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CETA : bilan des polémiques et des revirements avant la ratification

Publié le 29 août 2019 par Infoguerre

CETA : bilan des polémiques et des revirements avant la ratification

Lorsque Jean-Yves Le Drian attaque sa déclaration à l’Assemblée nationale le 17 juillet 2019, c’est pour convaincre les débutés de ratifier l’AECG (Accord économique et commercial global plus connu sous son acronyme anglais CETA) et l’accord de partenariat stratégique (APS) qui lui est attaché. Le vote des députés est prévu quelques jours plus tard. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères n’introduit pas son propos en vantant les mérites commerciaux de l’accord. Il ne répond pas non pas non plus d’emblée à l’argumentation de ceux qui sont opposés au CETA. Jean-Yves Le Drian qui fut ministre de la défense de François Hollande pendant toute la durée du quinquennat de 2012-2017 commence sa déclaration mettant en lumière le CETA comme une arme à la disposition des européens et des canadiens, dans une guerre économique sans merci :

 « Dans un monde incertain, dans un monde dangereux, marqué par la multiplication et l’intensification des conflits, le retour des logiques de puissances et la contestation du système multilatéral, les liens anciens et profonds qui unissent l’Europe et le Canada nous sont particulièrement précieux ».

Le ministre poursuit en déclarant que la France met tout son poids dans la balance pour le CETA depuis le démarrage des négociations en 2009, d’abord sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, puis de François Hollande et d’Emmanuel Macron depuis son élection au printemps 2017. A l’occasion de sa déclaration devant les députés ce 17 juillet 2019, Jean-Yves Le Drian défend le projet de loi pour le CETA contre vents et marées.

Historique de l’accord conflictuel

Les premières négociations sont engagées lors du sommet de l’UE-Canada de Prague le 6 mai 2009. Extrait de la déclaration finale signée par le président de la commission européenne et les premiers ministres du Canada et de Tchéquie :

« Aujourd’hui, nous sommes heureux d’annoncer le lancement de négociations en vue de la conclusion d’un accord de partenariat économique complet ». 

« L’UE et le Canada sont résolus à bâtir une économie mondiale à faibles émissions de CO 2 qui soit sûre et durable tout en renforçant la capacité de s’adapter aux répercussions du changement climatique ».

Les négociations sont achevées cinq ans plus tard lors du sommet d’Ottawa du 26 septembre 2014. A cette occasion, les dirigeants de l’Union européenne et du Canada font la déclaration suivante :

« Nous réaffirmons notre détermination à travailler ensemble et avec nos partenaires en vue de l’adoption d’un accord ambitieux, efficace, juste, applicable à tous et juridiquement contraignant sur le climat lors de la Conférence des parties à la CCNUCC qui se tiendra à Paris en décembre 2015 (COP 21) et, tel que convenu à Varsovie, pour lequel nous communiquerons nos contributions nationales d’atténuation afin de faire notre part pour limiter efficacement l’augmentation de la température mondiale à moins de 2 degrés Celsius au-dessus des niveaux pré-industriels ».

L’accord de Paris, le premier accord universel pour le climat est approuvé à l’unanimité le 12 décembre 2015 par les 196 délégations (195 États + l’Union Européenne). Ségolène Royale, ministre de l’Environnement de l’Energie et de la Mer, en charge des Relations internationales sur le climat et présidente de la COP 21 commande un rapport « pour étudier la cohérence des engagements pris au terme de l’Accord de Paris avec ceux contenus dans le CETA ». Date prévue de remise du rapport : janvier 2017. En marge du G7 d’Ise-Shima au Japon, au côté du président canadien Justin Trudeau, François Hollande soutient fermement le CETA.  Lors d’une conférence de presse le 26 mai 2016, le président français déclare : « Il y a maintenant plusieurs mois, l’accord a été signé. Il doit être mis en œuvre, c’est l’intérêt de tous ». A ce moment-là, les wallons ont récemment obtenu que les tribunaux d’arbitrage privés prévus dans le CETA prennent la forme de tribunaux commerciaux internationaux dont les juges sont nommés par les Etats. C’est ce qui a déterminé le président français à choisir son camp du côté de ceux qui sont favorables au traité.

Le CETA et l’APS sont officiellement signés le 30 octobre 2016 à Bruxelles par le premier ministre canadien  Justin Trudeau, le président du Conseil Européen Donald Tusk et le président de la commission européenne Jean-Claude Junker.

Le rapport sur les relations entre le CETA et le climat commandé par Ségolène Royale paraît en janvier 2017. Celui-ci est précédé d’une introduction de la Ministre précisant : Ce rapport démontre qu’il est possible de concilier CETA et Accord de Paris. Pour cela, il formule 10 recommandations. Si elles sont mises en œuvre à l’entrée en vigueur du CETA, cet accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne constituera un levier pour dynamiser l’action climatique ».

