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Harriet Creighton

Publié le 09 janvier 2020 par Taupo

Voici le second épisode de la nouvelle chronique "Not Just The Wife", [Pas seulement “femme de”] sur Podcast Science. Pour rappel, il s'agit des traductions des épisodes du Dr Kat Arney du Podcast Genetics Unzipped, le podcast de la Société de Génétique du Royaume Uni. Genetics Unzipped est produit par First Create The Media. Retrouvez Kat Arney, Genetics Unzipped et First Create The Media sur twitter (@Kat_Arney @geneticsunzip @FirstCreateMe). La traduction a été réalisée par Élise et Pierre Kerner et son incarnation par la jolie voix d’Élise Kerner. Cette seconde chronique s’intéresse à l’histoire d'Harriet Creighton (Épisode Originel).

Transcription de la chronique :

Les années 1920 ont été une période difficile pour les femmes scientifiques. La plupart des femmes travaillant dans le domaine des sciences à cette époque étaient assistantes de laboratoire, enseignantes ou conférencières, plutôt que chercheuses ou - Dieu nous en garde ! - directrice de laboratoire. Mais un domaine semble avoir été un peu plus accueillant que les autres : la botanique, autrement dit l'étude des plantes.
Dans une prochaine chronique, nous reviendrons sur une autre pionnière de la génétique des plantes, et cofondatrice de la Genetics Society, Edith Rebecca Saunders. Mais pour l'instant, partons pour le Cornell College of Agriculture, à Ithaca dans le nord de l'État de New York - niché dans le coude d’une rivière juste au Sud du grand lac glaciaire Cayuga;

Entouré par des hectares de jardins et de plantations, c'était l’endroit idéal pour toute botaniste en herbe, et notamment pour Barbara McClintock. Beaucoup de gens - pas assez certainement - connaissent ses travaux sur le maïs et la découverte de ce qu'on appelle les "gènes sauteurs" ou transposons, qui peuvent voyager dans le génome. On lui doit également de nombreuses autres découvertes importantes sur la nature des chromosomes et des gènes ainsi que leur comportement à l'intérieur des cellules. Mais ce n'est qu'en 1983, alors qu'elle avait 80 ans, qu'elle a finalement reçu le prix Nobel de physiologie ou médecine - et devient alors la première femme à obtenir cette récompense en solo, en tant que scientifique indépendante.
Malgré les prix et marques de reconnaissance reçus au cours de sa carrière, les choses n’ont pas toujours été faciles pour McClintock et elle a dû se battre pour obtenir un poste permanent et des financements pour ses recherches. Elle a finalement pu intégrer le Cold Spring Harbor Laboratory à New York en 1941 en tant que boursière invitée et elle n'en est jamais repartie. Ces difficultés étaient en partie liées à son sexe, à ses idées sur la génétique et son intelligence aiguisée qui l'opposaient aux dogmes de l'époque, mais s’expliquent également parce que, pour citer l'ancien directeur du Cold Spring Harbor, John Cairns,

“c'était une personne extrêmement difficile... qui mettait un point d’orgue à rester difficile ".

A vrai dire ce n'est pas l'histoire de Barbara McClintock que je veux raconter ici, mais celle de Harriet Creighton, sa première étudiante diplômée.

Barbara McClintock (Gauche) et Harriet Creighton (droite)


