Magazine Europe

Les psys dénoncent l'instauration d'une « psychothérapie d'Etat »

Publié le 16 juillet 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

« Arrêtez l'arrêté ! »

Les psys dénoncent l'instauration d'une « psychothérapie d'Etat »
La lutte contre le charlatanisme, oui. Il se niche dans toutes les professions... La dénaturation de la psychanalyse, non ! Les politiques, en France, tentent de règlementer , à leur manière, les métiers de liés aux psychothérapies. Pourquoi pas ?Mais pas n'importe comment, pas en détruisant ce que la psychanalyse peut et doit apporter dans cette société en mal de deshumanisation. La psychanalyse, discipline bien particulière, ne veut pas et ne doit pas se laisser « enchainée ». Elle est clinique de la subjectivité, écoute de l'individu , le Sujet, respecté dans sa spécificité, dans son humanité, dans sa singularité. Elle n'est pas une simple technique.: Le techno-psy formaté  que l'on tente d'imposer ne sera pas un psychanalyste formé.

Un nouvel arrêté, mis au point par le ministère de la santé et défendu par celui de la recherche et des universités, après de multiples tentatives de « règlementations » faites (en vain) depuis cinq ans (et notamment depuis l'amendement Accoyer de 2004) a relancé une polémique bien française qui est suivie de près en Europe. Freud n'a-t-il pas marqué toute la pensée européenne contemporaine ?Les enjeux ne concernent-ils pas la vision européenne de la psyché, si différente du faux modèle technicien américain? RELATIO-Europe fait le point sur un débat qui concerne la nature même de la société.

Les psys dénoncent l'instauration d'une « psychothérapie d'Etat »

La dernière version du texte réglementaire, élaborée par le cabinet de la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, prévoit que les professionnels souhaitant user du titre de psychothérapeutes se soumettent à une formation de 400 heures en psychopathologie clinique suivie d'un stage pratique de cinq mois. Ce décret a été approuvé par le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, le 16 juin, avant d'être transmis au Conseil d'Etat. Pour publication en...août ? Sous la plage : des pavés...de mauvaises intentions! 

Deux raisons, au moins, de dénoncer ce texte.

>>La façon dont il émerge. Secrètement ou presque. Clandestinement. Honteusement... »Il ne sera pas soumis à consultation », avertit le ministère de la recherche qui l'a repris à son compte...

>> Son contenu même. Avec un charabia chargé de toutes les ambigüités...Ainsi, selon ce texte, les futurs psychothérapeutes devront maîtriser « les principaux courants théoriques (psychanalytique, cognitivo-comportemental, systémique, socio-environnemental, biologique) » et avoir une « connaissance des outils d'évaluation (échelles cliniques, tests projectifs) suffisante ». Qu'est-ce à dire ?

Pour les professionnels de la psyché (qui sont divisés entre courant psychanalytique et promoteurs de thérapies brèves d'inspiration anglo-saxonnes), le gouvernement prend parti dans une « querelle épistémologique ». « Il s'agit d'un hold-up cognitiviste sur le titre de psychothérapeute, dans le but explicite d'éliminer la pratique psychanalytique » dénonce Jacques-Alain Miller, chef de file de l'Ecole de la cause freudienne (courant lacanien de la psychanalyse). « On veut déposséder l'université de la définition du contenu de son enseignement, au profit du modèle psychiatrique américain, très minoritaire en France » s'insurge Roland Gori, président du Séminaire interuniversitaire européen d'enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse.

Une pétition contre cet arrêté est lancée. Au-delà des querelles de chapelles, c'est l'existence même de la psychanalyse au sens « européen » du terme qui est menacée.

Pour Bernard Accoyer, personne, surtout pas le législateur, ne veut « la mort des psy ». Il s'explique dans Le Point : « Ne prétendant ni encadrer la prise en charge psychologique, ni remettre en question, en quoi que ce soit, la psychanalyse, le législateur a souhaité par la loi du 9 août 2004 protéger les personnes, en comblant un vide juridique par lequel tout un chacun peut s'autoproclamer psychothérapeute, sans aucune garantie de formation ni de compétence.(...)

