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La Montagne Sourde, de Gilbert Pingeon

Publié le 28 juillet 2019 par Francisrichard @francisrichard
La Montagne Sourde, de Gilbert Pingeon

Le narrateur a une interlocutrice, celle qu'il appelle La Montagne Sourde. Il la dit sourde parce qu'en fait Elle ne lui répond jamais. C'est pourtant son interlocutrice privilégiée. L'explication est très simple: il lui prête son langage à défaut d'entendre le sien. Bref, il fait les questions et les réponses.

La Montagne qu'il a sous les yeux tous les jours quand il ouvre sa fenêtre n'est donc pas seulement sourde, mais muette. Elle est à fois réelle et fictive. Il forme un couple avec Elle, un couple hétérodoxe, lui ressentant l'usure de l'âge, Elle promise à une lente érosion, lui minuscule, Elle imposante:

Je ne crois qu'en Elle, unique et toute à moi, comme je suis à Elle.

Le narrateur anthropomorphise la Montagne. Il la fait sienne et la regarde avec des yeux de propriétaire. Il ne peut s'empêcher de faire des comparaisons entre Elle et lui, par exemple entre son relief symbolisable, qui peut attirer l'attention des géographes (ou des cartographes) et sa petite masse mobile

Pour un géographe, comme point de repère, je suis nul et non avenu.

Ce n'est qu'au cimetière qu'on pourra me géolocaliser.

Il la gravit dès la prime enfance, initié à l'escalade et entraîné à surmonter ses peurs par ses géniteurs. C'est dire que leur union est ancienne et que leurs joutes verbales tournent aux escarmouches piquantes dignes d'un vieux couple. Enfin c'est ce qu'estimerait sans doute le témoin impartial, s'il existe.

Elle est ma soeur, en quelque sorte, écrit-il dans un de ses textes courts où il excelle et qu'il a un évident plaisir à écrire, ma soeur de patiente gésine qui veille désormais sur ma trop brève existence. S'il doutait de sa présence au monde, elle serait là pour témoigner de son indéniable réalité par la sienne.

Il sait que nul n'échappe au temps insaisissable, aussi bien les montagnes apparemment immortelles que les mortels: Tout porte à l'effacement, tout converge vers une plaine sans mémoire. Mais, en attendant, il aura fait exister la Montagne rien que par son regard, partagé avec celui qui l'aura lu avec bonheur:

Je doute qu'elle me rende la pareille. Peu lui chaut mon regard. Elle sera toujours là quand mon oeil se sera éteint, trônant à la même place, alors que mon cerveau surdimensionné, nanti d'une conscience malheureuse l'aura effacée.

Francis Richard

La montagne sourde, Gilbert Pingeon, 140 pages, Éditions de l'Aire

Livres précédents:

Oh, Éditions de l'Aire (2018)

Bref, Éditions de l'Aire (2015)

T, L'Âge d'Homme (2012)


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