Tous les affidés du pouvoir et autres éditocrates misaient sur un essoufflement, sur la division et la fatigue des grévistes. Il n’en est rien.
Et dans l’air, comme le chant commun d’une détermination, quelque chose de puissant nous étreint. Les porte-flambeaux du trente-sixième jour de grève continuent de toiser crânement l’histoire sociale. Ils délivrent un message en ampleur. Le combat du possible, mature et responsable face à toutes les générations. Tous les affidés du pouvoir et autres éditocrates misaient sur un essoufflement, sur la division et la fatigue des grévistes, imaginant que l’opinion publique allait flancher elle aussi. Ces âmes insensibles parleront, commenteront, minimiseront, bref, elles diront bien ce qu’elles voudront: il n’en est rien! Ce 9 janvier dresse face à elles un «cercle de la raison» qu’elles feraient bien d’entendre, maintenant.
Un million et demi de personnes ont encore manifesté partout en France. Public, privé, le nombre de grévistes dépasse d’ailleurs les prévisions. Le vent déjà levé depuis début décembre décoiffe cette fois les plus pessimistes. Emmanuel Macron et Édouard Philippe, avant même les nouvelles mobilisations prévues ce samedi, ont désormais un problème de taille dont ils ne sortiront pas indemnes politiquement. S’ajoutant à leur attitude provocatrice et à leur manière de transformer toute négociation en mascarade, ils ne peuvent plus tabler sur la mise en douceur dans les clous des contestataires à leur réforme de classe, qui ouvrirait la voie à une retraite à points d’individualisation forcée, antichambre d’un système par capitalisation.
À en croire la petite musique qui nous saoule les oreilles depuis les fêtes, nous savons déjà ce qu’ils pourraient tenter. Le fameux «âge pivot» serait ainsi la clef de voûte d’un éventuel «apaisement», et l’assouplissement de ses principes une «porte de sortie» honorable afin de rallier ce qu’ils nomment les «syndicats réformistes». Mais la vérité nous oblige: l’âge pivot n’est que l’arbre qui cache l’ensemble de la forêt, celle d’une réforme si régressive qu’elle en est devenue un enjeu de civilisation – qui mériterait un vaste débat redéfinissant ce que pourraient être un progrès partagé hérité du CNR, une justice sociale, une solidarité, un recul des inégalités… et un partage des richesses.
Car, pendant ce temps-là, le «ruissellement», lui, continue, tel un geyser, d’abonder vers le haut sans aucune conscience du péril symbolique qu’il délivre. Le Noël des premiers de cordée arrive mi-janvier, mais il s’annonce sous les meilleurs auspices: avec 60 milliards d’euros, les liquidités restituées aux actionnaires du CAC 40 dépassent, en 2019, le record de 2007. Une orgie financière. