Un article paru sur le site de l’UFC Que Choisir, et rédigé en collaboration avec la Confédération paysanne, met en cause le fonctionnement de la loi alimentation (loi EGAlim). Il condamne la grande distribution et l’industrie sur leurs pratiques de marges au détriment des consommateurs et des producteurs. Il dénonce également l’attentisme coupable du gouvernement et des politiques. Cette attaque informationnelle cherche à rééquilibrer les forces en faveur des producteurs et des consommateurs à l’approche de ces dernières semaines de 2019. Pourquoi maintenant et que cherche à déstabiliser cette attaque ? Quels sont les objectifs et les buts à atteindre en cette fin d’année auprès des politiques, des distributeurs et des industriels ? Nous allons y répondre dans la suite de cet article.
Présentation de L’UFC – Que Choisir et de la Confédération paysanne
L’Union Fédérale des Consommateurs (UFC) – Que choisir est une association à but non lucratif (loi de 1901), fondée en 1951 par André Romieu. Aujourd’hui, l’association regroupe plus de 150 associations locales (la liste exhaustive est consultable sur le journal officiel), 5000 bénévoles et 130 salariés. 93,1 % des revenus de l’association proviennent de la vente des produits de presse avec un rapport d’indépendance de 98,95 % (source rapport de gestion, sur activités 2017 : assemblée générale des 2 et 3 juin 2018). Sur leur site QueChoisir.org, les activités officielles de l’association sont des « enquêtes, tests, combats judiciaires, actions de lobbying (…) au service des consommateurs pour les informer, les conseiller et les défendre ». La Confédération paysanne est un syndicat agricole (depuis 1987), représentatif au niveau national (présente dans 94 départements, y compris les départements d’outre-mer, et dans 22 régions). Elle obtient 20 % des voix lors des élections aux chambres d’agriculture de 2019. Elle est classée à gauche alors que le premier syndicat agricole, la FNSEA, est classé à droite.
La Confédération paysanne milite pour une agriculture paysanne via notamment la FADEAR (Fédération des Associations pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural). Elle se bat pour une reconnaissance du droit à la souveraineté alimentaire en étant membre de l’ECVC (La Coordination européenne Via Campesina) et de La Via Campesina (mouvement international qui coordonne des organisations de petites et moyennes structures paysannes). Les dernières actions majeures de la confédération sont l’accusation d’évasion fiscale de Lactalis en saisissant le Parquet national financier en 2019, la manifestation contre les achats de terre en France par la Chine en 2018 et plus lointainement maintenant sa mobilisation contre le projet de ferme des milles vaches en 2013-2014.
Présentation de la loi EGAlim (ou loi Agriculture et Alimentation)
La loi alimentation découle des Etats généraux de l’alimentation (abrégés en EGA ou en EGAlim) lancés par le président Emmanuel Macron le 20 juillet et clos le 21 décembre 2017. En étaient sorties des dizaines de propositions venant des représentants des filières agricoles, agroalimentaires, des distributeurs, des consommateurs et des associations issues de la société civile. Ces propositions devaient servir de trame pour la loi dont l’objectif était de trouver un vrai équilibre dans les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et favoriser une alimentation saine, durable et accessible à tous. A la suite d’un travail d’influence et de lobbies, des milliers d’amendements ont ensuite été déposés par les députés et les sénateurs lors de son examen, pour aboutir en définitive, à un texte en faveur des distributeurs et des industriels. Cette loi Alimentation est critiquée de toutes parts quant à son efficacité, que ce soit sur le revenu des agriculteurs ou l’amélioration de la qualité des aliments. Elle est aussi critiquée quant à l’effet inflationniste provoqué sur les produits achetés par les consommateurs.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, annonce les deux principales mesures de la loi agriculture et alimentation, le 11 octobre 2017 à Rungis :
- Le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) pour une période de 2 ans. Cette disposition impose à la grande distribution de réaliser une marge minimale de 10 % sur les produits alimentaires. L’objectif de cette disposition était, pour le gouvernement français et Emmanuel Macron, de financer par « ruissellement » le revenu agricole des producteurs. Mais cela était conditionné, avant tout, par l’engagement des distributeurs et industriels, à une modération de leurs marges.
- Le rééquilibrage des conditions de négociations commerciales. Cette mesure était censée empêcher que la distribution ne continue à imposer aux agriculteurs des tarifs d’achat en-dessous des prix de revient. Pour cela elle prévoyait notamment que les organisations de producteurs puissent négocier directement avec la distribution un prix plus rémunérateur, visant à être supérieur au prix de revient.
