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Depuis 2013 et Gravity et encore plus 2014 avec la sortie magistrale d'Interstellar, l'un des films qui donnèrent à l'auteur de ces lignes l'envie de monter le blog que voici, un genre qu'on croyait relégué aux oubliettes du cinéma des années 60 a fait son grand retour : le film spatial. Depuis le blockbuster de Christopher Nolan, quantité de cinéastes et d'acteur·rices américain·es se sont prêté à l'exercice : Denis Villeneuve, Amy Adams et Jeremy Renner dans Premier contact (2016) ; Damien Chazelle, Ryan Gosling et Claire Foy dans First Man (2018) ; et dernièrement, James Gray, Brad Pitt et Tommy Lee Jones dans Ad Astra (2019). À ces films d'auteur - bien qu'ils bénéficient d'un budget conséquent, on reconnaît une patte singulière qui résiste aux impératifs des studios - s'ajoutent quantité de productions industrielles, américaines pour la plupart (The Cloverfield Paradox, Life : origine inconnue) mais également chinoises (qu'on songe à The Wandering Earth, blockbuster chinois acheté par Netflix en 2019), qui reprennent en les actualisant les traits stylistiques d'un cinéma plus classique.
Espace et élégie
Je précise d'emblée ce que j'entends par "film spatial". Tout film se déroulant dans l'espace ne rentre pas dans cette catégorie. Adieu donc les space-operas, qui considèrent l'univers comme un autre terrain de décors et d'aventures, et les invasions extraterrestres, qui mettent en scène la conquête de la planète par une espèce étrangère. Tout l'inverse des films spatiaux, qui, envisageant l'espace comme l'ultime frontière, l'altérité absolue, en viennent à questionner la notion même d'humanité.
La sélection de films qui suit, autant partielle que partiale, s'efforcera de montrer les spécificités du renouveau du film spatial. Genre au service de la propagande aussi bien états-unienne que soviétique lors de la course à l'espace, il a au moins depuis Contact (Robert Zemeckis, 1997) radicalement changé de style. Désormais domine la tonalité intimiste à dominante élégiaque. Au cœur des effets spéciaux les plus spectaculaires se niche une touche de sentimentalisme. L'espace le plus désert devient l'endroit idéal où l'héroïne ou le héros se révèle à la fois comme individu fragile et comme représentant de son espèce.
Commençons par Interstellar, donc. Grande épopée cosmique, le film de Christopher Nolan articule le privé et l'universel à travers le drame de la famille de Cooper (Matthew McConaughey), séparée par l'espace et le temps. Dans la lignée des personnages de Jodie Foster dans Contact et de Sandra Bullock dans Gravity (Alfonso Cuáron), Cooper - à la différence qu'il s'agit d'un homme, père de famille veuf - emporte avec lui la mort dans son odyssée spatiale. Bien qu'il surmonte le deuil en conciliant son devoir de sauver l'espèce humaine et sa relation avec sa fille (Jessica Chastain), il augure un nouveau type de héros masculin : brisé, mutique, à mille lieux des standards de représentation de la virilité à Hollywood.
Les larmes de l'épopée
Très proche d'Interstellar dans ses thématiques et dans sa forme, Premier contact a une beauté qui en diffère cependant. Denis Villeneuve insuffle à son film une veine nostalgique, qui transpire dans les choix audacieux de narration, dans un montage à la sensibilité à fleur de peau, dans les tons grisâtres de la photographie et dans la musique déchirante du regretté Jóhann Jóhannsson. Ce style marquera particulièrement les œuvres postérieures et les élans épiques qui subsistaient encore dans Gravity et Interstellar s'effaceront progressivement au bénéfice d'une intériorisation du drame. Dorénavant, le film spatial regardera sa gloire passée les larmes aux yeux, comme si l'épopée n'était plus qu'un souvenir inatteignable.
Nul film autre que First Man ne marque mieux ce passage de flambeau entre deux époques. En revenant sur le mythique programme Apollo, des débuts de la course à l'espace américaine jusqu'à l'alunissage le 21 juillet 1969, Damien Chazelle s'attaque à un moment-clé de l'histoire du XXe siècle. Et relève le défi avec brio en refusant de verser dans la légende dorée et l'hagiographie patriotique. Le Neil Armstrong qu'incarne un Ryan Gosling plus taiseux que jamais est un être hanté par la mort. Un spectre plus qu'un être vivant, qui n'a jamais réussi à faire le deuil de sa fille morte en bas âge. Chazelle dépouille la geste spatiale de ses oripeaux épiques et la laisse aussi nue que les hommes qui l'ont faite.
C'est justement à ce qui reste de l'humanité que s'intéresse Ad Astra. Dans cette version contemporaine de L'Odyssée, Brad Pitt s'aventure dans une galaxie rongée par une colonisation humaine effrénée, "dévoreuse de mondes". Au milieu de cet amas de débris se pose la question cruciale : est-on encore humain en dehors de la Terre ? à quel point l'appareillage technologique pèse-t-il sur les relations sensibles ? James Gray a eu beau disposer d'un budget conséquent de la Fox, il cantonne le caractère spectaculaire de la conquête spatiale à l'arrière-plan, comme un décorum à ce qui prime vraiment : une quête initiatique, à la recherche d'un soi et d'une innocence perdus.