Les victimes de ces psychothérapeutes autoproclamés se comptent en France par milliers. Par incompétence ou par appât du gain. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, les familles de malades, les associations de victimes ne cessent de le répéter. C'est uniquement à cela que le législateur a entendu remédier. ». Il ajoute : « L'ennemi, ce n'est pas le psy ; l'ennemi, c'est l'incompétence, l'absence ou l'insuffisance de connaissances, parfois la malveillance. »

Jacques Alain Miller persiste et signe en approuvant la pétition lancée par Roland Gori « Le texte incriminé vise à casser les reins au mouvement psychanalytique, en créant subrepticement une nouvelle profession de soi-disant "psychothérapeutes", formés au rabais (et qui seront aussi employés au rabais) sur des bases exclusivement cognitivistes. Cette politique de ravalement et déqualification, déjà entrée en vigueur en Grande-Bretagne, fait courir au public des dangers manifestes ; elle a conduit dans ce pays à la marginalisation des psychanalystes. La fuite qui m'a permis de connaître ce texte, et l'alerte donnée dans les médias, ont déjà permis de percer à jour le guet-apens, prémédité pour le mois d'août. Il s'agit maintenant de faire nombre ».

Les psys dénoncent l'instauration d'une « psychothérapie d'Etat »

LE TEXTE DE LA PETITION

« Après la disparition de la psychopathologie et de la psychanalyse de la formation des psychiatres, au profit de modélisations neurobiologiques et comportementalistes, c'est celle des psychologues cliniciens qui est aujourd'hui clairement visée par les instances d'habilitation de leur formation.

Depuis plusieurs années, les universitaires qui ont en charge cette formation voient s'étendre dans l'appareil de l'Etat la volonté de domination des partisans de l'éviction de la psychanalyse et de la psychopathologie, à tous les niveaux des organisations qualifiantes de l'enseignement et de la recherche. La nouvelle configuration qui a émergé récemment ne laisse plus de doute sur cette volonté qui ne s'embarrasse plus de faux-semblants. C'est la dernière étape d'une course contre la montre dont le terme, à brève échéance, devient prévisible.

En même temps, dans les institutions de soin, nous constatons que la présence de la psychanalyse est l'enjeu d'une lutte dans laquelle les simulacres gestionnaires, l'ingénierie de l'évaluation, la médicamentation systématisée et exclusive, les dispositifs d'isolement des symptômes et de leur traitement expéditif, font une chasse réglée à la clinique de la subjectivité.

Ici et là, nous assistons régulièrement à des écroulements locaux qui résultent soit de stratégies de harcèlement et d'épuisement des équipes, soit de neutralisations foudroyantes par ingestion ou dispersion. La psychanalyse n'a pas à faire seulement à des détracteurs, mais à une convergence de processus de démolition.

Ce n'est plus le temps des signes assassins, mais des actes et des machines qui avancent à tombeaux ouverts.
Devant cette situation, les praticiens dans les institutions de soin psychique, et les universitaires qui forment les générations futures et maintiennent la présence exigeante de la psychanalyse dans les institutions de la recherche publique doivent faire converger leurs résistances et passer à l'invention offensive. Ils ne peuvent plus se contenter de boucher au coup par coup et dans l'isolement, les forages et les excavations de leurs sols. Il n'y a plus de crise, mais des circuits intégrés de situations limites.

La férocité industrielle des appareils a des noms : dépistage précoce, troubles de conduites, héritabilité génétique, facteurs de risque, facteurs prédictifs, isolation des symptômes, co-morbidité, dressage de comportement, indice d'impulsivité, rééducation psychothérapique, thymorégulateur, expertise, évaluation, sécurité psychique, etc.

Le maillage des populations vulnérables réduites à l'usage de leur malheur s'étend chaque jour davantage. La standardisation des ratages de la condition humaine en une nomenclature des handicaps habite désormais des maisons sanitaires. Le dénuement social est promis à l'épuration policière ou masqué par des kits de pathologie des comportements. Les logomachies s'ingénient à voiler la massification de l'humain et la marchandisation du vivant. Acceptons-nous de déambuler parmi « les décombres du futur » ?

Les psys dénoncent l'instauration d'une « psychothérapie d'Etat »

Jacques LACAN: "Le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même"...