Analyse des points attaqués
Deux ans après le discours de Rungis d’Emmanuel Macron et un an après la mise en place de la loi EGAlim, l’étude dresse un bilan des deux mesures phares de la loi alimentation.
- Sur le seuil de revente à perte (SRP) de 10% sur les denrées alimentaires. Ne soyons pas naïfs : sans obligation, encadrement et contrôle, il semble peu viable de croire que les distributeurs et industriels (ainsi que leurs actionnaires) répercutent les marges supplémentaires, induites par cette disposition, sur les producteurs.
- De plus, elle a un impact inflationniste certain sur les consommateurs et concerne majoritairement les produits transformés de grande marque (pour lesquels, la part de la matière première agricole est faible dans le prix payé par le consommateur).
- L’étude démontre, de manière chiffrée et factuelle, que les producteurs et le consommateur ne s’y retrouvent pas et que les industriels et la grande distribution n’ont pas tenu leurs engagements et continuent le dumping des revenus agricoles. Pour exemple, le lait UHT : alors que les consommateurs paient le lait 4 % plus cher, le prix revenant à l’éleveur a diminué de 5 % depuis 2017, et la marge des distributeurs et transformateurs a au contraire augmenté de 8 %. Le résultat est sans appel : les producteurs vendent toujours à perte, l’écart entre le prix de revient à la production (qui devrait être en conventionnel à 400 euros la tonne) et le prix du marché (340 euros la tonne) est de 15 %.
- Le rééquilibrage des conditions de négociations commerciales. Sans moyens pour sa mise en œuvre et un contrôle spécifique sur le terrain pour vérifier son application, on constate que la grande distribution et certaines branches industrielles, notamment l’industrie laitière, n’ont aucunement assoupli leurs pratiques de négociation et répondent difficilement à leur obligation de transparence (publication des comptes, transparence des négociations et des contrats tripartites).
Pour exemple, en 2019, au niveau de l’industrie alimentaire, le bilan des négociations publié en avril par l’Observatoire des Négociations Commerciales, montre que les distributeurs ont imposé une baisse moyenne des tarifs de 0,4%, alors que les industriels ont demandé une hausse moyenne de 4%. Ce fait a conduit les syndicats professionnels de l’industrie à dénoncer publiquement le non-respect des distributeurs sur les engagements de Rungis. Comme le dit Richard Panquiault, directeur général de l’ILEC : « Une meilleure rémunération de l’amont agricole reste (…) un objectif largement hors d’atteinte … [faute de] revalorisation des prix nets en rapport avec leurs coûts en matières premières ». Au niveau des producteurs, les industriels n’ont pas intégré dans les contrats le prix de revient permettant de garantir aux organisations de producteurs des volumes et des prix rémunérateurs (prix de vente 15% en dessous du prix de revient pour le lait et 14% en dessous pour la viande). Et la tendance n’a pas l’air de s’améliorer : « Certains très gros industriels du lait se refusent à passer la deuxième hausse des tarifs pour mieux rémunérer leurs agriculteurs », dénonce Thierry Cotillard, président d’Intermarché, lors des Assises de l’agriculture du 15-16 octobre dernier.
La transparence, condition préalable d’une répartition équitable des marges vers les filières agricoles, n’est pas tenue. Cela s’explique par le fait que la loi agriculture alimentation ne contient aucune disposition permettant de connaître les niveaux de marges nets réalisés par les industriels et les enseignes de la grande distribution, alors que c’est la mission de l’Observatoire de la Formation des Prix et des marges (créé suite à la crise du revenu agricole de 2008). L’obligation de publication des comptes n’est pas respectée. Le tout étant induit par le manque de volonté des pouvoirs publics de déployer des contrôles officiels et d’appliquer des sanctions dissuasives, en cas de non-respect de la loi et de prix producteurs en-dessous du prix de revient (exemple : mise en demeure de Lactalis de publier ses comptes 2018 par la Confédération Paysanne et pas par l’Etat).
Objectifs de cette attaque par l’information
Les semaines et mois à venir, en termes de stratégie et d’intelligence économique, méritent toute notre attention pour voir si un rééquilibrage en faveur des producteurs sera réellement concluante car cette attaque et bien placée dans le temps mais pas suffisante à elle seule pour faire bouger les politiques et faire infléchir les distributeurs et les industriels. Cela nous donnera aussi une vision de la maturité et de l’efficacité de la filière agricole sur la guerre par l’information et la mise en place d’une stratégie du fort au faible.
Tomislav Pautard
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