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L'ordre numérique

Publié le 16 juillet 2008 par Christophe Benavent
L'ordre numérique
Pour l'observateur des choses sociale, la question de l'ordre est essentielle. Elle a souvent balancé entre la nécessité d'une autorité, et la reconnaissance d'un ordre spontané. L'ordre imposé nécessairement d'ailleurs car la nature conduit au désordre (Hobbes), l'ordre émergeant du désordre (Smith). Quelques variations exigeant des contorsions comme cette idée d'un contrat social (Rousseau) qui reconnaît que le désordre naturel peut s'organiser par l'émergence du culturel, ou le pessimisme marxiste, qui voit l'ordre naître du désordre par le volontarisme d'une classe. Nous n'indiquons que quelques points de repère, pour rappeler comment l'ordre social se pense, dans l'idée que le désordre le menace.
Il est aujourd'hui un phénomène étonnant, et nous laisserons le lecteur le situer au regard des points cardinaux que nous venons de rappeler. En matière de musique, en matière d'images, en matière de texte, émergent quelques innovations technologiques, qui permettent au plus grand nombre nombre, et ce nombre est à la mesure de l'histoire, énorme, de permettre à chacun de s'exprimer, et d'offrir à l'ensemble de la communauté ses préférences , ses productions. Flickr, pour l'image, Last.fm pour la musique, blogger pour le texte, en sont quelques uns des exemples accomplis, mais nous en oublions beaucoup, qu'ils nous pardonnent. Dans chacun de ces système, l'ordre s'impose dans une minutieuse organisation de la manière dont l'information se structure. Un compte, des tags, une communauté, des règles d'intimité, des échelles d'évaluations, une structure imposée à tous, qui laisse à chacun le soin de définir sa contribution.
Ces organisations ne prennent jamais soin de définir le contenu et se contentent de mettre en rapport des millions d'invididus, ne disent rien des valeurs qui permettent d'y accceder, se concentrent sur les procédures qui permettent de diffuser, et de produire, des matières que chacun est libre d'inventer. La rigueur de leur règle d'échange, est à la hauteur de la liberté de produire.
L'anarchie vient de la diversité non anticipée des matériaux apportés, la rigueur des règles qui contribuent à l'échange. Ces organisations se caractérisent par leur infinie productivité. Quand une agence photographique gère quelque milliers de photographes qui devront franchir un long chemin pour accéder aux critères d'éligibilité, Flickr permet à chacun d'offrir au monde sa production. Aucune règle relative à la qualité de cette production ne sera imposable. Mais une règle définitive sera imposée à la manière dont cette production sera présentable.
Un ordre procédural est construit a priori, l'ordre substantiel dépendra des efforts de chacun. le résultat est inconnu, mais en substance il permet que l'image du monde sur le monde, soit à la fois infiniment plus divers que les systèmes elitiste en vigueur jusqu'à aujourd'hui ne peuvent produire. L'art photographique d'hier se construisait de concours en concours, était médiatisé par les revues et les expositions, il est aujourd'hui régulé par les lois de probabilités construites dans des processus d'offres illimités. Celui qui sera regardé ne dépend pas de l'avis des expert mais du choix judicieux de ses tags, de son activité propagandiste, des réactions directes, d'agents incontrôlés. Cette liberté nouvelle et auto-renforcée, laisse sans doute une grande place au stéréotype. Elle développe aussi une phénoménale réflexivité.
Le monde ne sera plus l'ordre auquel il se soumet, mais l'ordre qu'il se représente. Les philosophes que nous avons évoqués, ont pensé un ordre qui se construit dans l'action moins qu'un ordre construit dans la représentation. Les systèmes nouveaux règlent l'action a priori, et extérieurement, imposent de ce fait une dictature sans commun, qui s'impose par l'initiative, et la domination. Pour en rester à un seul cas Flickr s'impose en étant le premier, en étant le meilleur, en se maintenant comme le plus légitime, renforçant sa primeur, par le nombre. En ce domaine, les premiers, et ceux ceux qui parmi les premier imposent la force du nombre deviennent des standards auxquels peu d'entre nous peuvent échapper. mais ce qu'ils controlent echappent à toutes leurs intentions, les représentations qu'ils véhiculent échappent à leur projets. Elles se construisent dans l'anarchie joyeuse des interactions individuelles, d'économies symboliques nourries de l'effort et de la créativité de leur acteurs.
Comment imaginer une dictature qui laisserait à chacun le choix de son opinion, laissant à l'opinion le soin de se construire par elle-même? Comment imaginer une démocratie qui renoncerait à faire de son ordre un objet de discussion?
J'ai le sentiment qu'un nouvel ordre est en train d'émerger de l'activisme technologique. Ce nouvel ordre se construit d'une part dans l'acceptation de la relativité de toutes les valeurs, et le refus que les règles qui régissent ces valeurs soit contestées. Les démocrates résisterons à cet argument en arguant de l'idée de constitution, la nouveauté est que ces règles constitutionnelles ne sont en aucune manière publique, objet d'un débat politique, mais le fruit d'initiative privées.
Le nouvel ordre du monde fait que la règle commune est un fait privé, quand l'opinion particulière est une affaire publique. L'idée de chacun est débattue dans la rue, mais les rues sont construites par des chacuns. Il n'y a plus de puissance publique qui ordonne le pas des particuliers, plus aucun ponts et chaussées qui régulent la marche de la foule. Ce sont des entrepreneurs qui construisent les rues, et établissent des péages. Mais la foule et chaque individu gagne le droit, une fois payé le péage, de dire son sentiment publiquement. l'intime autrefois contenu en dehors de la rue, s'y répand sans autre limite que les droits de péages.
Je ne sais si ce monde est meilleur, il est au moins en ce qu'il permet à chacun d'être soi, sans qu'un état, ce monstre castrateur, ne puisse imposer d'ailleurs des morales contestables, il donne cette liberté revée par les modernes, et impose une solitude que seule la foule rompt. Il impose à chacun un ordre d'expression que nulle valeur ne fonde que celle de la puissance. Mais en dissociant la puissance de l'ordre et la liberté de l'expression, il crée une situation que nous avons encore peu pensée.
Le nouvel ordre assurément est finalement un grand désordre.

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