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Le Daim. Portrait de l’artiste en pervers

Par Balndorn

Le Daim. Portrait de l’artiste en pervers
Résumé : Georges, 44 ans, et son blouson, 100% daim, ont un projet.

J’allais voir Le Daimcomme un Quentin Dupieux : drôle, absurde, avec une touche de dialogues bien stupides comme il faut depuis son retour en France avec Au Poste ! l’an dernier. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’à la place d’une comédie, je découvris un film d’horreur, dont l’humour noir camouflait mal l’image glaçante du cinéma !
{Attention : cette chronique divulgâche une bonne moitié de l’intrigue}

La révolution des objets
De glace, il est question tout du long. Ce n’est pas un hasard si le cinéaste a situé l’action du Daimdans une petite ville des Alpes (ou du moins, d’une chaîne de montagnes en France). Premièrement, l’isolement géographique du lieu donne libre cours à la progression de la folie du personnage de Georges (Jean Dujardin). Deuxièmement, l’hiver qui enserre la région oblige les habitant·es à se vêtir de chauds blousons, dont leBlouson en daim que porte Georges – ou quiporte Georges – se montre particulièrement jaloux. Troisièmement, le froid, à un niveau métaphorique, règne entre les individus : dans aucun village, si ce n’est chez Dupieux, un tueur en série pourrait agir à ce point à sa guise. Les meurtres que commet Georges pour satisfaire son blouson s’enracinent dans le terreau fertile de la non-relation et de l’isolement narcissique – qui rejoint celui du village – de notre société néolibérale.Il faut regarder Le Daim comme une fable, avec ses niveaux de lecture stratifiés. Il y a un premier niveau, littéral : le fétichisme d’un homme, que sa femme a plaqué et foutu dehors, pour tous les vêtements en daim, substituts d’amour. De là découle le second niveau, métaphorique : la folie de Georges est l’image d’une société dont les objets ont pris le contrôle.De quels objets parle-t-on au juste ? De vêtements en daim, bien sûr. Avec au premier chef, le Blouson. Filmé comme une personne humaine, en plan serré à hauteur de « visage » si l’on peut parler ainsi de son col, il apparaît comme une entité propre, doté d’une solide personnalité. Comme si Georges plaçait en lui son fantasme d’une virilité que petit homme médiocre, il n’atteindra jamais. L’homme, à l’inverse du blouson, est faible, rabougri. Comme Gollum dans Le Seigneur des Anneaux, le montage en champ-contrechamp avec une voix-off ventriloque hiérarchise les personnages entre un dominant, le Blouson, et un dominé, son porteur. D’autant que lors des scènes de dialogue dans la miteuse chambre d’hôtel, c’est le Blouson qui trône en majesté sur la chaise, tandis que le cadrage saisit Georges comme emprisonné par les barreaux de la descente de lit.Mais il ne faut pas oublier le « caméscope numérique » qu’offre gracieusement le vendeur du Blouson à Georges. C’est grâce à lui que Georges filme ses exploits d’homme viril et s’érige en héros-aventurier, dont il reprend jusqu’au chapeau d’explorateur colonial,auprès de Denise (Adèle Haenel). Cette antiquité, combinée au grain très pâle de l’image, nous ramène quelques décennies en arrière. Et il est vrai que Le Daim, œuvre a-temporelle, emprunte beaucoup par son esth-éthique au cinéma des années 70. Bien qu’il n’en convoque pas directement la référence, Quentin Dupieux pourrait s’être inspiré pour cette prise de pouvoir des objets de Fog, film dans lequel John Carpenter liait le retour des morts au détraquement général des objets.
Le spectateur au miroir du film d’horreur
La référence – volontaire ou non – à Carpenter permet également de réfléchir le genre du film d’horreur. On connaît le goût du maître de l’horrifique américain pour la mise en abyme. Quentin Dupieux la pratiquait avec autant de jubilation dans Au Poste!. Seulement, la comédie, tel un gant, a son envers maléfique dans Le Daim. De quoi rit-on, si ce n’est d’un type qui perd pied et qui assassine froidement des gens pour la seule raison qu’ils portent des blousons ? De ce point de vue, le personnage de Denise sert de miroir du spectateur. Monteuse à ses heures perdues, elle trouve géniales les enregistrements vidéos des meurtres de Georges, qu’elle croit purement fictionnels. Comme elle, que faisons-nous lorsque nous rions d’un mort au cinéma ? ne nous cachons-nous pas sciemment que, peut-être, ces faux meurtres en étaient de vrais ?Si Le Daim m’a laissé autant perplexe, c’est sans doute pour cette morale cynique : quand bien même le cinéma serait le plus factuel possible, tels les enregistrements brut de décoffrage de Georges, le spectateur, lui, se plairait toujours à nier la réalité pour mieux la fictionnaliser.Et ça, ça vous glace un homme.
Le Daim. Portrait de l’artiste en pervers
Le Daim, Quentin Dupieux, 2019, 1h17
Maxime
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