À un certain moment, face à ce qui arrive, le refus qui se cantonne dans l'expression critique est vain. La seule dénonciation des ennemis est dérisoire. Les lamentations nostalgiques prônant la restauration du monde d'hier est pitoyable. Le scoop du malaise dans la culture est largement usé. Nous avons tous conscience que nous sommes dans un mouvement extrême du temps, de ce qu'on appelle un changement de temps. Cela signifie qu'il ne s'agit pas d'aberrations ou de dérives à corriger, mais de la subordination de la souffrance et du bien-être psychique à de nouvelles représentations et de nouveaux dispositifs de gouvernance dans lesquelles la psychanalyse ne sera que résiduelle ou nébuleuse.

La porosité de la sphère politique à ces représentations, l'influence qu'elle subit du fait de groupes interconnectés d'une voracité utilitaire naïve, indiquent assez que la solution ne viendra pas des gouvernants qui ont contribué à cette évolution.
Il faut donc un rassemblement à la mesure de la gravité de la situation, afin de répondre à ce défi du passage d'un temps à un autre. Le refus rigoureux et déterminé, celui qui rend solidaire, passe par le partage d'analyses qui explorent les dérèglements et les combinaisons émergents, par la mise en commun d'actions et d'expériences vers de nouvelles pensées de résistance, par la création d'un collectif permettant de faire obstacle à la politique de la liquidation de la clinique dans les institutions de soin et de formation.

 En tant que praticiens, formateurs, chercheurs et universitaires, nous appelons dans un premier temps nos collègues à joindre leurs signatures à ce Manifeste pour une convergence des résistances. »

 Alerte rouge

 Non au cahier des charges relatif à la formation en psychopathologie clinique pour l'usage du titre de psychothérapeute. 

- Non à une formation au rabais des psychothérapeutes qui menace l'intérêt des patients.

- Non à des théories du psychisme imposées par l'Etat.

- Nous demandons le retrait de cet arrêté et l'ouverture de nouvelles négociations

Le risque que cet arrêté soit promulgué au mois d'août est grand, c'est pourquoi nous vous appelons à signer cette pétition et la faire circuler au plus vite. Tous unis contre cet arrêté scélérat

SIGNEZ LA PETITION

 <http://sauvons-la-clinique.org/petition2/index.php?petition=3&signe=oui> -
Voir les signataires
<http://sauvons-la-clinique.org/petition2/index.php?petition=3&pour_voir=oui>

RELATIO-EUROPE reprend ici le texte que  Jacques-Alain MILLER avait publié dans Le Point ( 03/07/2008 N°1868)

Mort aux psys ?

Les psys dénoncent l'instauration d'une « psychothérapie d'Etat »
Par Jacques-Alain Miller

Le « psy » est devenu pour les Français un personnage familier. Non pas que l'on sache toujours précisément ce qui distingue le psychanalyste et le psychothérapeute, le psychiatre qui donne des médicaments et le psychologue qui n'en donne pas. Dans l'opinion publique, le psy, c'est d'abord quelqu'un qui vous écoute.

C'est quelqu'un à qui se confier, à qui se fier, devant qui on peut se livrer en toute liberté. Quelqu'un qui aide la souffrance (ou l'énigme) qui vous habite à s'exprimer et à se mettre en mots. Quelqu'un qui vous reçoit en tant que vous êtes un être à part, une exception, valant par elle-même, pas n'importe qui, pas un numéro, pas un exemplaire de votre classe d'âge ou de votre classe sociale. Dans un monde où chacun sent bien qu'il est désormais jetable, la rencontre avec le psy reste une clairière, une enclave intime, on peut même dire une oasis spirituelle.

Devant l'ampleur de ce phénomène de société, les grandes institutions et les grandes entreprises ont voulu avoir leurs psys. Mais le public ne s'y trompe pas ; il sait bien quand le psy sert d'abord les intérêts d'un maître et quand il est d'abord au service de celui qui lui parle.

Eh bien, ce monde est menacé de finir. Sachez que, dans les profondeurs de l'Etat, des officines obscures travaillent d'arrache-pied à la mise au point d'un prototype encore secret, destiné à mettre progressivement au rancart les psys d'antan : et le psy qui, au nom de son autonomie professionnelle, résiste à sa hiérarchie ; et le psy génial, ne devant sa clientèle qu'au bouche-à-oreille ; et le psy libéral, qui ne doit de comptes qu'à son analysant. Les psys à la poubelle ! Place au techno-psy !

