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Nouvelles polémiques autour de l’utilisation de la cigarette électronique

Publié le 21 novembre 2019 par Infoguerre

Nouvelles polémiques autour de l’utilisation de la cigarette électronique

Cela fait dix ans que la cigarette électronique, aussi appelée e-cigarette ou vapoteuse, a fait son apparition. C’est un pharmacien Chinois, Monsieur Hon LiK, qui imagine l’appareil, mais malgré la protection de son invention, la cigarette électronique est copiée et déclinée sous différentes formes vendues sur un marché florissant qui aujourd’hui implique de nombreux acteurs.

La cigarette électronique, un marché en forte croissance

En France, c’est à partir de 2012 que les ventes explosent. On compte aujourd’hui plus de trois millions de consommateurs. Les commerces spécialisés se multiplient et des associations professionnelles et d’usagers (comme AIDUCE ou SOVAPE) sont désormais très actives dans les médias et auprès des pouvoirs publics pour démocratiser son utilisation. Le verbe « vapoter » fait même son entrée dans le dictionnaire en 2015.  Le tabac et ses lobbies sont la cible depuis des décennies des associations de consommateurs (comme le Comité National contre le tabagisme) et des pouvoirs publics (par exemple, par la mise en place de la loi Evin). Le tabagisme est considéré comme un facteur important favorisant différents types de cancers, causant le décès en France de 75 000 personnes par an. Aujourd’hui, les taxes sur le prix des cigarettes ainsi qu’un packaging très agressif, montrant des images de maladies liées à l’usage du tabac, ont rendu ce produit moins accessible et moins attractif. Les ventes diminuent, la consommation baisse et certains anciens fumeurs ou fumeurs occasionnels se rabattent sur la cigarette électronique considérée comme moins dangereuse pour la santé.

Les forces en présence, les lobbies du tabac

Du côté des lobbies marchant pour l’industrie du tabac on peut aisément trouver trois acteurs qui ont tout intérêt à s’unir :

  • – Les quatre multinationales qui contrôlent plus de 95 % du marché français : Philipp Morris (Malboro), British American Tobbacco (Lucky Strike, Dunhill), Imperial Tobbacco (Gauloises, News) et Japan Tobbaco (Camel, Winston).
  • – Les buralistes, qui ont en France le monopole de la vente de cigarettes en passant un contrat de gérance avec l’État. Ceux-ci sont très actifs contre les hausses successives du prix du paquet de cigarettes, provoquant des mouvements de contestations de la profession (fortement aidée par les lobbies du tabac). Ils dénoncent une concurrence déloyale issue des pays limitrophes ayant une politique plus souple en matière fiscale ainsi qu’une concurrence venant d’un marché parallèle très peu réprimé, tenu par de véritables systèmes mafieux. En déclin depuis des années, le nombre de débitants de tabac est de 24 500 en 2018 (réseau de vente officiel), 9 000 bureaux de tabac ayant fermé depuis 2000.
  • – Les pouvoirs publics, notamment le ministère des Finances, récoltent, sur les 18 milliards d’euros que génère chaque année l’industrie du tabac, 15 milliards sous forme de taxes. On comprend sa réticence à soutenir des mesures qui ferait baisser trop fortement la consommation de tabac et donc ses recettes fiscales… notamment via des soutiens auprès du parlement qui ont le pouvoir sur le terrain législatif de faire passer ou bloquer des lois contraires aux intérêts des marchands de tabac.

La polémique de l’été 2019 a jeté le trouble dans les esprits

Cet été, aux États-Unis, de nombreux accidents (400 hospitalisations) et 7 morts ont été attribués à la consommation de la cigarette électronique. Depuis quelques mois les jeunes lycéens Américains (qui représentent 30 % des utilisateurs en 2019) se sont rués sur les cigarettes électroniques et sur la consommation des produits aromatisées. Ces primo-consommateurs ne sont pas les consommateurs classiques de tabac et le vapotage du liquide parfumé présente un taux de nicotine qui engendre l’addiction.

