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Kong : Skull Island. Imagerie numérique interdite

Par Balndorn
Kong : Skull Island. Imagerie numérique interditeRésumé : Un groupe d'explorateurs plus différents les uns que les autres s'aventurent au cœur d'une île inconnue du Pacifique, aussi belle que dangereuse. Ils ne savent pas encore qu'ils viennent de pénétrer sur le territoire de Kong…
« Encore un King Kong ? Mais quand donc finira cette fable coloniale et spéciste à souhait ? », me direz-vous. Et votre réaction sera des plus légitimes au regard de Kong: Skull Island. Bien que l’énième remake de l’œuvre originelle de Cooper et Schoedsack tente un tant soit peu d’en dévier l’interprétation, la deuxième superproduction du MonsterVerse – puisque les univers étendus sont à la mode – n’échappe pas à certaines lourdes erreurs de mise en scène, à commencer par son traitement photo-réaliste des images de synthèse.
À l’Ouest, un peu de nouveau…
Commençons par dire un peu de bien de ce mastodonte. Si je ne l’ai vu que récemment et non à sa sortie, c’est parce qu’il y a deux ans Kong: Skull Islandflairait bon son navet. Et j’en avais ma claque, des navets à 300 millions de dollars. Deux ans de lobbying intensif de ma chère et tendre, qui ne cessait d’en vanter les nouveautés, eurent cependant raison de mes réserves initiales. Et c’est ainsi qu’un dimanche soir, son passage sur TF1 me convainc de m’y frotter.Je l’avoue : Kong: Skull Island n’est pas l’horrible navet que je redoutais. Mea culpa. De là à dire que c’est un bon film, ou ne serait-ce qu’un bon King Kong, il y a un pas que je n’oserais franchir. Mais on peut indubitablement saluer quelques innovations, tant dans le récit que la mise en scène. En effet, pour une fois dans l’histoire de cette saga, l’expédition n’a pas lieu dans les impérialistes années 30, mais se situe en 1973, en pleine débâcle au Vietnam. Ne la composent pas des aventuriers superbes, machistes et blancs, mais de pauvres hères qui n’attendent que de rentrer chez eux, une journaliste (Brie Larson) antimilitariste, un ex-espion britannique en mal de vivre (Tom Hiddleston) et quelques pseudo-scientifiques un brin cinglés (à commencer par John Goodman). Du King Kongimpérialiste, ne reste plus guère que le colonel Packard (Samuel L. Jackson), mais le choix d’un acteur afro-américain évacue le racisme originel pour le transformer en désir brûlant d’éradiquer la nature sauvage.Au vu de ce renouvellement du personnel, l’interprétation de la Bête change. On est loin du fantasme d’une sauvagerie exotique et primitive à détruire au nom de la civilisation. On mesure l’écart entre le King Kong de Peter Jackson (2005), dans lequel les indigènes apparaissaient comme des êtres sanguinaires à peine sortis de l’âge de pierre, et les autochtones de Kong: Skull Island, pacifistes, quasi-bouddhistes (bien que le scénario précise que cette île n’ait connu aucun contact avec d’autres civilisations…), respectueux de la nature. Disparu également le mythe de la Belle et la Bête. Le personnage que campe Brie Larson n’a rien d’une blonde écervelée capturée par le gorille et se montre tout à fait apte au combat. Somme toute, ce nouveau King Kong propose enfin une image positive de la nature, sous la forme d’un dieu simiesque bienveillant, protégeant ses enfants humains du monde reptilien (qui, de Pacific Rim à Jurassic World, demeure la figure-repoussoir des blockbusters hollywoodiens).
Kong : Skull Island. Imagerie numérique interdite
... pour beaucoup d’idioties.
