… c’est avec l’anthropologie que je me suis fait chier…
Samuel Beckett
(Sardin, 2009 : 67)
Le hasard m’a mis dans les pattes de Samuel Beckett – un article de Didier Anzieu (1987), son livre trouvé à Saint-Michel dans la foulée (1992), un autre de Pascale Sardin rencontré aux PUB (2009). Je connaissais certaines de ses pièces depuis les années 60 quand Vincent Bioulès qui ne faisait pas pas encore de peinture mais du théâtre, les présentait en liaison avec l’Association des étudiants de gauche de Montpellier.
Le plus frappant dans les textes d’Anzieu et de Salin c’est l’explication de l’oeuvre par la vie. Les relations avec sa mère et quelques autres tribulations expliqueraient les textes de Beckett, sa misogynie par exemple. Je ne m’occupe pas de critique littéraire mais j’ai le sentiment qu’avant d’avancer ce lien aussi stimulant et fécond soit-il, il faudrait le confronter à l’essai posthume, faute d’éditeur, de Proust, Contre Sainte Beuve.
Il refusait d’expliquer l’oeuvre par la vie affirmant, non sans raison, que la création obéit à une logique interne, étrangère aux contingences extérieures : « Tout dans l’individu, chaque individu recommence, pour son compte, la tentative artistique ou littéraire » (Proust, 1987 : 124). Dans l’accès à l’oeuvre d’art, Proust refuse ainsi toute nécessité sociale ou psychologique. Selon lui, la critique littéraire ou artistique ne devrait s’occuper que des obstacles que le créateur rencontre et les façons dont il les surmonte. Seule la logique interne de l’oeuvre mérite examen.
C’est d’ailleurs ce que fait Adorno (2009) qui une fois de plus, nous indique le chemin. Avec Proust, il essaie d’expliquer Beckett en s’appuyant sur une seule pièce, Fin de partie. Il confronte ce texte avec les questions que pose la philosophie, expliquant par exemple les contradictions des personnages par la situation existentialiste – de Jasper à Sartre – qui sert à dissoudre toute identité : « je suis dix, je suis cent » disait le personnage de Pirandello dans Personnages en quête d’auteur, quelques décennies avant les absurdités de Beckett. Mais peut-être retrouvons-nous le dilemme bien connu des anthropologues entre le « regard extérieur » et le point de vue indigène ? La désignation donne la réponse.
Bernard Traimond
ADORNO, Theodor, « Pour comprendre Fin de Partie » dans Notes sur la littérature, Paris, Champs essais, 2009.
ANZIEU, Didier, « Pour une lecture psychanalytique des romans de Samule Beckett » dans Michel PICARD, La lecture littéraire, Paris, Glancier-Guénaud, 1987.
Beckett et le psychanalyse, Paris, Mentha Archenbaud, 1992.
PROUST, Marcel, Contre Sainte-Beuve, Paris, Folio essais, 1987.
SARDIN, Pascale, Samuel Beckett et la passion maternelle ou l’hystérie à l’oeuvre, Pessac, PUB, 2009.