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Coiffeur & temps rela-tif

Publié le 28 juillet 2019 par Alexcessif


Coiffeur & temps rela-tif C’était au mitan des années soixante et du chemin de Labarde.
Il y avait en abscisse un vieux, un très vieux, un très très vieux coiffeur dans une bouclard qui ne devait pas se trouver très loin de l’actuelle graineterie si ce n’est à l’emplacement d’icelle.

Il y avait en ordonnée un gamin de 7 ou 8 ans, indiscipliné comme sa tignasse, qui me ressemblait fort du temps ou j’avais des tifs.
Je partis seul ce jeudi là du 104 rue Pascal Lafargue avec l’argent destiné à payer ma coupe de cheveux précieusement remisé par devers moi. Sans volonté de misérabilisme mais pour la bonne compréhension de ce récit, il me faut vous préciser qu’une coupe de cheveux devait correspondre à une demi-journée de boulot de papa, soudeur à l’ARNI ou une semaine de labeur maternel à la SAFT. A l’aune de ce ratio on pourra mesurer la confiance qui m’était accordé, la disparité des salaires homme/femme et l’espacement entre deux tontes. Blindé de ce pécule, je marchais avec la fierté d’Artaban et l’angoisse d’un transporteur de fond sous le pont d’Aquitaine en gestation. L’intersection avait lieu dans le salon vénérable et désert du capilliculteur où l’homme de l’art haletait de son grand âge et de désespoir à la vue du foisonnement de ma crinière.
Alors débutait notre supplice : le sien qui frémissait sous le poids du peigne et des ciseaux et le mien qui tremblait de trouille quand papy, qui sucrait un peu les fraises, approchait son coupe chou de ma nuque. 
Ecolo avant l’heure, il avait une technique et des gestes calés sur l’économie d’énergie. Précisément, l’économie de SON énergie : par sénescence, il ne faisait pas le tour de mon fauteuil qui lui, ne pivotait pas non plus par vétusté. J’étais donc rafraichit à l’adret (il commençait toujours par le coté de mon crâne illuminé par le soleil de sa vitrine), le tour d’oreille bien dégagé mais un peu sanguinolent et la nuque rasée d’un coté et intacte de l’autre. Comme il n’usait JAMAIS de la petite brosse destinée à éliminer le cheveu qui gratte dans le cou et que je n’osais bouger pour conserver intacte ma second oreille, j’avais, entre la terreur et les démangeaisons, un espace de cerveau disponible pour développer des théories sur la relativité du temps.
Une heure me semblait une journée et un an de la vie du brave homme. J’entendais le souffle témoignant de son épuisement dans mon dos.
Je formais l’image d’un vieillard en sursis tétanisé sur des ciseaux impuissants dans sa faible dextre à tailler ma chevelure hirsute tandis que la senestre flageolante avait mon pavillon pour cible. Je l’imaginais faiblir et chanceler sur moi d’un arrêt cardiaque le rasoir à la main.  C’était le dernier jour de l’ultimatum posé par la maitresse d’école, pas encore promue professeure des écoles, qui m’avait imposé le passage chez le pommadin et la raison de mon autonomie : maman travaillait et n’avait pu m’accompagner. Alors, sans l’autorité maternelle, avec la liberté toute neuve de mon libre arbitre, je décidai d’interrompre notre double torture. Je profitais des dix minutes qui lui étaient nécessaires pour franchir comme un lémurien les 2 mètres le séparant du tube de Pento, je lâchais mes trente balles sur la paillasse et détalais courageusement à demi tondu. Le lendemain, avec ma coupe d’iroquois, c’était à mon tour de raser les murs sous le préau de l'école Charles Martin.

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