaires de l’Ange, sous forme d’un perroquet et d’un couple de faisans en cage.

Cependant, le statut du donateur est moins humble : tout en restant de taille-souris, il a gardé son couvre-chef, s’est avancé vers le centre à portée du regard de la Vierge, et s’enhardit à lui adresser sa supplique personnelle : « o maria unica spes mea ora deum <fin illisible> »


Références : [5] http://www.regione.marche.it/Regione-Utile/Cultura/Catalogo-beni-culturali/RicercaCatalogoBeni/ids/22993/Annunciazione-e-Deposizione-di-Cristo-nel-sepolcro [6] Pour une bonne synthèse sur ce tableau complexe, voir http://histoiredarts.blogspot.com/p/crivelli-lannonciation-1486.html [7] http://elmarlkuhn.de/aufsaetze-im-volltext/bodenseekreis/geschichte-in-bildern/die-herren/