Le nombre d’accidents recensé, assez élevé, avait pour but d’interpeller les consommateurs. En effet, sur les 400 personnes hospitalisées, souffrant d’infections pulmonaires soudaines et parfois graves, il s’avère que plus de 80 % d’entre elles avaient en fait inhalé des substances illégales, notamment de l’huile de cannabis achetée en grande partie sur Internet. On peut donc facilement conclure que c’est la consommation de produits interdits qui est en cause, mais ce n’est pas si simple, car 20 % des cas n’a pas d’explications. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention ou CDC) ont communiqué massivement sur ce sujet en créant une suspicion auprès des consommateurs.

Rappelons que la cigarette électronique a avant tout été proposée aux consommateurs de tabac comme un substitut à la cigarette classique. Substitut qui a bénéficié du soutien d’une partie du corps médical, notamment des pneumologues, certains addictologues pensent même que son utilisation est le meilleur moyen de sevrage comparé aux autres produits de substitution (gomme à mâcher, patch). En 2018, en France, on dénombrait 14,5 millions de fumeurs de tabac dont 11,5 millions de fumeurs réguliers.

Les inquiétudes sur l’utilisation de la cigarette électronique ont traversé l’Atlantique. Le début de polémique a fait l’objet d’une riposte d’une partie du corps médical français. C’est dans ce sens que le professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Pitié-Salpêtrière à Paris et tabacologue, se veut rassurant en déclarant le jeudi 19 septembre 2019 sur France info que « l’on peut avoir confiance dans les produits qui ont une marque et une adresse en France ». S’agissant du taux de nicotine absorbée, il faut relativiser et montrer les différences entre ce qui est réglementé aux États-Unis, qui autorise jusqu’à 60 milligrammes de nicotine dans les produits, tandis qu’en France la règlementation interdit de vendre au-dessus de 20 milligrammes.

Nouvelle stratégie des cigarettiers, remplacer une addiction par une autre ?

Malgré l’importance des lobbies des cigarettiers freinant les pouvoirs publics dans leur quête de protection de la population face au tabac, le marché est en perte de croissance. Les cigarettiers ont senti le vent tourné. Ils se sont adaptés, tout en conservant leur marché historique classique, ils ont investi sur le marché de la cigarette électronique avec différentes stratégies. Ils ont attaqué de front ce nouveau créneau en vendant leurs propres appareils et produits générant des aérosols contenant de la nicotine et du tabac a chauffé (il s’agit notamment des produits iQOS de Philip Morris International, Ploom de Japan Tobacco International, Glo de British American Tobacco, et des vaporisateurs PAX de PAX Labs). Ils ont également pris des participations ou racheté des sociétés de fabrication de cigarettes électroniques ou des contenants (par exemple le rachat de 35 % du capital de la société JULL par Altria pour 12,8 milliards de dollars, qui valorise cette start-up à 38 milliards de dollars en 2018).

Ces entrées sur le marché permettent le lancement de nouveaux produits directement contrôlés par les cigarettiers. Ils mettent en avant la possibilité de vapoter des produits à base de nicotine et de substances parfumées de nature à séduire un consommateur toujours plus jeune, en s’aidant d’un packaging et attirant mettant d’accent sur le côté parfumé (à base de fraise, de mangue…), tout en minorant les effets de dépendance à la nicotine.

Ce regain de méfiance est-il justifié ?

Une grande majorité d’addictologues reste favorable à la cigarette électronique comme moyen de substitution et de sevrage tabagique, tout en préconisant une utilisation restreinte sur le temps (environ deux ou trois ans). Les rapports provenant des organismes internationaux sont également plutôt favorables à ce type de moyens de substitution. Cependant le dernier rapport de l’OMS qualifie la cigarette électronique « d’incontestable nocive » et les autorités françaises restent attentives, notamment Santé public France qui surveille la situation auprès des professionnels de la santé sur le terrain afin de collecter des informations sur des cas d’intoxications lié à la cigarette électronique.

