“Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute”, cette phrase fut prononcée par Franklin Roosevelt en 1939 en se référant à Anastasio Somoza Garcia, le sanguinaire dictateur qui a gouverné le Nicaragua entre 1937 et 1947. Elle illustre également le relativisme moral que les Etats-Unis d’Amérique utilisent pour défendre leurs intérêts et leur hégémonie et en même temps de démolir les régimes qu’elle estime aller à l’encontre de leurs intérêts.
La technique récurrente du coup d’Etat
Cette année, nous commémorons les 10 ans du coup d’état, dûment blanchis par toutes les “démocraties occidentales”, sans que les médias n’en parlent. Retour sur un événement qui risque de se reproduire. Le dimanche 28 juin 2009, l’armée fait irruption dans le domicile du président (démocratiquement élu) du Honduras, Manuel Zelaya (alias Mel), le séquestre et procède à son expulsion manu militari vers le Costa Rica. Cet homme politique est issu de l’oligarchie et du parti libéral mais a fini par virer à gauche. “Mel” avait appelé à un référendum consultatif[1] en plaçant une “une quatrième urne” lors des élections générales, régionales et locales . Son renversement a lieu au moment où il organisait cette “consultation” à caractère non contraignant concernant “la quatrième urne”.
Cette opération rappelle la série de soulèvements militaires produits en Amérique latine et soutenus par les Etats Unis d’Amérique durant les années 70-80 (Chili, Brésil, Argentine, Bolivie) contre des régimes légitimes pour y instaurer des sanguinaires dictatures militaires. Une bonne partie des dictateurs militaires (le général Videla en Argentine, Alfredo Stroessner au Paraguay, Augusto Pinochet au Chili) de ces années avaient été formés et instruits par la CIA dans la tristement connue “ESMA: Escuela mecánica de la Armada”, ils étaient formés à la lutte “contre-insurrection” en incluant la torture et les assassinats politiques.
Pour avaliser ce renversement et pouvoir donc désigner un nouveau gouvernement “intérimaire”, les opposant de Mel ont prétexté, comme lors de la tentative du coup d’Etat au Venezuela en 2002, l’existence d’une présumée lettre de démission du président que ce dernier affirme n’avoir jamais signé.
Élu en 2005 sous la bannière du parti Libéral (centre droite), dès le début de son mandat, Manuel Zelaya n’a pas suivi l’agenda des multinationales et de l’administration américaine, ce qui lui a valu la critique et la calomnie systématique de la presse. En fin 2007, en cherchant à rétablir “un équilibre médiatique”, il lance un hebdomadaire “El poder Ciudadano” et rend public le Canal 8 (une télévision qui n’émettait plus). Avec ces décisions, Mel s’est attiré vers lui les foudres des capitalistes et de l’oligarchie hondurienne proche de Washington. Sa réaction fut de pratiquer “un virage progressif” vers la gauche.
Les enjeux en termes de guerre économique
Au-delà des prétextes avancés, le coup d’Etat visait à défendre les intérêts de ceux qui l’avait commandité et organisé : à savoir l’oligarchie hondurienne et les multinationales étrangères présentes au Honduras. Dès son arrivée au pouvoir, Mel a exprimé que “ Honduras était si pauvre qu’il ne pouvait même pas construire une route sans faire appel à la banque mondiale”. Dès la signature d’un accord avec Petrocaribe (29 Janvier 2008), il bénéficia de financements à taux préférentiels pour financer ses investissement en infrastructures et logements pour son programme social. La banane est la richesse numéro un du Honduras. En février 1974: La compagnie américaine Standard Fruit licencie 700 travailleurs comme réaction à la création d’un impôt d’un dollar par caisse de 40 Livres. En avril 1974, l’impôt est réduit à la moitié et une semaine plus tard à 25 cents. Le 22 avril 1975, le chef de l’Etat, le général Oswaldo Lopez, est destitué à la suite du scandale “Bananagate”. Il avait pérçu 1.250.000 dollars de la compagnie United Brands (Ex-United Fruits) pour réduire ledit impôt.
En octobre 2006, un premier affrontement avait déjà eu lieu. Prenant le prétexte d’un appel d’offres, le président remet en cause le monopole des compagnies exerçant dans le domaine de vente et distribution des combustibles (Chevron, Exxon Mobil, Shell et l’entreprise locale Dippsa). Les compagnies, en alliance avec l’ambassadeur des Etats unis et la cour suprême crient que les règles du jeu avaient été modifiées. Usant et abusant d’artifices juridiques, elles arrivent à faire reculer le président.
Lorsqu’en 2007, Tegucigalpa signe un accord avec le gouvernement cubain pour se faire fournir des médicaments génériques à très bas coût, les entreprises honduriennes importatrices et les multinationales du secteur rejoignent le front de l’opposition au président. Il est à noter que la plus importante des firmes locales, Laboratorios Finaly, est propriété de la famille Canahuati Larach, propriétaires des journaux de diffusion nationale “El Heraldo” et “La prensa”. C’est à ce moment que le président Zelaya, se tourne vers le Venezuela et rejoint Petrocaribe, ce qui lui a permis de recevoir du pétrole vénézuélien dans des conditions très avantageuses[2].
