Devons-nous assister impuissants à cette recrudescence moyenâgeuse de l'intolérance ? La mise en avant de ce qui nous différencie plus que de ce qui nous unit. Je me souviens de cette chanson de Lévesque interprétée par les grands du Québec (Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Robert Charlebois) en août 1976 à la SuperFrancofête et qui me donne encore des frissons aujourd'hui lorsque je l'écoute : " Quand les hommes vivront d'amour " qui se terminait par ce constat désespérant : " ... Mais nous, nous serons morts, mon frère ! ".
A ce propos j'ai retrouvé un texte écrit pour la Libre en 2007, que je vous recopie bien volontiers, comme thème de réflexion durant ces semaines d'été.
" Nous sommes faits d'une multitude d'influences. Nous avons été construits par tout ce qui nous a précédés, qui fut gardé dans nos gènes, par ce que nous avons vécu dans le ventre de notre mère, de tous les bruits, les mots, les comportements entendus et assimilés dans l'enfance. Aujourd'hui encore, chaque seconde apporte une pierre nouvelle à l'édifice de notre vie. On se consolide, on répare les brèches, on embellit. Ces apports sont de toutes sortes : des peurs, des cris, des images cruelles, le froid, la faim, l'abandon, mais aussi la chaleur, la bonté, le regard aimant, la caresse, la voix, le réconfort.
Le miracle est que notre être, assemblé de toutes ces incidences, reste unique, original, éminemment personnel. Il l'est sans nul doute d'autant plus qu'il aura été enrichi de toutes ces alluvions déposées sur les pentes du volcan de sa vie.
Ne prenons que l'exemple de l'écriture, puisque j'écris ces réflexions, et nous sommes d'accord avec Alphonse de Lamartine qui déclare dans ses " cours familiers de littérature " : " Toutes les grands lectures sont une date dans l'existence ", un exemple parmi tant d'autres.
Dans la vie quotidienne, des détails à première vue anodins nous marquent à jamais. Je me souviens, lorsque j'avais dix ans, d'un brave homme en pantoufles dans la salle d'attente du dentiste et qui s'appliquait à me parler pour faire disparaître ma peur de la douleur à venir.
Je me souviens, lorsque j'avais treize ans et grandissant dans une famille de garçons, de mon père qui m'expliquait qu'il n'y avait aucun mal à parler aux jeunes filles.
Je me souviens, lorsque j'avais quinze ans, d'un correspondant congolais et de ses lettres flamboyantes.
" Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis " est une phrase, que j'ai recopiée, extraite de " Citadelle " de St-Ex, comme on disait familièrement d'Antoine de Saint-Exupéry.
Ce matin, je suis mal à l'aise, je ressens plus qu'un autre jour combien certaines personnes vont dans une autre direction. J'additionne les commentaires sur le repli de soi, sur le droit du sol, sur l'extrémisme, sur l'intolérance et bien sûr sur la violence, l'arrogance, l'égoïsme, le mépris. Je lis les comptes-rendus d'affrontements ici chez nous comme ailleurs et ils ont tous cette même cause : prendre, garder et ne rien donner, échanger.
" Le fait d'être seul, de ne connaître personne dans une ville, transforme en prison ce lieu sans échanges " note Paul Valéry dans le bien nommé " Mélange ".
Que faire ? Comment s'opposer à ces terrorismes politiques, religieux, intellectuels ? La réponse est là dans ce titre de Valéry : mélange. Bien sûr garder son identité (elle est en mutation permanente), son âme - osons le mot ! - mais écouter, s'ouvrir aux autres. La culture est un vecteur essentiel pour cela. Et les projets et réalisations " métissées " sont multiples et extraordinaires.
L'ensemble de ces actions positives pour l'avenir de l'homme fera vaciller sans doute les certitudes aveugles de ceux qui se croient supérieurs et se pensent sans besoin des autres.
Chacun peut avoir son mot à dire dans l'évolution des hommes : un être peut entraîner tous les autres par son exemple. Cela s'est vu !
Aucun pouvoir au monde ne peut résister longtemps à la poussée des êtres humains qui s'y opposent, même et surtout de manière pacifique et artistique.
John Fitzgerald Kennedy l'avait parfaitement compris lorsqu'il écrivit : " Quand le pouvoir pousse l'homme à l'arrogance, la poésie lui rappelle la richesse de l'existence. Quand le pouvoir corrompt, la poésie purifie. "