Le fricotage politique avec des fonds de pension étrangers, la réduction des pensions, les attaques contre les grévistes, la corruption de protagonistes macronistes en charge du dossier écoeurent et inquiètent. Mais la réforme des retraites conforte aussi la fracture avec les plus jeunes générations.
Où te caches-tu ?
Le jeune monarque mérite davantage qu'une interpellation publique. Avec le tutoiement de rigueur qui prévaut quand il s'agit d'interpeller un monarque qui surjoue la jeunesse pour mieux cacher l'archaïsme générationnel de sa politique. Il faut interpeller Macron car il se planque. Et on comprend pourquoi.
La fausse négociation de la réforme des retraites vire à la pantalonnade. Non content d'avoir caché le contenu d'une réforme anxiogène pendant des mois pour finalement dévoiler son jeu la veille de Noël et provoquer grèves, manifestations et blocages en tous genres, le clan Macron a durci le mouvement.
Devant cette crise qui bloque la capitale parisienne, Edouard Philippe fait mine d'être placide. Edouard Philippe joue à Alain Juppé, "le premier ministre joue l'opinion de droite" confir un ministre anonyme. On devine le désarroi des électeurs venus du centre-gauhce, aujourd'hui alignés en rempart de défense d'une réforme qui les assimilent aux cohortes juppéistes et fillonistes d'antan. La barbe de Philippe est soudainement blanche à cause du stress. Car le premier ministre fond littéralement de l'intérieur. La presse décrit ces "moments de tensions que Philippe intériorise, au point d’en porter physiquement quelques stigmates, comme cette légère dépigmentation de la peau apparue récemment sur un coin de sa barbe".
Edouard Philippe essaye de sourire quand il se présente aux caméras des télévisions officielles. Il faut faire croire que l'on négocie. Il faut lire pour les croire, ces propositions mesquines de cette Présidence des riches. On se frotte les yeux pour les croire. Grand seigneur, Macron a fait proposer de réduire de 10 (sur 120), le nombre de nuits travaillées par an pour bénéficier des points de pénibilité relatifs au travail de nuit. Ce même Macron avait réduit les critères de pénibilité en 2017, par une ordonnance expresse.
Edouard Philippe est "droit dans ses bottes" comme Alain Juppé. Il a choisi l'affrontement, et d'assumer que la réforme des retraites vise bien à faire des économies sur les pensions: Macron et lui n'ont pas vraiment le choix. Le trouillard Bruno Le Maire avait préconisé l'inverse il y a 10 jours. Et Macron se terre dans son palais ou bien à l'étranger. Vendredi, il fête son anniversaire au fois gras avec des soldats français en stationnement en Côte d'Ivoire, réquisitionnant 28 cuisiniers pour l'occasion. Le jeune monarque tente d'effacer à distance les derniers souvenirs de l'exception sociale française, cette retraite par répartition mis en place par le CNR.
Un "simulateur" truqué est mis en ligne. L'outil se base sur des hypothèses farfelues de progression des salaires pour embellir la réalité de sa réforme. Mais même avec cette manœuvre grossière, les résultats sont désagréables et sans surprise: dans la génération 1980, un salarié moyen ne verrait sa retraite s'améliorer qu'en bossant jusqu'à 67 ans ! Pour un salarié au SMIC, ou un salarié à temps partiel, ce sera 65 ans sinon la retraite serait inférieure à celle du système actuel. Seuls les cadres sup verraient leur pension s'améliorer
Réforme des riches
La grève rend visible les invisibles. Mais la réforme des retraites a déjà fait une victime, "l'excellent" Jean-Paul Delevoye. Ce grand homme, le "seul à comprendre la complexité des systèmes de retraites" disait sa collègueAmélie de Montchalin (#lol), était bénévole ou rémunéré dans pas moins de 13 institutions privées ou publiques, comme par hasard le plus souvent sous contrôle des assurances privées. Cette semaine, Le Media révèle qu'un assureur privé a promis 1 million d'euros à une association de rénovation d'un monastère présidée par Delevoye alors que celui-ci travaillait à la réforme des retraites... Quelle heureuse coïncidence...
Delevoye est donc dégagé du gouvernement, lequel lui trouve un autre cadre sup pour le remplacer. Bizarrement, on ne propose jamais à un(e) ouvrier(e) ou un(e) employé(e) de se charger de la réforme des retraites. Le remplaçant s'appelle Laurent Pietraszewski. Il a comme fait d'armes son passé récent comme DRH chez Auchan. Une anecdote révélée dans la semaine en dit long sur le profit social du bonhomme: en 2002, il appela la police pour dégager une caissière délégué syndical qui avait offert un pain au chocolat trop cuit à une cliente.