Le techno-psy n'aura pas pour fonction d'accueillir chacun dans la singularité de son désir : quelle perte de temps ! Quel mauvais ratio coût-profit ! Et puis, guérir avec des mots, c'est de la sorcellerie ! Non, le techno-psy n'écoute pas, il compte, il étalonne, il compare. Il observe des comportements, il évalue des troubles, il repère des déficits. Autonomie zéro : il obéit à des protocoles, fait ce qu'on lui dit, recueille des données, les livre à des équipes de recherche.

Les appareils de l'Etat sont là dès les premiers pas de sa formation, et il leur restera soumis au fil du temps par des évaluations périodiques. La vérité est que le techno-psy n'est pas un psy : c'est un agent de contrôle social total, lui-même sous surveillance constante. Je sais : on croirait de la science-fiction. Même Staline n'a pas osé ça. Encore plus fort que la Stasi : elle posait des micros, là on vous branche directement un technicien sur le cerveau. C'est pourtant ce à quoi tend très précisément le texte de l'arrêté qu'un conclave de fonctionnaires de la Santé et de l'Enseignement supérieur se vante dans Paris de faire signer par leurs ministres, dans la moiteur du mois d'août.

Ce beau projet repose sur un tour de passe-passe. Il ne suffit pas de programmer la mort du peuple psy : pour que rien n'en subsiste, il faut encore le dépouiller de son nom. Techno-psy, je te baptise... psychothérapeute ! Dès que le Conseil d'Etat aura adopté le décret d'application de la loi sur le titre de psychothérapeute, les masques tomberont : par simple arrêté ministériel, ce sera l'an I de l'ère du techno-psy.

On songe à Brecht : le gouvernement, mécontent du peuple, décide de le dissoudre et d'en élire un autre. Ou encore à Lewis Carroll : « La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu'ils veulent dire. - La question, riposta Humpty Dumpty, est de savoir qui sera le maître... Un point, c'est tout. »

Le pire, pourtant, n'est pas sûr. Il m'étonnerait que Roselyne Bachelot, que Valérie Pécresse veuillent attacher leurs noms à cette infamie. Et puis, il y a aussi cette jeune femme qui a témoigné publiquement de ce qu'elle devait à la psychanalyse. Devenue la « reine de cœur » de ce pays, elle ne dira pas : « La psychanalyse ? Qu'on lui coupe la tête ! »

Jacques- Alain Miller

Anecdote

Carla Bruni à " Psychologies" 

Les psys dénoncent l'instauration d'une « psychothérapie d'Etat »

Que pensez-vous de la psychanalyse ?
Carla Bruni : C'est la découverte du siècle ! Tout le monde devrait faire une analyse... Malheureusement, il y aura toujours des gens qui n'auront pas envie de se sentir mieux. La psychanalyse est une partie essentielle de ma vie. Je suis une «absolue pratiquante. »
Comment expliquez-vous que les gens n'aiment pas avouer qu'ils sont en analyse, qu'il y ait encore un tabou ?
Carla Bruni :
C'est peut-être plus une pudeur qu'un tabou. Un besoin de secret par rapport à l'entourage. Au fond, c'est plutôt bon signe, le signe que c'est vraiment personnel. Peut-être cette pudeur est-elle aussi liée au fait que l'analyse est encore considérée comme l'apanage de quelques privilégiés. Même si le succès d'un magazine comme le vôtre démontre le contraire. Les gens ont de plus en plus besoin de fréquenter leur âme et c'est tant mieux. J'imagine que, quand Freud a mis à jour l'inconscient, il a failli se faire lapider, mais, maintenant, c'est un soulagement de pouvoir se dire : « J'ai un inconscient qui fonctionne d'une certaine manière, j'ai une âme et elle peut souffrir. »
C'est parce que la vôtre souffrait que vous avez commencé une analyse ?
Carla Bruni : C'est parce que la vie est douloureuse, vivre est douloureux, la condition d'être humain est douloureuse. Même être un chat, c'est peut-être douloureux. La psychanalyse permet d'accepter la réalité de la vie, donc la douleur. Savez-vous pourquoi les enfants sont plus désagréables avec leur mère qu'avec leur père ? Parce qu'ils lui reprochent de leur avoir donné la vie. Etre mortel, c'est extrêmement violent. Cioran le disait très bien : « Etre né, c'est un inconvénient. »


Retour à La Une de Logo Paperblog