Creighton est arrivée pour la première fois au département de botanique de Cornell durant l’été 1929. C'était une jeune fille de vingt ans, à l’air avenant, qui venait d'obtenir son diplôme au Wellesley College, un prestigieux établissement réservé aux femmes dans le Massachusetts. Elle y avait reçu l'enseignement de Margaret Ferguson - elle-même diplômée de Cornell, qui prétendait avoir formé plus de botanistes (et d'épouses de botanistes) que quiconque.
Creighton arrive donc en tant qu’étudiante en Master et assistante d'enseignement pour un certain Dr Petrie, spécialisé en paléobotanique - ce que vous et moi appelons l'étude des plantes fossilisées. Par un heureux hasard, elle tombe dès son premier jour sur McClintock, alors thésarde dans le laboratoire de Lester Sharp et experte en cytogénétique - l'étude des chromosomes, les longues chaînes d'ADN à l'intérieur des cellules vivantes. Celle-ci convainc la jeune étudiante qu’il est plus intéressant d'étudier des plantes vivantes que mortes. Résultat, à la fin de cette même journée, Creighton avait complètement réorganisé son emploi du temps selon les conseils de McClintock et, plus important encore, elle décidait de changer de directeur d'étude pour travailler sous la direction de Lester Sharp, et de viser non plus un Master mais un Doctorat. Le tout sous la responsabilité directe de McClintock elle-même.
C'était plutôt malin de la part de celle-ci car, étant donné qu’elle venait tout juste d'obtenir son doctorat, elle n'était pas vraiment censée encadrer des étudiants. Mais la paire ainsi formée s’entend immédiatement, Barbara et Harriet devenant collègues et bonnes amies. Installées dans un petit bureau commun, elles partent souvent jouer au tennis à 17h lorsque la météo au bord du lac le permet.
McClintock charge Creighton d'étudier les chromosomes des graines de maïs  le projet consiste à observer ce qu'on appelle le " crossing-over" ou la recombinaison.
Crossing Over
À l'époque, de nombreux généticiens sont perplexes face à un phénomène observé pendant la méiose, c’est-à-dire la division cellulaire qui se produit lorsque les cellules sexuelles sont fabriquées - les ovules et les spermatozoïdes chez les animaux ou le pollen et les ovules chez les plantes. Ils observent que des versions particulières de gènes, appelées allèles, semblent parfois passer d'un chromosome à l'autre.
Ensemble, Creighton et McClintock parviennent à montrer que cela est dû au croisement physique des chromosomes, qui entraîne l'échange de fragments d'ADN entre eux. À Berlin, le généticien travaillant sur les mouches du vinaigre, Curt Stern, avait fait une découverte similaire, mais Barbara et Harriet le devancent de quelques semaines en publiant leur article dans Proceedings of the National Academy of Sciences en août 1931, alors que Stern est en vacances.
Il s’avère qu’un célèbre généticien, Thomas Hunt Morgan, avait eu connaissance des résultats de Creighton et McClintock alors qu’il se trouvait à Cornell pour donner une conférence, et les avait exhortées à publier au plus vite. Il a avoué plus tard qu'il était au courant des résultats concurrents de Stern, mais avait décidé qu'il était peut-être temps que les difficiles expériences réalisées par les deux femmes sur du maïs, plante caractérisée par une croissance lente, méritent la vedette en comparaison avec les recherches exploitant les mouches du vinaigre, dont la reproduction est rapide, et qui récoltaient tous les honneurs en génétique.

La carrière scientifique de Creighton atteint un point culminant en 1932, lorsqu'elle participe au sixième congrès annuel de génétique, qui se tenait à Ithaca cette année-là. McClintock donne une conférence sur leurs travaux, et les deux femmes organisent une petite exposition expliquant leur découverte du crossing-over. Pour Barbara, cette étape n'est que le début, mais pour Harriet, cela représente à peu près la fin de sa carrière de chercheuse. Face au constat des difficultés rencontrées par McClintock et d'autres femmes pour obtenir un poste et des fonds pour leurs travaux, elle quitte la recherche pour un poste d'enseignante, plus stable sur le plan financier, d’abord dans un collège de femmes du Connecticut, puis finalement à Wellesley, son ancienne université, à partir de 1940.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Creighton sert dans la Réserve navale féminine des États-Unis - aussi connue sous le nom de Waves.
WAVES
Elle enseigne ensuite en Australie et au Pérou, avant de revenir à Wellesley jusqu'à sa retraite en 1974.
Dans son excellente biographie de McClintock, Evelyn Fox Keller décrit Creighton comme une

" femme forte et facile à vivre, relativement grande... avec un beau visage intense ainsi qu’une voix profonde, éraillée par des années de tabagisme ".

Il est intéressant, bien que l’on ne trouve aucun indice concernant sa sexualité, de noter que Creighton ne s'est jamais mariée. Etant donné que pour la plupart des femmes scientifiques, le mariage signifiait généralement troquer l'indépendance et la liberté intellectuelle contre la domesticité, il est facile d’envisager que Creighton n’ait pas été particulièrement enthousiasmée par un tel projet.

Montage par Pierre Kerner, les musiques sont Oldie Song et Coffee Shop par David Szesztay (Attribution-NonCommercial 3.0 International License)

Références et Liens:
Cold Spring Harbor Laboratory oral history - Barbara McClintock
Creighton, H. B., & McClintock, B. (1931). A correlation of cytological and genetical crossing-over in zea mays. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 17(8), 492‑497. https://doi.org/10.1073/pnas.17.8.492
Keller, E. F., & McClintock, B. (2003). A feeling for the organism : The life and work of Barbara McClintock (1st Owl Books ed). Freeman [u.a.].


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