Ceux qui traitent de manière séparée de ce qu’on nomme aujourd’hui « la culture », d’une part et ce qui relève de l’instruction et de l’éducation, d’autre part se condamnent à ne rien comprendre ni à l’une, ni à l’autre.
Au fil du temps s’est imposée une manière de voir et de penser « la culture » partagée par les politiques, techniciens et gestionnaires des affaires culturelles , et les milieux « artistiques », sorte de doxa « éclairée » qui ne correspond d’ailleurs pas à la représentation majoritaire chez le commun des mortels, du moins si l’on en croit les travaux du propre département des études et de la recherche du ministère compétent.
Que recouvre le terme de « culture » dans l’esprit des Français, quelles sont les représentations spontanées qui lui sont associées et à quels registres renvoient-elles ? Pour le savoir, et dans la perspective de la reconduite de l’enquête décennale sur les pratiques culturelles des Français réalisée depuis 1970 par le ministère de la Culture et de la Communication, le Département des études, de la prospective et des statistiques a mené, auprès d’un échantillon de 1 500 personnes représentatives de la population française, une étude sur les représentations et les valeurs associées à la culture.
Les évocations spontanées de mots et expressions pour référer à la culture peuvent être regroupées, selon leur proximité sémantique, en 28 registres. Le premier d’entre eux, mobilisé par 41 % des Français, fait référence au savoir et à la connaissance, le deuxième à la littérature et à la lecture et le troisième à la musique et à la danse. Si l’on observe un consensus autour du patrimoine et des arts, mais aussi des voyages, de la science et de la cuisine comme faisant partie de la culture dans tous les cas, des lignes communes de rejet se dessinent également, excluant du champ culturel les émissions de télé-réalité et les séries télévisées, les jeux vidéo ou les parcs d’attraction.
Quatre grands types de conception de la culture se dégagent : le libéralisme culturel (tout est culturel), l’éclectisme critique (tout est potentiellement culturel, selon certains critères), le classicisme (le champ culturel n’est pas extensible) et l’attitude contestataire (la vraie culture est ailleurs).
(…)
Les représentations de la culture dans la population française.
Jean-Michel GUY Septembre 2016
Accéder au texte de l’étude
Je m’autorise à poursuivre la réflexion engagée dans mon précédent billet De la misère en milieu politique et culturel, en la resituant dans le contexte d’un précédent travail.
La Cité des sens , le blog de Jean-Claude Pompougnac(pages 69 à 73)
La confusion du politique du pédagogique est entretenue non seulement par l’empire du scolaire sur le social mais aussi par la façon dont le personnel politique conçoit son action Quand il s’admoneste lui-même, il emploie comme synonymes ces deux injonctions : « il faut communiquer », « il faut faire de la pédagogie ». Qu’une décision puisse être impopulaire, que l’opinion se révèle rétive aux orientations des gouvernants, que le suffrage des citoyens sanctionne ce qui leur semble être une mauvaise politique et on cherche où est le « déficit de communication ». Les politiques se considèrent comme ces professeurs de mathématiques dont parlait Bachelard, qui ne comprennent pas que l’élève ne comprenne pas. Ils se veulent un peuple d’écoliers, de préférence pas trop mauvais élèves.
Les armes de la politique s’appauvrissent et semblent se réduire au répertoire étriquée de la pédagogie de la séduction.
Cette confusion qui dilue le politique se prolonge dans le développement des « politiques culturelles ». Ce n’est pas d’hier qu’on se préoccupe de diffuser les connaissances après et au dehors de l’école. C’est toute la tradition des œuvres scolaire et de l’éducation populaire si vive et si riche sous la Troisième République, le Front populaire ou à la Libération. Mais les Trente glorieuses auront vu l’État assumer comme une tâche quasi régalienne avec André Malraux, non seulement le soutien aux artistes mais l’érection de ces nouvelles cathédrales que sont les maisons de la culture et, plus généralement le développement de l’action culturelle. Dans le même temps, le divertissement de masse se généralisait dans toutes les catégories sociales et de nombreux phénomènes rendaient moins lisibles les frontières entre haute culture et culture populaire, entre loisir et culture. Du jour où on se préoccupe de mesurer et de qualifier « les pratiques culturelles des Français », on se rend compte que cette étrange démocratisation abouti à des résultats qui ne sont pas à la mesure de l’enthousiasme qui avait conduit l’État à faire du développement culturel une mission aussi noble que l’avait été la scolarisation pour la IIIe République. A tel point que l’on voit le politique mis en accusation à partir de résultat de ces enquête : si les Français vont si peu au théâtre,s’ils lisent de moins en moins ce ne peut-être que de sa faute.