Il y a pourtant d'autres idées de réformes des retraites, finançables si l'on veut revenir sur les incroyables exonérations de cotisations sociales des revenus des plus riches. Ou simplement augmenter légèrement les salaires. Mais aucune ne plaira autant aux fonds de pension. Le plus gros gestionnaire de fonds au monde, BlackRock, est alléché par cette réforme macroniste. Il faut dire que les 8 à 20 milliards que le gouvernement cherche à économiser sur la retraite socialisée seront en partie rebasculés vers des placements privés tels que ceux que gère BlackRock: les Français inquiets de perdre de la retraite publique se tourneront vers des assurances complémentaires... quand ils en auront les moyens.
Un ancien dircab de Raffarin dirige la filiale française du géant américain. Il avait déjà sévi sur la première funeste réforme de 2003. A quelques mois d'un prochain crash boursier, le cynisme de ce gestionnaire quant aux défis écologiques du monde qui nous entoure laisse pantois:
"Le principe de réalité est que le charbon représente plus de 50 % de la production d’électricité dans beaucoup de pays asiatiques, en Pologne ou même en Allemagne. Il n’est pas raisonnable d’imaginer plonger ces pays dans le noir du jour au lendemain." Jean-François Cirelli, BlackRock, novembre 2018.Au final, il y a évidemment de grandes chances pour que Macron fasse voter sa loi retraites par ses Playmobils à l'Assemblée nationale. Mais quelle loi ? Jour après jour, l'ampleur des blocages et des manifestations, couplée aux révélations des compromissions individuelles avec des lobbyistes de l'assurance, a acculé Macron. Il déshabille progressivement sa réforme, preuve que la pression sociale peut payer. C'est désormais l'âge pivot qui risque de sauter.
Interdire les cotons-tiges
Par crainte, Macron a déjà fait décaler l'effet de sa réforme aux générations nées en 1975 et après.Ce faisant, cette réforme illustre bien une fracture générationnelle. Fin de carrière, fin du monde, les combats rapprochent les générations d'après 1975 contre une politique macroniste qui défend le statu quo des puissants et n'agit pas contre les enjeux du futur, notamment climatique.
Macron fait payer aux plus jeunes générations le coût de la destruction partielle d'un modèle social: il ne voit pas que l'enjeu est au contraire le meilleur financement des retraites et de la dépendance. Il s'obstine à ne pas que l'on ne vit pas plus longtemps en bonne santé, et que la crise climatique et la progression des cancers et autres affections issues de la pollution ne feront qu'aggraver cette situation.
Son inaction écologique fut peu commentée cette semaine: la COP25 s'achève pourtant sur un échec total, la quasi-absence des dirigeants français fut remarquée. Brune Poirson, secrétaire d'Etat à l’environnement, s'agite sur les réseaux sociaux avec des selfies et des courtes videos où elle s'agite pour masquer son inefficacité. Sa collègue Emmanuelle Wargon plaide que la transition écologique est compatible avec le libre-échange".
Nous devons vivre sans croissance" lui rétorque au contraire le député insoumis François Ruffin. Et la socialiste Delphine Batho abonde: "Si nous voulons aller au devant d’un certain nombre de chocs et d’effondrements, nous devons au contraire organiser une décroissance volontaire."
Le gouvernement préfère protéger le statu quo, avec à chaque fois, le même argument: la planète peut attendre. Il a reporté l'interdiction des pesticides les plus dangereux. Il s'est tu sur les perturbateurs endocriniens. Il a cédé au lobby agro-industriel sur les conditions d'élevage et la souffrance animale. Christophe Castener, qui s'est révélé comme l'un des ministres de l'intérieur les plus violents de cette République, a placé au rang de priorité l'espionnage et l'arrestation des militants antispécistes. Pour Noeël, il a même promis la création d'une cellule de renseignement contre ces militants qui s'introduisent dans les abattoirs et les élevages et témoigner de la souffrance animale. Au lieu de se saisir des témoignages, la Macronie préfère la répression.
Pour défendre sa loi sur l’économie circulaire, sa collègue Poirson machouille des arguments creux. Elle jongle avec des mots qu'elle trahit de façon ahurissante: "La transition se doit d’être radicale et non brutale". "Radicale" mais "non brutale"... que c'est cocasse... Dans les faits, cela signifie ne rien interdire, prolonger le statu quo, accepter la pollution et l'épuisement des sols et des eaux au nom du pragmatisme.
La Macronista est adepte du laissez-faire et du libre-échange quand il s'agit d'économie (en matière politique, la répression macroniste est au contraire violente et brutale). Elle mise sur les comportements individuels et rechigne à légiférer pour corriger les excès.
Idiots utiles ou complices cyniques de la catastrophe écologique, les députés macronistes suivent et se taisent, comme pour la répression prédictive des opposants, la réduction du droit d'asile ou le recyclage du discours xénophobe de l'extrême droite.
Ce nouveau monde ne recycle que le pire de l'ancien.
Ami castor, où es-tu ?