Avec Libra, Facebook attaque le marché des géants du e-commerce, du transfert d’argent et bientôt des banques. Cette nouvelle crypto-monnaie, gouvernée par une association indépendante, menace aussi le pouvoir des Etats et des banques centrales.
Véritable monnaie de réserve, universelle, La Libra pourrait bien devenir le nouvel étalon-or. Un or numérique.
Un contexte économique favorable à la Libra
Dans le monde, 1,7 milliard d’adultes n’ont pas accès au système financier, mais beaucoup ont un smartphone et un compte Facebook… La plupart vit dans des pays où la monnaie est faible ou dévorée par l’inflation. Pour ces personnes, la Libra serait un moyen de maintenir leur pouvoir d’achat, en dépit des fluctuations d’une monnaie nationale. La crypto-monnaie de Facebook pourrait même devenir une valeur refuge, internationale, permettant de convertir son argent en Libra, pour se mettre à l’abri des effets d’une crise économique ou politique.
La Libra facilitera évidemment le transfert d’argent : d’un simple clic et gratuitement, quiconque pourra en envoyer au bout du monde. Par conséquent, elle court-circuitera les intermédiaires tels que Western Union ou MoneyGram. Les banques seront aussi menacées par la mise en place de cette monnaie qui préfigure la création des services bancaires comme des prêts aux particuliers.
Libra : une nouvelle valeur de référence
Facebook s’attaque à gros. Non seulement au Bitcoin mais plus encore au dollar, au yen ou à l’euro. Au-delà d’un moyen d’échange et de paiement, cette organisation monétaire a l’ambition de devenir une monnaie de référence. A la grande différence des fluctuations du Bitcoin, la Libra aura pour objectif d’être une monnaie numérique stable (stablecoin). Elle s’appuiera sur des réserves financières réelles et deviendra ainsi une monnaie de référence.
La valeur de la Libra sera proche du dollar (1 libra = 1,049 dollar). Mais la Libra ne sera toutefois pas alignée sur ce seul cours du dollar. Pour garantir l’équilibre et la stabilité du cours, la monnaie sera adossée à une « réserve » rassemblant un ensemble de devises telles que l’euro, le dollar, le yen ou la livre. Elle intégrera aussi d’autres actifs comme des bons du Trésor. Les fonds constituant la « réserve » seront donc égaux au nombre de Libras en circulation. Ils garantissent ainsi la stabilité de la cryptomonnaie.
Si le nombre de Libras utilisés sur Facebook augmente, alors la réserve devra augmenter d’autant. Un peu comme lorsque le dollar était défini en or (accords de Bretton Woods). La monnaie américaine était alors adossée à une réserve d’or bien réelle (jusqu’en 1971 où le Président Nixon met fin à cette convertibilité du dollar en or).
Libra : une monnaie souveraine et mondiale
La Libra, par cette garantie de stabilité et sa valeur de référence, inquiète naturellement les États et banques centrales. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, déclarait lors du G7 de juillet 2019 : « La ligne rouge pour nous, c’est que Libra ne doit pas devenir une monnaie souveraine. Aucune entreprise ne doit se doter d’une monnaie souveraine. La monnaie, c’est l’attribut des États et cela doit le rester ».
Cette valeur économique pourrait tout simplement remplacer le dollar américain comme monnaie mondiale. Par sa stabilité, elle n’aurait pas de mal à s’imposer comme crypto-monnaie face au Bitcoin (et autres Ethereum) dont le cours change, d’un jour à l’autre, dans des proportions insensées. Avec un cours stable, elle rendrait fiables transactions et contrats. Mais par sa « valeur fixe », elle pourrait s’imposer comme monnaie d’échange internationale, rendue plus crédible que les monnaies nationales ou internationales, du fait d’une gestion totalement indépendante des Etats. Ainsi, la monnaie la plus fiable du système monétaire international pourrait bien être une monnaie mondiale numérique… et privée.
