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Bataille autour du F-35 : un rapport de force informationnel à sens unique

Publié le 04 novembre 2019 par Infoguerre

Bataille autour du F-35 : un rapport de force informationnel à sens unique

« La clause de solidarité de l’OTAN s’appelle Article 5, pas l’Article F-35 ». C’est en ces mots que Mme Parly, ministre française des Armées, s’est exprimée devant le think thank Atlantic Council le 18 mars dernier, pour exprimer ses inquiétudes vis-à-vis de la politique menée par son allié, les États-Unis, au sein de l’OTAN. Le choix d’utiliser le F-35 pour dénoncer la politique de vente d’armement américain auprès des membres de l’OTAN n’est pas anodin. Si l’appareil de Lockheed-Martin fait autant parler de lui dans les médias c’est à la fois pour les nombreuses défaillances et surplus de coût qui lui sont associés et paradoxalement pour sa capacité à remporter des appels d’offres. Pour mieux comprendre le phénomène F-35 et les rapports de force informationnels derrière ce programme il est d’abord nécessaire de comprendre ce qu’est le F-35 et quel est son environnement.

Environnement économique et politique

Le F-35 est un avion de combat furtif multi-rôle de 5ème génération développé et produit par l’entreprise américaine Lockheed-Martin dans la cadre du programme Joint Strike Fighter mené par le Pentagone. Ce programme d’armement, puisque lorsque l’on évoque le F-35 on parle en réalité de 3 appareils différents ainsi que de la mise en réseau de ces appareils, est le plus cher de l’histoire avec un coût estimé à plus de 400 milliards de dollars US auquel il faut rajouter 1 000 milliards de dollars pour l’entretien et la maintenance des quelques 3250 appareils prévus sur les 40 années à venir.

Si Lockheed-Martin est l’entreprise pilier du programme, il faut prendre en considération que ce programme est mené en coopération avec de plusieurs entreprises américaines du secteur de l’armement (BAE Sytems, Northrop Grumman …) ainsi que par une dizaine de pays, majoritairement membres de l’OTAN, notamment le Royaume-Uni et l’Italie. Chaque pays partenaire s’est engagé à commander des F-35 pour sa force aérienne. Ainsi à travers ce programme de chasseur-bombardier les États-Unis ont réussi à impliquer une multitude d’états dont de nombreux européens et à vendre leur avion avant même qu’il ne soit produit.

Le Rafale français, le Grippen suédois et l’Eurofighter d’Airbus sont les principaux concurrents étrangers du F-35 sur les marchés européens mais également internationaux comme en témoigne les appels d’offre du Canada et de l’Inde. À l’intérieur même des frontières des États-Unis, Boeing avec le F/A-18 Superhornet se positionne aussi face à Lockheed-Martin.

À ce jour, plus de 435 F-35 ont été livrés sur près 3250[i] commandés. Si le prix unitaire est en diminution constante (entre – 5% et – 11%, selon la version, entre les commandes de 2017 et de 2018), le chasseur-bombardier américain reste un des plus cher du marché[ii]. De plus de nombreuses défaillances techniques sont régulièrement dénoncées et la méthode d’acquisition des marchés relève plus des leviers politiques aux mains de Washington que de la politique commerciale de Lockheed-Martin.

Attaques informationnelles contre le F-35.

Dans cet environnement ultra-concurrentiel qu’est le marché de l’armement et principalement celui des avions de combat, le cas du F-35 illustre très bien les rapports de forces politiques sous-jacents entre états pour des programmes ayant une portée et des retombées nationales (voir international pour le F-35). Au-delà d’une simple vente d’armement c’est la souveraineté d’un état et sa capacité à produire des armements pour sa défense qui sont en jeu.

Ainsi, le programme d’armement le plus cher du monde à l’heure actuelle, est victime d’un acharnement médiatique et politique de la part de ses opposants. Les critiques viennent à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des États-Unis. Le F-35 fait face à trois formes de critiques de la part de ses détracteurs. La première concerne évidemment le coût et le retard accumulé par le programme. La deuxième concerne les défaillances techniques révélées tout au long du programme et qui, pour certaines, persistent encore aujourd’hui. La troisième concerne la manière dont Washington vend et utilise le F-35 pour maintenir son leadership au sein de l’OTAN notamment mais également pour limiter les tendances nationales à créer ou maintenir un complexe militaro industriel.

Les attaques politiques contre le programme F-35 sont nombreuses aussi bien dans les pays partenaires du programme que dans les pays concurrents comme en témoigne la phrase de Mme Parly reprise ci-dessus. Si Mme Parly choisit l’exemple du F-35 pour dénoncer une certaine politique américaine d’asservissement de ses alliés de l’OTAN via la vente et le contrôle de ses armements, c’est bien car cet appareil est un symbole de cet asservissement. Les États-Unis ont vendu un avion très cher, aux capacités de combat inconnus, avec de nombreux problèmes techniques et ce grâce à des méthodes proches de l’intimidation. En effet, Wikileaks a publié des notes de l’ambassade américaine à Oslo révélant les pressions exercées par les américains auprès de la Norvège afin que ce pays choisisse le F-35 et non le Grippen.