Le 15 février 2017, le parlement européen ratifie Le CETA et l’APS par 408 voix pour, 254 voix contre et 33 abstentions. Comme 7 autres Etats de l’UE sur 28, les eurodéputés français se distinguent en votant contre le traité. Sur un total de 74 eurodéputés français, on compte 16 voix pour, 48 voix contre, 8 abstentions et deux absents.

  • 12 eurodéputés LR votent pour et 6 s’abstiennent.
  • 3 députés UDI et Modem votent pour, 2 votent contre et 2 s’abstiennent.
  • Les 13 députés Socialistes votent unanimement contre le traité, en opposition à François Hollande.
  • Les 22 députés FN, les 6 députés Ecologistes EELV et les 4 députés Front de gauche et apparentés votent unanimement contre le traité.
  • 1 député Ex-FN vote pour et 1 autre vote contre le traité.

Par cette ratification, le CETA est partiellement mis en application depuis le 21 septembre 2017. Il entre en vigueur de manière provisoire, jusqu‘à la ratification de l’Accord par l’ensemble des parlements nationaux des États membres de l’Union européenne, soit un total de 42 juridictions nationales et infranationales. En France, les deux juridictions sont l’Assemblée nationale et le Sénat. Selon le rapport commandé par Ségolène ROYALE « cette mise en œuvre provisoire exclut notamment les dispositions relatives à la protection des investissements dont la mise en place du mécanisme de règlement des différends investisseur-État ». Il s’agit d’une question délicate puisque régissant la question des droits entre Etats et entre entreprises et Etats. Le Conseil constitutionnel tranchera le 31 juillet 2017 et la Cour de Justice de l’UE le 30 avril 2019. Emmanuel Macron est élu président de la République française le 7 mai 2017 et il est favorable au CETA. La nouvelle Assemblée-nationale sortant des urnes après les législatives du 18 juin 2017 donne naissance à une majorité présidentielle absolue composée des 304 députés LREM et 42 députés MoDEM. La droite est groupée mais réduite. L’hémicycle reflète également la fracture d’une gauche éparpillée sous différentes dénominations de groupes : socialistes et apparentés, libertés et territoires, gauche démocratique et républicaine. Conformément aux dispositions législatives, Le FN avec ses 8 élus ne dispose pas du minimum de 15 élus pour former un groupe parlementaire.

Plan d’action du gouvernement

Fort de la nouvelle majorité présidentielle, le président français déploie le plan d’action CETA en lien avec le premier ministre, Édouard Philippe qu’il vient de nommer. Le 5 juillet 2017, le premier ministre confie le dossier à une commission de scientifiques indépendants présidée par Katheline Schubert pour « apporter un éclairage objectif, scientifique et quantitatif quant à l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, dans le cas d’une mise en œuvre de l’intégralité des dispositions de l’accord ». La commission d’experts remet son rapport au gouvernement le 7 septembre 2017. Il est intitulé : « L’impact de l’Accord Economique et Commercial Global entre l’Union européenne et le Canada (AECG/CETA) sur l’environnement, le climat et la santé ».

25 octobre 2017 : Notamment à l’appui de ce rapport, Nicolas Hulot présente au conseil des ministres le plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre du CETA à l’entête de quatre ministères : Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ministère de l’Economie et des Finances, Ministère de la transition écologique et solidaire, ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Selon l’Express du 25 octobre 2017, à l’issue du Conseil des ministres où il présente son plan d’action, Nicolas Hulot déclare : « On va mettre en place ce qu’on peut appeler une forme de veto climatique qui doit nous assurer dès maintenant que les dispositions qui sont destinées à mettre en œuvre nos propres engagements climatiques ne puissent en aucun cas, et notamment dans le cadre des tribunaux d’arbitrage, être attaquées par un investisseur». C’est le volet stratégique restant à valider, postérieurement à l’entrée en vigueur partielle du CETA depuis le 21 septembre 2017.

Nicolas Hulot prend l’initiative de se rapprocher de son homologue canadienne Catherine McKenna et ils signent le partenariat franco-canadien sur l’environnement et le climat le 16 avril 2018.

Parallèlement à ce partenariat, le projet de loi autorisant la ratification du CETA et de l’APS est confié à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale. Cette commission compte 73 députés dont 44 LREM et MODEM constituant une majorité absolue. La Présidente est Marielle de Sarnez (MODEM) qui s’était abstenue sur la ratification du CETA à l’occasion du vote du parlement européen du 15 février 2017. Sous son impulsion la commission parlementaire obtient la commande d’une étude conduite par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), pour évaluer l’impact de l’accord sur l’économie française et ses conséquences en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Selon le site l’Assemblée nationale, le CEPII est un centre de recherche opérationnellement indépendant et rattaché au service du Premier ministre.