Et l’État ou les collectivités locales se transforment en animateurs visant à la participation du plus grand nombre de Français aux « pratiques culturelles ». Ce ne sont que fêtes et festivals visant à persuader qu’une vie sans théâtre, sans musée, sans patrimoine sans « fureur de lire » ne vaut pas vraiment la peine d’être vécue. Mais pourquoi faudrait-il que l’accomplissement de soi se confonde avec la participation à des « pratiques culturelles ». Si les fêtes constituent de beaux moments de la vie quoi de plus triste que la fête gratuite laïque et obligatoire ?
La démocratie s’honore de la participation des citoyens mais la confusion du pédagogique (ou de sa version culturelle) et du politique n’apporte rien de bon à la démocratie.
Je suspend un instant cette auto-citation (faiblesse que le lecteur voudra bien me pardonner) pour redonner un instant la parole à l‘actuel ministre en charge de la culture.
Invité de France Bleu Provence matin, Franck Riester a souhaité que "les bibliothèques soient des lieux de lecture, mais aussides lieux de culture. Elles doivent offrir plus et ouvrir plus". Le ministre de la Culture qui défend "des horaires d'ouverture élargis", souhaite en faire "des têtes de pont de la culture dans les territoires avec des spectacles, des expositions, des débats".
Nous vivons désormais à l’ère des « éléments de langage », et les algorithmes d’une phraséologie en roue libre, tels des marteaux sans maître, distordent sans vergogne le sens des mots et et des choses.
Qui ne voit que cette absurdité qui énonce que des lieux de lecture pourraient n’être pas des lieux de culture trouve en partie sa raison d’être dans l’hégémonie, au sein du "monde le la culture" de la « création », de la chose artistique et, en particulier, à la domination du spectacle dit « vivant » .
Mon travail portait sur les discours sur l’illettrisme et leur rapport avec la démocratie, la passage cité se concluait ainsi :
Illettrisme : tourner la page; Jean-Claude Pompougnac, 1995A qui me trouverait sévère avec l’actuel « locataire de la rue de Valois » (comme on dit) et pour faire justice, une autre déclaration ministérielle stupide (qui nous ramène -sujet sur lequel je reviendrai- à la question de l’école). Ou, quand une éditrice s’exprime sur France Culture, en énonçant qu’il pourrait y avoir école sans culture !
Françoise Nyssen : "Il est capital que la culture soit à l’école et se diffuse"
Aujourd’hui, il y a une fracture : des populations entières n’ont pas accès à la culture. Notre ambition est donc que cette fracture n’existe plus et il faut commencer dès le plus jeune âge, avec la formation culturelle à l’école, qui est par excellence le lieu de l’égalité. C’est le plan de l’école des arts et de la culture que je présentais à Jean-Michel Blanquer. C'est la première priorité de la politique que je mène. La deuxième, ce sont les territoires et la proximité.
A suivre…
p.s. voir aussi, sur La Cité des sens
à propos d’ un ouvrage de Michel Simonot.
Politiques de la culture : quand les mots changent de sens.
Consultez aussi ces pages sur La Cité des sens.
Liens conseillés.
Lecture et bibliothèques.
Actualités des politiques culturelles.
Création sociale et innovations culturelles
Politiques culturelles : ressources et documents
Textes et contributions de Jean-Claude Pompougnac
Les droits culturels en question (s)