Des chercheurs ont établi la chronologie précise du processus qui, à partir de l’arrêt cardio-respiratoire, conduit à l’arrêt définitif du système nerveux central. Il culmine dans une ultime vague électrique se propageant à travers le cerveau. Cet article est issu du magazine Sciences et Avenir n°873 daté novembre 2019.
Concrètement, dans les 20 secondes qui suivent l’arrêt du cœur - et donc de la circulation sanguine -, le cerveau n’est plus irrigué par le sang oxygéné.
Publié le 23.11.2019 à 17h00 par Hugo Jalinière
"La disparition irréversible de l'activité cérébrale." C'est ainsi que l'Organisation mondiale de la santé définit la mort.
L'arrêt cardio-respiratoire qui empêche l'oxygénation de l'organisme constitue, lui, une mort dite clinique : elle est réversible tant qu'une activité cérébrale, aussi ténue soit-elle, est encore possible. Se demander comment la mort survient revient donc à savoir par quel processus le cerveau vient à s'éteindre définitivement. Un sujet d'étude ô combien délicat, puisque lors de l'instant fatidique, l'heure est plutôt à la réanimation qu'à l'observation !
C'est pourtant ce mystère de la mort comme processus irréversible qui a été résolu par une équipe internationale de neuroscientifiques. Ces derniers ont pu observer au plus près, chez l'humain, ce qui se passe lorsque le cerveau rend sa dernière impulsion. Mieux, les chercheurs dirigés par le Pr Jens Dreier, du Centre de recherche sur les attaques cérébrales de l'hôpital universitaire de la Charité à Berlin (Allemagne), ont pu établir une chronologie précise du processus qui se déroule entre l'arrêt cardio-respiratoire et l'arrêt définitif du système nerveux central. Soit… dix minutes. Et la mort ne se manifeste pas comme une extinction progressive des neurones, les cellules nerveuses cérébrales, mais plutôt comme b[une ultime vague électrique très intense se propageant à travers tout le cerveau.
Concrètement, dans les 20 secondes qui suivent l’arrêt du cœur - et donc de la circulation sanguine -, le cerveau n’est plus irrigué par le sang oxygéné : la victime perd conscience et ne respire plus. Dans son cerveau, les neurones, alertés par cette perte d’énergie soudaine, se mettent en veille. Ils fonctionnent "à l’économie" durant deux à cinq minutes grâce aux mitochondries, les centrales énergétiques des cellules. Le cerveau, comme en état de sidération, cesse toute activité apparente : l’encéphalogramme est plat… mais il n’est pas encore mort. Après cinq minutes maximum de cet attentisme, les premiers neurones "dépolarisent". Autrement dit, ils se manifestent par un dernier "sursaut" : une ultime variation de leur potentiel électrique qui se matérialise par le relâchement d’ions potassium et de glutamate, l’un des neurotransmetteurs les plus importants du système nerveux central.
Ce phénomène, d’abord localisé, entraîne une réaction en chaîne qui conduit les neurones à "s’illuminer" une dernière fois, de proche en proche. Ultime chant du cygne, le cerveau est parcouru par cette "vague de dépolarisation terminale" qui se propage à la vitesse de 50 micromètres par seconde, soit 3 millimètres par minute. La disparition irréversible du potentiel électrique des neurones entraîne enfin leur désagrégation rendant tout le milieu extracellulaire hautement toxique. C’est la mort inéluctable.
Des électrodes au contact même du cerveau
Cette étude publiée dans Annals of Neurology, a été réalisée sur neuf patients, admis en soins intensifs pour des atteintes cérébrales très sévères : trois anévrismes cérébraux, une embolie cardiaque et cinq traumatismes crâniens dont un provoqué par une balle. Des atteintes si graves qu’elles impliquaient l’activation d’un protocole de non-réanimation, suivi de l’arrêt du maintien en vie artificielle. Mais avant cela, les neurologues ont déployé un monitorage des cerveaux par "électrocoticographie". Une technique qui, comme l’électroencéphalographie (EEG), mesure les variations de potentiels électriques dues à l’activité des neurones. À ceci près, que les électrodes ne sont pas placées sur la surface du crâne mais au contact même du cerveau, permettant l’enregistrement de très basses fréquences qui ne traversent pas l’os crânien et sont donc imperceptible à l’EEG.
Car, contrairement à ce qu’on pense, "l’électroencéphalogramme plat ne signifie pas forcément que les cellules nerveuses ne sont plus actives", explique Jens Dreier. C’est ainsi que les chercheurs ont pu "enregistrer" la mort. Certes, cette étude étonnante - pour ne pas dire glaçante - repose sur l’analyse de cerveaux déjà sévèrement touchés. Mais elle confirme d’autres observations réalisées sur l’animal. "Nous pouvons étendre ce phénomène aux victimes en arrêt cardio-respiratoire sans lésion du cerveau, explique le Pr Dreier. Ce tsunami cérébral est la réponse fondamentale à l’épuisement énergétique de la matière grise dans le système nerveux central."
Difficile en revanche d’obtenir un parcours type pour cette vague de dépolarisation dans un cerveau non lésé. Il est donc impossible encore aujourd’hui de déterminer quelles zones du cerveau sont "touchées" en premier et donc de savoir dans quel ordre les fonctions disparaissent ni pourquoi tel ou tel patient, sauvé in extremis, garde telle ou telle séquelle neurologique. "Chez le rongeur, c’est le cortex somatosensoriel [qui collecte toutes les données sensorielles de l’organisme] qui est le premier concerné, mais il est difficile d’en faire une règle générale. La vague finale peut débuter ailleurs", explique le neurologue.
Certaines zones cérébrales davantage endommagées
Les chercheurs ont tout de même pu établir que certaines zones cérébrales sont plus sensibles à l’anoxie (absence d’oxygène) que d’autres. Celles qui reçoivent habituellement plus de sang oxygéné et dont la densité neuronale est élevée sont ainsi davantage susceptibles d’être endommagées en premier. C’est le cas des lobes temporaux où se trouve l’hippocampe, structure connue pour son rôle dans la mémoire ; mais aussi le carrefour temporo-pariétal. La stimulation électrique de cette petite région a d’ailleurs provoqué chez les participants à une étude (2005) une perception d’expérience extracorporelle similaire à celle rapportée par des patients ayant vécu une expérience de mort imminente (EMI, lire p. 40). "L’hypothèse que la vague de dépolarisation finale soit à l’origine de ces phénomènes est en effet crédible", confirme Jens Dreier.
À la toute fin de notre vie, c’est donc une vague qui nous emportera…
Par Hugo Jalinière
N.D.L.R
On peut donc répondre enfin à cette question que les hommes se posent depuis la nuit des temps : la mort, c'est un tsunami cérébral. Une ultime vague électrique très intense se propageant à travers tout le cerveau.