Le 3 janvier 2008, un communiqué de l‘Association des Industriels Nationaux (ANDI)[3] prenait acte de ce changement d’époque et citait : “Désormais s’est imposé l’inévitable nécessité de prendre des mesures que nul ne souhaitait, ou de mettre la clef sous la porte”. L’ANDI concluait : ”le président Zelaya et ses acolytes des syndicats obligent le patronat à se défendre. En décembre 2008, le président Zelaya augmente le Salaire minimum de 126 Euros a 202. La Compagnie américaine Chiquita (Ex- United Brands qui produit 8 millions de caisse par ans d’ananas et 22 millions de Banane) lance une guerre féroce contre cette décision en s’appuyant sur ses relais américains à travers le cabinet Covington & Burling.
En août 2008, Mel signe le document d’adhésion du Honduras a l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques). Cette adhésion est le dernier tournant d’un virage progressif vers la gauche d’un président de centre libéral [4]. Ce même jour, le président Zelaya disait : “Nous luttons pour aller de l’avant. Si vous aviez peur de cette lutte, cher amis, adversaires et critiques, vous avez déjà perdu”. Mel avait sous-estimé la force de ses adversaires. Ce virage est confirmé a posteriori par sa demande d’une assemblée constituante.
Le dessous des cartes médiatiques
Tout au fil des communiqué des différents “médias dominants”, on pouvait lire les thermes comme “déchu” pour faire référence au président Zelaya, tout comme “Gouvernement provisoire” pour parler du gouvernement putschiste de Micheletti. Il n’y a pas de “gouvernement intérimaire” mais une dictature qui a conquis le pouvoir par un coup d’Etat. Les médias dominants crient “la défense de la démocratie” contre “la dérive autoritaire” de “Monsieur Zelaya” comme leur cheval de bataille. Le 28 Juin 2009, jour du coup d’Etat, une coupure d’électricité paralyse la capitale, les médias nationaux et internationaux sont empêchés d’émettre afin de ne pas relayer la nouvelle et éviter que le peuple ne descende dans les rues. L’armée occupe les locaux Canal 36, seule télévision fidèle au président Zelaya. Comme dans d’autres pays, un groupe de banquiers, patrons d’entreprises et propriétaires de médias, forment les quelques familles étroitement liées aux Etats Unis d’Amérique qui détiennent tout le pouvoir. La quasi-totalité des radios, télévisions et journaux a grand tirage, appartiennent à l’oligarchie “pro-coup d’Etat”. Dans ce contexte, la résistance s’organise autour des seuls médias qui donnent la parole au peuple, Radio Globo et Canal 36. Cette guerre médiatique se produit aussi dans un moment où de différents gouvernements progressistes du continent essayent de limiter le rôle déstabilisateur de différents groupes médiatiques : Evo Morales contre le Groupe Espagnol Prisa. L’argentine essaye de freiner l’entrée de Telefonica dans la télévision et dans le journal Clarin.
La riposte nord-américaine
Les Etats Unis d’Amérique ne peuvent plus se contenter d’observer la vague progressiste de gouvernements de gauche qui s’étalent sur “son arrière-cour” sans ne rien faire. Cette vague se rapproche “dangereusement” vers l’Amérique centrale : Le Nicaragua a choisi l’ex-leader sandiniste Daniel Ortega en 2006, Mauricio Funes est élu à la tête du gouvernement d’El Salvador en mars 2009. Aussitôt après avoir pris ses fonctions, il reprend ses relations diplomatiques avec Cuba. Comme prévu dans son programme électoral, Rafael Correa (président de l’équateur) dès son arrivée au pouvoir en 2007, annonce que la base américaine de Manta (en territoire équatorien) ne sera plus renouvelée dès qu’elle prendrai fin (2009). Les EEUU répliquent immédiatement en concluant un accord avec la Colombie pour l’installation de 7 bases militaires sur sol Colombien (rappelons-nous du contexte de fortes tensions avec le Venezuela de Chavez, pays frontalier de la Colombie).
Avant le coup d’état, Manuel Zelaya, se basant sur un rapport de l’aviation civile hondurienne, avait déclaré qu’il prévoyait de transformer la base militaire de Palmerola (base américaine sur territoire Hondurien) en aéroport civil afin de désengorger le trafic aérien de l’aéroport de la capitale Tegucigalpa. Les frappes aériennes américaines contre les “guérilleros sandinistes” du Nicaragua partaient de cette base. Avec cette décision, Manuel Zelaya est définitivement taxé par les Etats Unis d’Amérique comme faisant parti de l’axe du mal. La crise hondurienne constitue l’un des épisodes du conflit majeur qui oppose le Venezuela aux Etats Unis d’Amérique. Plusieurs points sont en commun avec les éléments du Honduras, où le coup d’Etat a été finalement blanchi, reste à voir si cette même stratégie sera payante ou pas au Venezuela.
Alal Ahmed Aamer Langeri
[1] La question proposée au citoyen pour ledit référendum était la suivante : “êtes-vous d’accord qu’aux prochaines élections générales 2009, une 4éme urne soit placée pour permettre au peuple de se prononcer sur la création d’une assemblée nationale constituante ?
[2]Prix en moyenne 20% moins chers que les prix du marché international et avec les conditions de paiements suivantes : 60% à 90 jours de la livraison, et le 60% restant étalés sur 25 ans avec deux ans de différé a un intérêt de 1% interannuel.
[3] Association qui représente les multinationales étrangères au Honduras.
[4] Voir critiques des médias “progressistes” européens.
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