Une association et la Blockchain au cœur de Libra
A l’instar de la crypto-monnaie la plus connue, le Bitcoin, la Libra s’appuie sur la blockchain. Une technologie sécurisée qui permet de certifier l’authenticité des documents sans intervention de tiers de confiance.
Le livre blanc précise : « la monnaie sera gérée par l’association Libra, une organisation indépendante à but non lucratif basée à Genève, en Suisse. L’association réunit des entreprises, des ONG et des institutions universitaires du monde entier. Elle est chargée de gérer la réserve, et donc d’assurer la stabilité et la croissance de l’économie Libra. »
A ce jour, parmi les membres de l’association figurent Mastercard, Visa, PayPal mais aussi Uber, Spotify, eBay, Vodafone ou le français Iliade (Free). Chacun de ces acteurs a misé, a minima, 10 millions d’euros pour rejoindre l’association. Le montant de la réserve Libra serait à ce jour de 1 milliard. Sur les 28 membres de l’association, qui compte aussi quelques ONG, 19 sont américaines. L’association est la seule habilitée à créer (« frapper ») et à détruire (« brûler ») des Libras. La valeur de la monnaie reposera donc sur les décisions de cette association.
Un futur FMI pour les particuliers ?
Battre monnaie, voilà une prérogative régalienne dont s’empare l’association de Mark Zuckerberg. Celle-ci pourrait même aller plus loin : tenir le rôle d’une sorte de FMI (Fonds Monétaire International) non à destination des Etats mais des particuliers. Assurant d’une part la stabilité monétaire de la Libra et fournissant d’autre part des crédits aux personnes qui connaissent des difficultés financières. Cette nouvelle organisation monétaire pourrait bien être d’une grande efficacité pour réduire la pauvreté dans le monde. Il n’est pas exclu que le projet de Mark Zukerberg soit aussi, ou avant tout, philanthropique. Même si la elle est cruciale pour le renouveau du modèle économique de Facebook.
Découvrez la première partie de cet article -> Libra : Facebook mise sa stratégie sur la monnaie numérique 1/2
Une monnaie… et bientôt une identité numérique
Le journal du net a relevé une information importante, page 9 du livre blanc Libra : « L’objectif de l’association est également de développer et promouvoir un standard d’identité ouvert. Nous pensons qu’une identité digitale mobile et décentralisée est un prérequis pour l’inclusion et la compétition financière.«
Au-delà de battre monnaie, Facebook pourrait donc s’octroyer le droit d’« identifier » ses membres. Reste à savoir ce que Facebook fera de l’« identité digitale mobile et décentralisée » de chacun des membres du réseau social. Et ce qu’elle permettra, ou interdira.
Libra : naissance d’un Etat ?
Contrôler une monnaie, définir un standard d’identité… Les ambitions du projet financier ont des allures d’Etat constitué. D’autant que Facebook compte déjà une « population » de 2,38 milliards de personnes. Soit plus que celles de la Chine, de l’Inde, de Etats-Unis et de l’Europe réunies…
La levée de boucliers des grandes puissances pour freiner l’apparition Libra (sujet-phare du G7 de juillet 2019) pourrait porter un nouveau coup à l’image de Facebook. Risques de blanchiment d’argent, financement du terrorisme… Les Etats souverains ne manquent pas de diaboliser la future crypto-monnaie. Les Etats-unis eux-mêmes sont bien décidés à remettre la Libra dans le droit chemin de la réglementation bancaire.
La mise en place de la monnaie de Facebook sera donc longue… Si jamais elle voit le jour. Facebook devra bien se soumettre aux conditions des Etats ou à l’interdiction de sa monnaie. Interdiction qui prouverait toutefois que Facebook peut être mis sous contrôle. Une garantie qui, au final, pourrait paradoxalement redorer l’image de l’entreprise et restaurer la confiance.
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