Dans mon dernier billet, j’ai affirmé, sans l’expliquer, que « le taux optimal de l’impôt sur les sociétés est de zéro ». Cela n’est pas même idéologique. C’est une remarque de bon sens. Une entreprise est un contrat entre ses actionnaires. C’est aussi un contrat entre ces derniers et les dirigeants. Ce sont aussi des centaines de contrats entre ces dirigeants et les employés (fournisseurs de travail), des contrats avec les autres fournisseurs, des contrats avec les clients, des contrats avec les financiers, et des contrats avec chaque détenteur de titres sans droit de vote en assemblée générale (comme les warrants, les bons à court terme, les obligations convertibles, les effets de commerce escomptés, etc.). L’entreprise est un nœud complexe de contrats.
L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS EST UNE CHIMÈRE
Lorsqu’un tiers s’ingère au milieu de ces contrats, – comme le fisc avec un impôt sur les sociétés, une T.V.A. ou une taxe Bruno Le Maire sur le chiffre d’affaires des entreprises américaines du secteur de la technologie – absolument personne ne peut dire qui paiera cette taxe. La seule chose qui soit certaine à propos de l’incidence de l’impôt, c’est que les entreprises ne paient jamais d’impôt comme l’explique fort bien Pascal Salin. Car un nœud de contrats ne paie jamais d’impôt. Seuls les hommes paient des impôts. Les gauchistes qui veulent toujours « remettre l’humain au cœur de l’économie » devraient l’écrire en lettres d’or dans un endroit bien visible. Et la conclusion de tout cela est évidemment que l’impôt sur les sociétés est payé en partie sous forme de salaires plus faibles, en partie sous forme de capital moins rentable, en partie sous forme de jetons de présence plus faibles, et en partie sous forme de prix plus bas pour les fournisseurs et plus haut pour les clients, le tout – et c’est ça qui est important – sans que personne ne puisse dire pour sûr dans quelles proportions ! Les effets sont toujours inattendus comme nous l’a si brillamment rappelé cette semaine l’homme dont « l’intelligence est un obstacle (sic !) ». Ce n’est donc pas surprenant qu’Amazon ne paie pas la « taxe Amazon ». Ce ne sont jamais les abeilles qui paient les taxes sur le miel !
La simple observation montre que l’incidence fiscale dépend toujours in fine de la structure des prix relatifs et de la forme des courbes de demande et d’offre, elles-mêmes le produit de millions de décisions humaines et changeantes. Penser qu’Amazon va payer une « taxe Amazon » est une « présomption fatale » pour emprunter la célèbre expression du prix Nobel d’économie Friedrich von Hayek. Une présomption qui ne peut naître que dans la brume épaisse et poussiéreuse qui stagne entre les deux oreilles des énarques de Bercy…
Alors bien sûr, on peut, comme Murray Rothbard dans Power and Market (p. 110), remarquer que « no tax can be shifted forward », c’est-à-dire qu’aucune taxe ne peut être répercutée sur le consommateur et que toute taxe est en dernière analyse une taxe sur un (ou plusieurs) facteur(s) de production. En ce sens, lorsqu’Amazon répercute intégralement les 3 % de taxe sur le chiffre d’affaires sur ses partenaires, la société américaine réduit probablement son chiffre d’affaires à moyen terme. Quelqu’un paiera, mais pas forcément les partenaires d’Amazon.
On peut aussi remarquer que si la Bordurie décide de nommer un de ses impôts « l’impôt sur les entreprises Syldaves de haute technologie », dans un système de changes flottants, celui-ci sera payé par les Bordures. Ce sont les Américains qui paient les taxes américaines. Et ce sont les Français qui paient les taxes françaises ! Alors les actionnaires d’Amazon, s’ils exigeaient un rendement des capitaux propres de 27,47 % sur les douze derniers mois, ne vont pas soudainement changer leurs désidératas et ce ne sont donc probablement pas eux qui paieront la taxe Amazon…
Il n’y a pas plus opaque que le paiement effectif de l’impôt sur les sociétés parce qu’il n’y a pas plus incertain dans le monde déjà complexe des finances publiques que l’allocation finale de cet impôt à travers les distorsions de prix relatifs qu’il induit.
Je passe sur le fait qu’on ne sait même pas vraiment quel est le taux effectif de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises du secteur des hautes technologies. Lors, devant ce détestable état de fait, la conclusion s’impose à l’économiste que l’impôt sur les sociétés devrait avoir un taux nul si l’impôt doit être transparent et minimiser les distorsions de prix relatifs.