Certains États aux États-Unis (comme New York) vont plus loin et interdisent l’utilisation des cigarettes électronique et la consommation des produits, tout comme certains pays d’Asie du Sud comme l’Inde. Ce dernier cas est intéressant à étudier. Les autorités du pays ont décidé par ordonnance d’interdire la production, l’import, l’export, le transport, le stockage et la vente de cigarettes électroniques. Seulement, il ne faut pas oublier l’importance du marché du tabac en Inde. Comme le rappelle l’OMS, ce pays est le troisième producteur mondial de tabac, et ses cultivateurs représentent un électorat clé pour les partis politiques. L’association des chambres de commerce et d’industrie estime que 45,7 millions de personnes dépendent du secteur du tabac en Inde. Le pays a exporté pour près d’un milliard de dollars de tabac vers une centaine de pays en 2017-2018. Le gouvernement possède aussi des parts substantielles, directement ou indirectement, dans des entreprises du monde du tabac comme ITC, l’un des plus gros cigarettiers du pays. Toujours selon l’OMS, l’Inde représente le deuxième plus grand consommateur au monde de produits du tabac, qui y tue près de 900 000 personnes chaque année. Près de 275 millions d’Indiens de plus de 15 ans, soit 35 % de sa population adulte, en consomment. Chiquer du tabac y est nettement plus courant que fumer des cigarettes, et moins onéreux. Cet exemple montre les enjeux d’une interdiction de la cigarette électronique pour un pays qui, au-delà de protéger sa population et lutter contre les addictions, cherche surtout à protéger un marché et sa stabilité.

Pas d’étude fouillée sur les conséquences pour l’homme

Plusieurs médecins et scientifiques soulignent la difficulté d’aboutir à des conclusions claires issues des études sur l’utilisation de la cigarette électronique pour la santé humaine. « Même si une étude est bien faite pour l’animal, c’est compliqué de tirer des conclusions pour les humains », explique Emmanuel Wiernik, chercheur en épidémiologie. Il faudrait compléter cette étude avec un modèle in vivo, sur des cellules pulmonaires humaines. Une chose est sûre : il n’y a pour le moment aucune étude fouillée sur les conséquences de la cigarette électronique sur l’homme. Les chercheurs manquent de recul car elle n’est utilisée que depuis le début des années 2000. « La difficulté, c’est que les personnes qui vapotent sont d’anciens gros fumeurs donc c’est compliqué d’analyser ce qui est en cause s’ils développent des cancers ou des pathologies », ajoute Emmanuel Wiernik. Le très grand nombre d’études publiées sur la question sont « pour la plupart biaisées, selon que les chercheurs soient pro ou anti-cigarette électronique », déplore le professeur Dautzenberg. « Le débat n’est pas serein parmi les scientifiques, les études sont à charge », regrette aussi Emmanuel Wiernik.

La cigarette électronique moins nocive que le tabac

Il existe cependant deux consensus dans la communauté scientifique. D’abord, les émissions de cigarettes électronique sont « moins nocives » que la fumée issue de la combustion du tabac, selon Santé Publique France. « Tous les scientifiques qui travaillent sur le sujet s’accordent pour dire que la cigarette électronique est moins toxique », appuie Sébastien Anthérieu. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est inoffensive : « On sait qu’elle induit des inflammations des cellules pulmonaires. ». L’autre consensus porte sur l’utilité de la cigarette électronique dans l’aide au sevrage tabagique. L’étude de l’Inserm publiée en mai 2019 conclue que la cigarette électronique permet aux fumeurs de réduire leur niveau de tabagisme ou d’arrêter de fumer. L’AP-HP a lancé une étude sur le même sujet. Ainsi par manque de recul les questions sans réponses sont nombreuses.

Qui se cache derrière cet écran de fumé ?

Il est intéressant de noter que les inquiétudes, les doutes pesant sur l’utilisation de la cigarette électronique, au-delà du versant santé, peuvent être en partie orchestrés, notamment par le lobby du tabac, et en conséquence certains États. Il n’est pas non plus interdit de penser que des marques de cigarettes électroniques, aujourd’hui très puissantes, essaieraient grâce à ces crises d’imposer leurs normes auprès du pouvoir politique et législatif pour imposer une standardisation de la cigarette électronique et des produits pour éviter la multiplication des modèles sur le marché.

Laurent Delorme

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