La chronique érudite de Jacques GIMARD sur Échecs & Stratégie
Pourquoi, dans l’univers hermétique du jeu d’échecs, la femme peine-t-elle tant à trouver sa place ?
Dans les tournois individuels, la représentativité du sexe féminin excède rarement les 10%. Pire encore dans les tournois par équipe, où un quota de femmes — fort symbolique — est exigé pour sauver les apparences. Une femme est présente parce que le règlement l’exige ! Faut-il s’en désoler ou s’y complaire ? Elle existe encore cette race de pousseurs de bois, — dont certains responsables de club —, qui ne se pose même pas la question.
Ci-dessus, Lady Howe faisant mat Benjamin Franklin 1867, un tableau signé Edward Harrison May (1824-1887), peintre anglo-américain qui fit une grande partie de sa carrière à Paris.
Entre subtilités sémantiques…
Certains goujats déguisés en pousseurs de bois useront de subtilités sémantiques pour vous faire comprendre que le combat cérébral, requérant pugnacité et ténacité, ne se prête guère au tempérament féminin. D’autres, dans un registre psycho-socio-déglingo-neurologique, vous expliqueront avec tact que le cerveau de la femme n’est peut-être pas assez calibré pour rivaliser avec celui de l’homme. Tous, en tout cas, vous raconteront que la femme reste bien en marge dans l’histoire des échecs, quand bien même l’histoire de l’art nous lègue de nombreux tableaux où un gentilhomme joue en galante compagnie.
Quoi qu’il en soit, la culture du jeu, longtemps inséparable de celle des estaminets et autres lieux de convivialité masculine, en dit long sur la considération qu’il voue au beau sexe. Jusqu’à son vocabulaire populaire : un débutant étourdi n’est-il pas encore traité de « mazette » ? Nom qualifiant au XVIIe siècle un « méchant petit cheval ». Substantif employé au figuré pour identifier une « personne qui manque de force et d’ardeur ». Mot du genre féminin, idéal pour évoquer la situation d’une femme qui oserait s’aventurer à jouer aux échecs.
Source : Claude SANTOY — Le guide des Échecs (Paris Fernand Nathan, 1980)
…Et velléités progressistes
En ce début de XXIe siècle, remarquons que le noble jeu résiste encore aux principes vertueux d’égalité des sexes et de non-discrimination. Pour preuve, sur le terrain du web, un site fort pertinent — http://echecsetmixte.fr — entend à lui tout seul vaincre la résistance de la tribu misogyne des pousseurs de bois. Œuvre salutaire de lobbying puisque la Fédération Française des Échecs a adopté un « plan de féminisation 2019-2024 ». Appellation génétique peu flatteuse : qui oserait lancer un plan de masculinisation de la danse classique ? De toute évidence, cette initiative signe un aveu : si la femme ne vient pas à l’échiquier, il faut que l’échiquier vienne à elle ! En douceur ou en marche forcée. Éducation populaire à la soviétique ? Campagne de rééducation à la chinoise ? Grand débat participatif à la mode poudre de perlinpinpin ? L’avenir répondra à nos naïves interrogations…
Accordons-nous au moins une raison d’espérer : fin 2018, selon les mots de son site internet, la FFE « a choisi de donner la parole aux femmes, en ce qui concerne leur pratique, leurs satisfactions, leurs difficultés ou leurs souhaits ». Cette enquête, dont l’étrange intitulé — « aidez-nous à féminiser le sport échecs » — confesse un manque d’inspiration, semble vouloir aboutir à une vision sexuée du noble jeu en plaçant l’homme en-dehors ou à-côté de cette investigation. Comme si la femme-joueuse-d’échecs devenait soudain un étrange spécimen d’observation défiant les interprétations phalliques qui fondaient jusqu’alors le principe de masculinité échiquéenne.
Seule certitude validée par le cours de l’histoire : aux échecs comme ailleurs, rien ne s’octroie, tout se conquiert. Le pouvoir ne se laisse pas désirer. Il se prend. Sur l’échiquier, ne faut-il pas s’emparer de l’initiative pour gagner ? Alors ne doutons pas qu’une Jeanne d’Arc jaillira bientôt des soixante-quatre cases pour émasculer le noble jeu, dans sa pratique ludique comme dans sa représentation fédérale.
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