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Bacurau. Pour un autre Brésil

Par Balndorn
Bacurau. Pour un autre Brésil
Résumé : Dans un futur proche…  Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte. 
Un western peuplé de Yankees sous le Brésil de Bolsonaro ? Bacuraurejouerait-il le pathétique écrasement des autochtones du sertão, comme longtemps l’a justifié un certain western ? Que nenni. En s’emparant du genre cinématographique phare de leur voisin nordiste, les Brésiliens Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles retournent à l’avantage de leurs compatriotes l’oppression impérialiste qu’impose à leur pays le quasi-dictateur depuis son arrivée au pouvoir.
Un western au Brésil
Néanmoins, reprendre les codes du western ne signifie pas l’imiter avec servilité. En l’important au Brésil, les deux cinéastes confrontent le genre typique des États-Unis à un genre spécialement brésilien : les films de cangaçeiros, du nom des « bandits sociaux » (Eric Hobsbawm) écumant le sertão jusque dans les années 1930 (dont le fameux Lampião), personnages aussi populaires que Jesse James dans l’imaginaire du Far West états-unien. Bacuraurenvoie à plusieurs reprises à cette mythologie sociale du XXesiècle : qu’on pense au vieux guitariste improvisant des airs taquins, au paysage de collines que parcourent à cheval des villageois, à la bande de Lunga… Le tout culminant dans la scène du musée historique du village qui, loin d’être un sanctuaire à l’écart du temps, anime encore l’esprit vif et frondeur de ses habitant·es. La confrontation est agonistique entre western et cangaçeiros, États-Unis et Brésil. D’un côté, des chasseurs états-uniens, individualistes et assoiffés de sang ; de l’autre, une communauté bigarrée, qui sait chanter, danser, s’aimer. Formellement, Bacurauévite toutefois de sombrer dans la caricature de l’un ou l’autre genre, puisque des motifs circulent entre les deux. Songeons à l’attaque du camion-citerne en lieu et place de la diligence ou au guitariste harcelant de ses chansons mauvaises les touristes de passage.
Un équipage bigarré et révolutionnaire
Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles évitent également un autre écueil, et de taille. Qu’en représentant une communauté villageoise qui prend les armes pour sa survie, les deux réalisateurs fantasment une société traditionnelle idyllique et homogène. Bon nombre de films soi-disant révolutionnaires sombrent dans ce piège. Qu’on se souvienne d’Invasion Los Angeles ou, plus récemment, de The Birth of a Nation : dans les deux cas, la révolte sert surtout à réaffirmer la force virile et l’écrasement des femmes ou leur relégation à des rôles subalternes.Bacuraucontourne ce problème parce qu’il met en scène ce que l’historien de l’Atlantique Marcus Rediker nomme les « équipages bigarrés » (« molted crews »)[1]. À savoir une société métissée, aussi bien en termes de races (Noir·es, Blanc·hes et Amérindien·nes), d’âges (enfants, adultes et vieillards), de classes (un instituteur, une doctoresse, des prostituées…) que de genres. Sur ce dernier point, l’apparition de Lunga (Silvero Pereira) est des plus magnifiques. Longtemps évoquée comme un ennemi de l’État, sa figure crève l’écran lorsque le rebelle surgit dans le miroir, les ongles vernis et le visage maquillé. Et lorsqu’il combat au corps-à-corps, le guerrier queer déploie tout son potentiel érotique et insurrectionnel. Lunga et Bacurau dans son ensemble figurent un autre Brésil. Un Brésil divers, hétéroclite, irréductible. Celui que Bolsonaro ne veut pas voir, et qu’il souhaite écraser.Force est de constater que même au plus profond du désespoir, le cinéma brésilien sait faire émerger des îlots de résistance. Gageons que ces derniers passeront bientôt de la fiction à la réalité.
Bacurau. Pour un autre Brésil
Bacurau, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, 2019, 2h12
Maxime
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[1] Marcus Rediker, Les Hors-la-loi de l’Atlantique. Pirates, mutins et flibustiers, Seuil, 2017.

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