Nicolas Hulot démissionne le 28 août 2018 de son poste de ministre de la Transition écologique et solidaire en déclarant « Je me suis surpris à des moments à abaisser mon seuil d’exigence (…) J’espère qu’il [Emmanuel Macron] tirera les leçons [de ma démission]. J’espère que ce geste sera utile, pour que chacun se pose la question de sa responsabilité ». La réaction d’Emmanuel Macron ne se fait pas attendre : « C’est une décision personnelle qu’il [Nicolas Hulot] a prise ce matin. Si j’ai choisi Nicolas Hulot, il y a quinze mois, c’est parce que c’est un homme libre. Je respecte sa liberté ».

A l’annonce de cette décision, Catherine McKenna, cosignataire du partenariat franco-canadien et ministre canadienne de l’environnement et des changements climatiques, déclare : « La démission du ministre français Nicolas HULOT ne met pas en péril les engagements de l’Accord de Paris sur le climat (…) C’est dommage, mais on va continuer de travailler avec la France ».

Le 12 juin 2019, le (CEPII) remet son rapport intitulé « Evaluation macro-économique des impacts de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne ». Le 3 juillet 2019, le rapport du CEPII est à l’ordre du jour de la présentation de la loi de ratification du CETA en conseil des Ministres.

La Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale se réunit le 12 juillet 2019 pour l’examen ouvert à la presse portant d’une part sur le projet de loi autorisant le CETA et l’APS. Après les interventions de la présidente et du rapporteur du Jacques Maire, la commission parlementaire adopte l’ensemble du projet de loi sans modification.

Le 17 juillet 2019, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères fait sa déclaration pour le projet de loi autorisant la ratification du CETA et de l’APS.

Le 22 juillet 2019, à la veille du vote de l’Assemblée nationale, à l’appui d’une analyse de l’étude d’impact du CEPII réalisée par la Fondation dont il est président d’honneur, Nicolas Hulot exhorte les députés à ne pas ratifier le CETA : « Ayez le courage de dire non » déclare-il. La réponse du président de la république est plus cinglante qu’un an plus tôt : « J’ai aussi un sens des responsabilités. Quand on s’est battu pour améliorer un texte (…), on ne peut pas dire quelques mois plus tard le contraire. Ou alors il fallait le dire quand on était en responsabilité ».

Ratification par la Parlement

Le 23 juillet 2019, l’Assemblée nationale adopte le CETA et l’APS par 266 voix pour, 213 voix contre, et 74 abstentions. La majorité présidentielle totalise 261 voix pour le traité : 229 voix LREM et 32 voix Modem. Autres chiffres clés relatif au vote de l’Assemblée nationale :

  • LREM : Certains analysent la proportion importante de voix LREM non favorables au traité comme une fragilisation du pouvoir : 9 voix contre et 52 abstentions.
  • LR : Alors que ce groupe avait majoritairement voté pour le CETA en 2017 au parlement européen, on observe un revirement caractérisé : 1 voix seulement pour le traité, 96 voix contre et 5 abstentions.
  • Les autres groupes de l’Assemblée nationale confirment le vote de 2017 en se prononçant massivement contre le CETA, mais leur voix restent minoritaires comme deux ans plus tôt au parlement européen.

L’accord est renvoyé au Sénat le jour même pour un vote prévu courant octobre 2019. En cas de désaccord entre les deux chambres, le Gouvernement disposera le cas échéant de différents moyens pour imposer son point de vue dont l’Art. 44 de la Constitution, l’Alinéa 3 de l’article 49 etc.

Dernière ligne droite pour le CETA

Dans sa déclaration du 17 juillet 2019, Jean-Yves Le Drian déclarait que compte tenu de la complexité du monde d’aujourd’hui : « C’est ensemble, dans une perspective globale, que doivent être traitées les questions de commerce, de droits sociaux et d’environnement. Et c’est précisément ce que l’AECG [CETA] permet de faire ». A l’adresse de ceux qui s’inquiètent des questions de droits internationaux et de la souveraineté des Etats à travers le CETA, le ministre précise :  « le Conseil Constitutionnel, en juillet 2017, et la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé le 30 avril dernier, ont confirmé la conformité de cet accord et du nouveau tribunal en matière d’investissement qu’il institue avec la Constitution française et les Traités européens ».

En cette fin août 2019, 14 États ont signé le CETA : le Canada, l’Autriche, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, Malte, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Suède. La question du Brexit complique la problématique de ratification de l’accord. Il est étonnant de remarquer que les médias qui ne rechignent pas à parler du CETA n’abordent le Brexit que sous l’angle d’un probable accord bilatéral entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis… [NDR] et d’autres puissances plus lointaines que l’UE, tant sur les plans géographiques qu’historique. Le revirement du vote des députés LR montre que lorsqu’on est dans la majorité, on est plus enclin à voter dans l’intérêt général que lorsqu’on est dans l’opposition. Croisons les doigts pour que le vote du Sénat à l’automne prochain en soit le contre-exemple.

Hubert Tournier

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