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« Le soir du combat, tu sentiras comme une piqûre d'insecte. C'est l'amour-propre qui te turlupinera. L'amour-propre tu l'emmerdes ! L'amour-propre fait mal, il ne sert jamais à rien. Au cinquième round tu te couches. » Marsellus Wallace. Pulp Fiction Cela faisait un moment que je me couchais.
Pourtant il me fallait faire le joint avant le repos d'un guerrier affamé. Un dernier contrat de 6 mois, dernier combat avant la retraite. Le combat de trop ? Dès vingt heures au plumard pour embaucher à quatre. Le jour d'aprés n'était distant que de quelques heures de mauvais sommeil!
Je n’avais même plus la sensation de marcher debout au lever encore épuisé. Prés d'une compagne réduite à faire des sandwichs, je rampais dans cette fin de vie pour me relever dans celle d’après. Gràce à elle qui m'assurais de doux réveils en me faisant gagner du temps sur l'intendance, je rejoignais chaque matin au plus tôt le gros de la troupe qui formait le rang, où je n’étais plus cette tête décalée sur le coté cherchant à voir, au loin, la ligne d’horizon avec une curiosité puérile.
Bien calé au chaud sans l’exposition à tous les dangers des responsabilités, j’avais trouvé une planque bien décidé à ne pas faire de vagues. Toutefois peu soucieux d’un confort poisseux, j’agissais plus par défi que par contrainte et j’étais aux premières loges pour assister au lever du soleil sept jours sur sept avec enthousiasme.
Une planque! Tu parles ... Livreur de presse de 4 à 8 et coursier de 8 à ... pas d'heure!
J'entamais un voyage dans le temps qui me ramenait à mon premier job de coursier à mobylette et ironie exquise, qui me grise, c'était pour exfiltrer l’aîné mal engagé dans des affaires foireuses en territoire hostile. Je trouvais amusant de finir comme je l'avais commencé une carrière qui me fit faire mille et un métier pour cet enfant dont la naissance avait ouvert mes yeux sur la réalité économique jusqu'alors limitée à faire le plein de ma moto. Je retrouvais la solidarité chaleureuse des gens qui se lèvent tôt et que toise le monde d'en haut. Pourtant, il fallait mettre un bœuf sur ma langue et apprendre à fermer ma grande bouche sur les injustices de ce monde imparfaitement parfait. Après tout, mon ego pouvait se passer des feux de la rampe de titres ronflants de ma carrière de chef de ceci et cadre de ceux-là dans un burlingue contre la lumière blafarde du petit jour en Beauce derrière un volant. Dans cette ville, qui connut Marcel Proust et le plus célèbre incipit de la littérature française « Longtemps je me suis couché de bonne heure » la ville et l’idée m’allaient comme un gant. Je n’étais pas passé « Du coté de chez Swan » ni de ses mœurs ambiguës et pourtant, j’étais bel et bien dans la chambre du roi et faisais partie de sa cour. J’assistais au lever et je jouissais de ses rayons généreux en décalage cependant, conséquence d’une petite taille qui faisait que sa lumière me touchait vingt centimètre plus tard que la moyenne. Cela ne suffisait plus ! Des courtisans plus alertes allaient aux devants de l’astre précédant ses demandes et exécutant des ordres qu’il n’avait pas encore donnés. J’ignore comment cela est possible mais du jour au lendemain dix bons points ne valurent plus une image. Abandonnons cette métaphore incompréhensible, il s'agit du zèle dont fait preuve le salarié consciencieux autrement nommé lèche Q.
Le deal: le compteur tourne à partir de H: 4.00!
Embaucher de bonne heure, pour moi, c'est déjà une cascade sans doublure de passer sous la douche et de sauter dans son slip à 3 plombes du mat' d'autant que la tournée de livraison est conçue et payée à partir de ce top départ. Le consciencieux (autrement nommé lèche Q) prends l'initiative de sauter dans son bahut 1/2 heure plus tôt bien vite imité par ses collègues avides de compétition, de podium et de la médaille en chocolat de l'employé du mois. Cela donne des répliques à "- Si tu n’arrivais pas en retard au briefing tu saurais que ..."par: "Ce n'est pas parce que tu es en avance que je suis en retard".
Devant cette inversion des pôles, le roseau plie mais ne rompt pas mais je perds en flexibilité avec l'âge.
Ensuite, l'infini du zèle, la captation des heures sup: "les pieds de grue" attendant les ordres de départ dans le bureau du daron gratos alors que la règle est d'attendre à la maison puisque que l'on n'est pas raqué.
Encore des heures gratuites et un prélèvement à la source du boulot. Les courses aléatoires et gratifiantes, c'est le gras de ce métier. Elle permettent de crever le plafond de verre des 250 heures/mois et du chèque pour payer le vitrier, parce que question santé, ça pique!
Rien à dire sur le taulier: belle boite, bonne tréso, il n'a rien demandé, donne sa chance à chacun et fait bouffer pas mal de monde. Dans des métiers sans autres diplôme qu'un permis de conduire, la bonne paye est rare (en valeur absolue, pas en valeur relative, mais ça fait un bout de temps que l'on murmure le mantra de Sarkozy" travailler plus pour gagner plus" et on n'est pas des feignasses Bref, la norme a changé ! Sans doute étais-je remonté sur le ring, naïf une fois de plus, peut-être une fois de trop, avec trop de foi.
Au dernier round de la vie d’avant, je m’étais relevé durant le décompte fatal de l’arbitre avant le 10 fatidique annonçant le knock-out. La pesanteur avait bien failli m'avoir. J’étais à terre mais je croyais fermement que dix bons points valaient encore une image.
Alors je me relevais avant le dixième, étourdi et titubant cherchant la récompense.
Pourtant l’arrêt qu’on pense n’est pas le terminus où tout le monde descend!
« Le soir du combat, tu sentiras comme une piqûre d'insecte. C'est l'amour-propre qui te turlupinera. L'amour-propre tu l'emmerdes ! L'amour-propre fait mal, il ne sert jamais à rien. Au cinquième round tu te couches. »
Sacré Marsellus ! Try it again, petit d’homme, ça finira bien par tourner et souviens toi que l'amour propre ne le reste jamais longtemps chez les plus lourd que l'air !