Néanmoins, de telles bonnes intentions suffisent-elles à faire un bon film ? On sait qu’elles pavent l’enfer. Sans descendre aussi bas, Kong: Skull Island pâtit lourdement d’une mise en scène à la ramasse. Évoquons rapidement la caractérisation des personnages. Rapidement, puisqu’à vrai dire il y en a très peu. Le choix d’éclater les points de vue et les narrations aurait davantage servi le propos social et écologiste si le récit avait pris le temps de développer la vision de chaque protagoniste. Or, comme beaucoup de blockbusters actuels, Kong: Skull Island cherche à faire rentrer le maximum d’informations en un minimum de temps, ce qui, nécessairement, induit un traitement superficiel des personnages. Ceux-ci basculent soudainement, révèlent une information capitale que rien ne laissait présager ou meurent brutalement parce qu’on ne sait pas qu’en faire. Aussi raciste fût-elle, la version de Peter Jackson avait au moins le mérite de développer durant trois heures la psychologie des personnages et leurs relations. Aussi n’y avait-il ni revirement, ni coup de folie, mais évolution compréhensible de psychés sous tension. Mais ce qui grève Kong: Skull Island, c’est surtout son usage de la synthèse. Pour celleux qui me lisent depuis un moment, vous savez le peu de valeur que j’accorde à la représentation photo-réaliste en images de synthèse, tendance malheureusement dominante dans les blockbusters, d’une part en raison de leur laideur, d’autre part en raison des limitations poétiques qu’une telle pratique implique. Kong: Skull Island a le mérite de cumuler ces deux tares. Et de ce fait, constitue un parfait objet d’étude.
En finir avec l’imagerie numérique
Pourquoi parler de laideur, alors qu’on sait à quel point la subjectivité importe dans le jugement esthétique ? Certain·es diront : « On ne discute pas des goûts et des couleurs ». Ce à quoi je répondrai qu’une technique qui, sous couvert de réalisme, lisse les peaux, gomme les défauts, standardise les corps, est esth-éthiquement laide. La compassion ou le dégoût que nous éprouvons pour des créatures cinématographiques ne viennent-ils pas précisément des imperfections de leur être, signes de leur authentique personnalité ? Ce qui émouvait dans l’interprétation d’Andy Serkis en motion capture dans la version de Peter Jackson ne provenait-il pas des rides, des rictus et des mimiques qui, loin de briser l’illusion cinématographique, en faisait tout le charme ? Quel charme y a-t-il au contraire à contempler des créatures au poil lisse (Kong) ou aux écailles strictement identiques (les varans) ? De deux choses l’une. Soit on considère que l’imagerie numérique, par son essence même, peint bien mieux le merveilleux, à l’instar des machines prodigieuses de Mortal Engines ou des créatures fabuleuses des Animaux fantastiques, qu’une réalité qu’elle écrase, et on rompt alors avec cette idiotie photo-réaliste. Soit, si on veut donner dans le réalisme, il faut ruser d’astuces pour « faire vrai » avec des moyens éminemment faux (robots, stop motion, animation en volume, etc.), dont la bizarrerie invite le spectateur à plonger dans l’intrigante « vallée de l’étrange », source de riches émotions cinématographiques.Armés de leur cuirasse de synthèse photo-réaliste, ces êtres policés crèvent l’écran. Il y a encore une vingtaine d’années, à l’époque des premiers Jurassic Park, la représentation dominante des monstres consistait à les cacher, à les reléguer dans le hors-champ, d’où ils peuvent à loisir hanter la pleine lumière. Nombre de bons films d’horreur ou fantastiques reposent encore sur ce principe vieux comme le cinéma. Comme le muet avant le parlant ou le noir et blanc avant la couleur, la dissimulation du mal n’est pas une contrainte castratrice, mais un jeu stylistique débouchant sur les plus fécondes idées de mise en scène. Or, depuis le début des années 2000 et le développement de l’imagerie numérique, un certain nombre de blockbusters ont rompu avec cette règle et ont volontairement mis au centre de l’écran leurs créatures. Mais un monstre exposé en pleine lumière, aussi puissant soit-il, n’inquiètera jamais personne. On admirera à la rigueur sa force, jamais son potentiel horrifique (à l’instar de cette araignée géante de pacotille). Peut-être faut-il voir dans cet écart de représentation l’influence des kaijunippons, dont Guillermo Del Toro s’est fait le promoteur aux États-Unis avec Pacific Rim et dont le MonsterVerse s’autoproclame héritier depuis Godzilla (2014). Espérons que si la tendance se poursuit à Hollywood, elle gagnera en ambivalence des kaiju, au lieu d’en faire de gigantesques M. Muscles auxquels on ne croit pas une seconde.
Kong : Skull Island. Imagerie numérique interdite
Kong: Skull Island, Jordan Vogt-Roberts, 2017, 1h58
Maxime
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