Dans le cadre de l’appel d’offre de la Belgique pour le renouvellement de sa flotte de F-16, la fuite de documents du cabinet du Ministre de la Défense M. Vandeput a encore mis à mal l’image véhiculé par le F-35. En effet, malgré l’appel d’offre lancé par la Belgique et remporté par le F-35 en 2018, le document en question énonce qu’en réalité le choix du F-35 était fait dès 2015. L’une des raisons principales de ce choix tient au fait que, à travers l’OTAN, la Belgique possède la capacité de mettre en œuvre des bombes nucléaires de faction américaines qui ne peuvent être monté que sur des avions américains dont le F-35[iii]. Aussi, si la Belgique avait refusé le F-35, elle aurait perdu une part importante de sa place au sein de l’OTAN et donc de son partenariat stratégique avec les États-Unis.

L’exemple du Canada est tout aussi révélateur de ces rapports de forces. Le Canada est à l’origine un partenaire de niveau trois sur le programme F-35. Toutefois en 2015, au moment de son accession au pouvoir et à la suite des nombreuses critiques émises par les opposants au gouvernement précédents, Justin Trudeau annonce que le Canada n’achètera pas de F-35. Cependant en mai 2019, face aux pressions exercées par Lockheed-Martin, sans doute appuyé par Washington comme ce fut le cas en Norvège, l’appel d’offre concernant l’achat de 88 appareils par le Canada est modifié afin que le F-35 puisse concourir. Cette modification entraine l’immédiat retrait de Boeing et de Airbus considérant que l’appel d’offre est taillé pour le F-35. Le Rafale s’étant aussi retirer pour d’autres raisons[iv], seuls restent en lice le F-35 et le Grippen. Mais pour beaucoup le choix est en réalité déjà fait.

Lockheed-Martin en confiance face aux attaques.

Face à toutes ces critiques, Lockheed-Martin bien que discret en termes de communication a su placer ses pions et dès le début du programme et a tout mis en œuvre pour s’assurer du soutien indéfectible du gouvernement américain. Un point non négligeable de cette stratégie réside dans l’importance que c’est donné Lockheed-Martin en faisant beaucoup plus que la simple fabrication de l’appareil[v]. Cela lui a donné une position telle que celle-ci a pu minimiser voire cacher les défaillances techniques au congrès et ce grâce à l’appui du Pentagone. Tout au long de son développement Lockheed-Martin a reçu un soutien quasi indéfectible de la part des militaires américains mais également des pays étrangers qui ont participé au programme. La promesse d’un appareil révolutionnaire a semble-t-il parfaitement fonctionné sur les militaires qui ont ensuite transmis leurs exigences auprès des politiques, décideurs finaux, à savoir : un chasseur bombardier furtif multi-rôle de 5ème génération donc le F-35 puisque c’est le seul du marché. Sur les différents appels d’offre auxquels le F-35 participe, les militaires du pays acheteurs ne cachent jamais leur préférence pour l’appareil américain face à ses concurrents. C’est donc directement à travers la voix des futurs acheteurs que Lockheed-Martin mène son combat de l’information.

La seule véritable opération de communication menée sur le sujet a été faite suite à un tweet de Trump en 2016 alors que le futur locataire de la maison blanche évoquait le coût « hors de contrôle du F-35 ». Le tweet ayant fait dévisser l’action de Lockheed-Martin Le directeur du programme F-35 M. Babione a donc joué la carte de l’apaisement et son discours est le même que celui qui a toujours été tenu sur le F-35, à savoir que les coûts vont baisser, que c’est un appareil aux capacités exceptionnelles etc. Si son discours peut sembler simpliste, il semble efficace puisque Trump vente aujourd’hui le mérite du F-35, cet avion invisible.

Si la firme Lockheed-Martin semble aussi sur d’elle au point de ne pas avoir besoin de communiquer sur son programme c’est car elle sait bien que le programme F-35 est trop coûteux pour être abandonné (To big to fail) et que de ce fait, le gouvernement américain n’a d’autre choix que de soutenir le projet et de faire le nécessaire pour qu’il soit vendu à l’étranger afin que son coût diminue.

Lockheed-Martin, à travers le programme F-35, a su parfaitement s’adapter à son environnement. L’entreprise a pu notamment s’appuyer sur la puissance politique des États-Unis face aux autres pays pour vendre son appareil. Au sein des États-Unis, et malgré le rôle de supervision devant être joué par un organisme public, c’est en réalité Lockheed-Martin qui a conduit et pris les décisions stratégiques dans le développement du F-35. Le F-35 sort donc vainqueur de ces rapports de force car, soit il faut croire Lockheed-Martin et considérer que son appareil est effectivement un game changer, soit il faut croire ses détracteurs, c’est-à-dire qu’il s’agit un appareil qui ne tient pas ses promesses mais un appareil qui se vend quand même pour 1500 milliards de dollars à plus d’une dizaine de pays.

Julien Surzur

[i] Ce chiffre prend en compte la commande initiale du Canada de 88 avions qui a été ensuite annulée. Toutefois tout porte à croire que le F-35 sera le vainqueur du nouvel appel d’offre.

[ii] Plus de 22 millions de dollars de différence de prix entre un Rafale Marine (M) et son équivalent le F-35C.

[iii] Actuellement le F-35 ne possède toujours pas cette capacité et ne la possédera pas avant 2022.

[iv] La France n’appartenant pas au club des Five Eyes formé par les services de renseignement des États-Unis, de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni, le choix du Rafale par le Canada semblait grandement improbable car cela aurait compliqué les opérations conjointes avec les membres de ce club.

[v] L’entreprise s’est assurée de maîtriser, la formation des techniciens opérant sur le F-35, la gestion des pièces de rechanges, la réalisation et la fabrication de l’équipement des pilots etc.

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