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Zombi Child. Retour aux sources

Par Balndorn
Zombi Child. Retour aux sources
Résumé : Haïti, 1962. Un homme est ramené d'entre les morts pour être envoyé de force dans l'enfer des plantations de canne à sucre. 55 ans plus tard, au prestigieux pensionnat de la Légion d'honneur à Paris, une adolescente haïtienne confie à ses nouvelles amies le secret qui hante sa famille. Elle est loin de se douter que ces mystères vont persuader l'une d'entre elles, en proie à un chagrin d'amour, à commettre l'irréparable.
Le dernier long-métrage de Bertrand Bonello a un grand mérite : réinscrire les zombies, à l’heure de leur américanisation massive, dans l’histoire du vaudou et de la mémoire esclavagiste.
Zombie et mémoire coloniale
Historiquement, le zombie naît dans la culture vaudou. Sa première apparition dans la littérature française remonte à la fin du XVIIe siècle et se déroule dans l’espace colonial des Antilles, où l’on sait que le vaudou constitua une stratégie de résistance de la part des esclaves. Sans remonter aussi loin, Bonello ancre son film dans la mémoire coloniale du zombi[1]. La partie concernant Clairvius Narcisse (Mackenson Bijou) évoque nombre de gestes de l’esclavage : les coups de fouet des esclavagistes exploitant les zombies, le travail d’arrache-pied dans les plantations de cannes à sucre, la lumière du soleil filtrée par les immenses cannes… Visuellement, le zombie n’apparaît pas comme l’ennemi absolu de l’humanité, dont on ne peut rien souhaiter d’autre que l’extermination ou le maintien à distance ; au contraire, il est la figure d’une humanité écrasée par le rouleau compresseur du productivisme. Ces pauvres hères, arrachés à la vie et à la mort, suscitent davantage de pitié que de dégoût.Cependant, double est la figure du zombie. Certes, Clairvius, dans un premier temps, subit le martyre ; mais, à l’imitation des esclaves marrons, il parvient à s’enfuir dans la montagne et à échapper au joug esclavagiste. Le montage parallèle qui unit les séquences qui lui sont dédiées à celle de sa petite-fille Mélissa (Wislanda Louimat) intéresse à plus d’un titre. Outre la beauté plastique des raccords, sur laquelle je reviendrai, il trace entre ces deux histoires un fil rouge : la survie. « Je vais te bouffer », confie Mélissa à son amie Fanny (Louise Labeque). Quelques scènes plus tard, la même adolescente haïtienne, élève à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, rêve de croquer à pleines dents la joue d’une de ses blanches camarades. Oppression, fuite, et désormais colère animale : le zombie échappe à toute catégorisation politique univoque. Ce faisant, il instille la peur au cœur d’un des établissements scolaires les plus élitistes qui soit et met en péril l’institution raciale blanche, dont il naît et mime les gestes.
Magie ou exotisme ?
Enfin, Zombi Child brise la linéarité du genre par une mise en scène à la limite du rituel magique. On reconnaît là encore l’inspiration haïtienne : à plusieurs reprises, le montage se plaît à tisser des liens entre des éléments disparates, soit pour en extraire la saveur sensuelle (le retour à la vie de Clairvius), soit pour en épaissir le mystère (le rituel vaudou de la tante mambo de Mélissa). À la logique centripète du récit linéaire s’ajoute – pour mieux la distordre – la fascination centrifuge du montage pour le reste du monde.Néanmoins, cette fascination pour autre chose que le récit a un revers : elle met en exergue la faiblesse de la fable. En dépit de sa beauté on ne cesse de se demander pendant les deux tiers du film : où va-t-on ? pourquoi annoncer telle ou telle intrigue aussitôt abandonnée ? Jusqu’au dernier tiers du film – qui, fatalement, vire à la fin bâclée –, Zombi Child peine à avancer. Ce faisant, cette faiblesse narrative recèle un autre problème, plus grave cette fois-ci : l’incapacité de la mise en scène à penser le vaudou autrement qu’en termes d’exotisme. Ce regard eurocentré vient en grande partie du point de vue de Fanny et de ses camarades. Certes, elles finissent par accepter le vaudou et son monde, toutefois sa signification profonde leur reste étrangère. Laissées dans l’inexpliqué, les scènes concernant Clairvius – les plus haïtiennes du film – immergent dans une autre culture, mais ne la pénètrent pas davantage.Quoi qu’il en soit, espérons que l’œuvre de Bertrand Bonello invite d’autres cinéastes à se réapproprier l’héritage vaudou de la figure du zombie, quitte à se plonger encore plus avant dans ses racines coloniales.
Zombi Child. Retour aux sources
Zombi Child, Bertrand Bonello, 2019, 1h43
Maxime
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[1] Sur la généalogie du zombie au cinéma et son passage de Haïti en Occident, je renvoie à l’article que LundiMatin consacra au sujet.

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