Au risque de soulever un lièvre…

Le déclin du lièvre brun

Le lièvre brun décline irrémédiablement en Suisse (1). Il se trouve sur la liste rouge des espèces menacées en Suisse depuis 1994 (2). Le constat est particulièrement alarmant dans le canton de Neuchâtel, ou sa population est actuellement estimée à 500 individus (3).

Si les printemps capricieux ont sans doute vu périr quelques levreaux, les changements dans les modes de culture, la raréfaction des habitats favorables, les maladies et la chasse sont autant de facteurs qui contribuent au lent déclin de la hase et du bouquin (4).

Le Jura agit, Neuchâtel nie

Face à ce constat, les autorités jurassiennes ont décidé d’un moratoire sur la chasse au lièvre dès 2010 (5). Ils l’ont conjugué à un plan de revitalisation de l’espèce en collaboration avec AgriJura. La promotion de jachères florales et de parcelles céréalières semées de manière moins dense doit offrir des couverts végétaux favorables aux levreaux.

Une évolution positive a été constatée ce printemps avec une hausse des effectifs à 1.7 individu/km2 contre 1.1 en 2014 (6). La tendance est encourageante, mais encore éloignée de la barre de 2 individus/km2 au delà de laquelle la survie de l’espèce semble garantie.

Dans le canton de Neuchâtel en revanche, les plans de chasse se suivent et se ressemblent. Cette année encore, trois jours sont prévus pour tirer le lièvre, un quatrième étant réservé si le quota de 28 lièvres « prélevés » n’est pas atteint (7). Ainsi, au moins 6.2% de la population de lièvres neuchâtelois tombera sous les balles des chasseurs car l’approche neuchâteloise est de « maintenir une chasse contrôlée, compatible avec la préservation de l’espèce dans la région» selon l’inspecteur cantonal de la faune (3).

Comment justifier la chasse “contrôlée” d’une espèce menacée?

En simple ami de la nature, je suis surpris par cette différence de traitement existant entre deux cantons voisins. Je me permet de m’interroger sur la pertinence de chasser une espèce en voie de disparition qui ne cause objectivement pas de dégâts significatifs aux cultures agricoles ou sylvicoles.

• Existe-t-il un rationnel biologique qui me dépasse pour justifier ces prélèvements?
• Comment le service de la faune, de la forêt et de la nature a-t-il établi le chiffre de 28 lièvres à “prélever”? Pourquoi pas 10, 30 ou 100?
• Est-ce soulever un lièvre de supposer que le plaisir de quelques privilégiés qui souhaitent s’offrir un râble ou une terrine automnale prend le dessus sur la préservation d’une espèce menacée?
• Comment expliquer la différence drastique de traitement réservé au lièvre en amont et en aval du Doubs?

Pour contribuer à régénérer les effectifs de lièvre neuchâtelois, j’invite cordialement les autorités cantonales à adopter un moratoire sur sa chasse dès l’an prochain. Bien conscient que le sort du lièvre n’est pas en tête des préoccupations actuelles du Conseil d’État, je propose néanmoins de s’inspirer de l’expérience jurassienne pour élaborer un plan de revitalisation de l’espèce en terre neuchâteloise. Ainsi, la volonté de construire des équilibres et une solidité durable ne s’appliquera pas uniquement à nos finances, mais également à notre belle biodiversité.

Val-de-Travers, le 16 octobre 2019

Ce billet d’humeur sur le déclin du lièvre brun a été adressé sous forme de courrier à Monsieur Laurent Favre, Conseiller d’Etat et chef du département du développement territorial et de l’environnement, avec une copie à M. Laurent Pfund, chef du service de la faune, des forêts et de la nature. Il est illustré par une rencontre faite avec un lièvre brun au printemps sur les crêtes du Val-de-Travers.

Sorti du bois dans les derniers rayons du soleil, ce lièvre profite de la quiétude du soir pour se nourrir de quelques crocus.

Le printemps rime habituellement avec bouquinage pour les lièvres. Avec la baisse continue des effectifs de lièvres dans le canton de Neuchâtel, ces folles courses-poursuites dans les champs se font de plus en plus rares.

Un brin de toilette et quelques étirements sont nécessaires pour débuter la soirée.

Un brin de toilette et quelques étirements sont nécessaires pour débuter la soirée.

Il ne reste plus que 500 lièvres dans le Canton de Neuchâtel, et 28 d'entre eux seront "prélevés" cet automne. Cela rend ce genre de face-à-face précieux et rare.

Broutant paisiblement aux abords d'un mur de pierre sèches, le lièvre brun s'interrompt à chaque fois qu'un bruit suspect se fait entendre. Il scrute les environs avec ses longues oreilles avant de reprendre son activité.

Sources:

1. Arcinfo, Faune: les lièvres de plus en plus rares en Suisse, Edition du 10 avril 2017 consultable sur https://www.arcinfo.ch/articles/suisse/faune-les-lievres-de-plus-en-plus-rares-en-suisse-657884
2. Office Fédérale de l’Environnement, Liste rouge des espèces menacées en Suisse, consultable sur https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/biodiversite/publications/publications-biodiversite/listes-rouges-especes-animales-menacees-suisse.html
3. Arcinfo, Chasse, le canton de Neuchâtel maintien la pression sur les sangliers, édition du 2 octobre 2019, consultable sur https://www.arcinfo.ch/articles/regions/canton/chasse-le-canton-de-neuchatel-maintient-la-pression-sur-le-sanglier-870899
4. Office Fédérale de l’Environnement, Monitoring du lièvre en Suisse 2018, consultable sur https://www.fr.ch/sites/default/files/2019-01/Monitoring%20du%20li%C3%A8vre%20en%20Suisse_2018_F.pdf
5. République et Canton du Jura, communiqué de presse du Conseil d’Etat du 21 avril 2010, consultable sur: https://www.jura.ch/CHA/SIC/Centre-medias/Communiques-2005-2014/2010/Moratoire-sur-le-lievre.html
6. 24 Heures, Le canton s’engage en faveur du lièvre, édition du 21 août 2019 consultable sur https://www.24heures.ch/suisse/suisse-romande/canton-s-engage-faveur-lievre/story/10509905
7. République et Canton de Neuchâtel, Arrêté concernant l’exercice de la chasse durant la saison 2019-2020, consultable sur https://www.ne.ch/autorites/DDTE/SFFN/faune/Documents/Chasse/Arrete_chasse.pdf

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