John Huston, 1969 (États-Unis)
Quelle possibilité pour un étudiant originaire du comté de Foix, au XIVe siècle et en pleine guerre de Cent Ans, de quitter Paris pour se mettre soudain en quête de liberté ? Le jeune Héron de Foix (incarné par Assi Dayan) est clerc et n'a qu'un rêve, voir la mer.
La première fois qu'il la voit, Claudia sous une arcade et depuis un petit balcon se tient droite à le regarder tandis que toute la lumière du matin tombe sur l'étudiant couché. Elle apparaît comme si elle avait été peinte sur une voûte romane, en gloire comme un Christ, amour impie, idéalisé et lointain. Héron au pied de sa dame, à l'inverse de la représentation du héron sur les tapisseries de la Dame à la licorne : sur deux panneaux, l'oiseau figure au-dessus de la dame, au sol une patte levée (tapisserie de " L'odorat ") ou essayant d'échapper au faucon (" A mon seul désir ").
Cependant le jeune clerc de Huston n'est pas aussi couard que le prestigieux volatile de la tradition médiévale ; même si Héron considère les velléités de vengeance de Claudia à l'égard des paysans comme un tourment et préfère au plus tôt s'en dégager. L'attribution du symbole à Héron n'est donc pas tout à fait satisfaisante. En revanche, on ne doute pas que Claudia ait pour emblème le faucon. Sur les tapisseries du XVe siècle qui défilent au générique (pour la plupart conservées au musée de Cluny), on trouve des scènes de la vie paysanne (le pressurage du vin) et surtout de la vie seigneuriale. Sur l'une d'elle par exemple, la dame est appliquée à une broderie alors qu'on lui apporte un miroir ; on notera là que la tapisserie comporte une autre attaque du héron par le faucon dans le bord supérieur droit. Le héron c'est bien le garçon, le faucon quant à lui représente la dame et les assauts répétés de sa beauté, ou ses exigences ou ses réprimandes. Parmi les scènes galantes représentées sur ces tapisseries, Huston ne manque pas de filmer non plus la fameuse Offrande du cœur conservée au Louvre. Sur cette dernière le héron n'y est pas, mais la dame, elle, est gantée et tient bien un faucon de chasse. Face à elle, le gentilhomme (qui pourrait avoir pour nom Héron) lui tend son cœur et se place à sa merci.
On se plaît tout au long du récit à voir évoluer la relation de Héron et Claudia. D'abord une rencontre fortuite, elle se place sur son chemin et devient pour lui une icône, un amour protecteur et lointain. Claudia lui laisse son voile comme elle le ferait pour un champion élu au cours d'une joute. Puis quand il vient la secourir, il lui offre ses services et l'amour courtois n'est plus si distant. Enfin, quand Claudia renonce à son ordre et à sa supériorité sociale sur Héron, quand elle embrasse le rêve qu'il lui décrit, l'irrésistible envie de voir la mer, leur amour devient charnel. Les voilà qui s'unissent dans une chapelle, au pied d'un Christ en croix, amour blasphématoire mais absolu.