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Résumé : Jesper, qui s'est distingué comme le pire élève de son école de facteurs, écope d'une mission sur une île enneigée, au nord du cercle arctique. Là-bas, les habitants ne s'entendent pas et ne se parlent presque jamais. Autant dire qu'ils n'entretiennent pas non plus de correspondance ! Alors que Jesper est sur le point d'abandonner, il trouve une alliée en la personne d'Alva, l'institutrice de l'île, et fait la connaissance de Klaus, mystérieux menuisier qui vit seul dans son chalet regorgeant de jouets artisanaux. Grâce à ces relations amicales inattendues, la petite ville de Smeerensburg retrouve la joie de vivre. C'est ainsi que ses habitants découvrent la générosité entre voisins, les contes de fée et la tradition des chaussettes soigneusement accrochées à la cheminée pour Noël !
Vous en avez souqué, en souquez encore et souquerez toujours des films de Noël ? Vous en avez marre d’œuvres parmi les plus mièvres de l’histoire du cinéma, qui radotent toujours la même histoire de famille, de foi et de flonflons ? Laissez-moi vous proposer un film de Noël qui se démarque joyeusement des autres : voici Klaus.
Le Père Noël, héros du service public
Commençons par une remarque très simple : Klaus fait rire. Rire, et non pas verser une larme ou pousser un « oooooh » de mignonnerie ; rire franchement, et non pas se gausser des situations grotesques d’un Maman j’ai raté l’avion. Bien qu’il rende un énième hommage à la magie de Noël, le réalisateur, Sergio Pablos, écorne un tant soit peu le mythe par son humour corrosif. Ces images qu’on connaît tous, dont on nous gave les yeux à chaque fin d’année, il les ramène à un plan très terre-à-terre. L’entrée par la cheminée ? c’est le meilleur moyen pour distribuer des cadeaux en cachette dans la violente bourgade de Smeerensburg. Les rennes volants ? un accident de traîneau qui aurait pu mal tourner. Le costume rouge et blanc ? une création sami. En plus de susciter le rire par ces réductions burlesques, ce traitement ramène l’imagerie du Père Noël à ce qu’elle représente : un mythe. Donc à une construction discursive historiquement construite par une société. Et dont Klaus retrace discrètement la généalogie. Le film s’ouvre sur une pile de lettres adressées au Père Noël. Plan singulier, qui rattache la figure du vieux bonhomme au panthéon du service postal. Par un astucieux scénario, Klaus inverse en effet la logique de cause à effet en faisant de l’invention du Père Noël une belle fable que racontait aux garnements de Smeerensburg Jesper (Alex Lutz en VF), jeune et naïf facteur fraîchement arrivé dans la bourgade, pour promouvoir ses services. Chemin faisant, les enfants analphabètes désertent la guerre perpétuelle que se livrent leurs parents depuis la fondation du village pour se rendre à l’école et à leur tour écrire des lettres au vieux monsieur (François Berléand) qui leur offre des cadeaux. Si le récit divertit, il subvertit également l’histoire réelle du Père Noël : quand on sait ce que sa figure doit aux publicités de Coca-Cola à la fin du XIXe siècle, la transformer en pierre fondatrice du service public et d’une vie sociale pacifiée a de quoi faire autant rire que réjouir.
Retour au dessin
Mais on ne saurait louer Klaus sans évoquer sa remarquable technique d’animation. À rebours des productions dominantes, à laquelle il contribua lui-même (comme pour Moi, moche et méchant), Sergio Pablos choisit de revenir au dessin à la main. Réunissant autour de lui 250 personnes dans son studio madrilène, il s’attelle au projet en 2011, inspiré par le travail de déconstruction/reconstruction de la figure mythique de Batman qu’entreprend Christopher Nolan dans Batman Begins. Si la forme visuelle de Klausn’a rien à voir avec l’univers néo-noir du cinéaste britannique, on remarque cependant une caractéristique commune : les deux œuvres épaississent, littéralement et symboliquement, les contours de personnages populaires. Dans Klaus, l’épaississement se traduit par des reliefs accentués, des ombres marquées et des couleurs franches. On appréciera particulièrement les scènes éclairées par des bougies ou des feux de cheminée, qui rehaussent avec majesté les contours des personnages et confèrent à cette sinistre bourgade de Smeerensburg la joie et la chaleur qui lui manquaient. On est à mille lieux des images de synthèse sans âme que je n’ai de cesse de pourfendre au long de mes articles. Ici, reconstruire une mythologie prend tout son sens : l’opération consiste à la fois à reprendre des images folkloriques et à y insuffler un surplus de personnalité, un véritable caractère qui distingue cette interprétation d’une autre. Gageons que Sergio Pablos et leur équipe ne perdront pas la main et continueront à façonner d’aussi précieux bijoux.
Klaus, Sergio Pablos, 2019, 1h36
Maxime
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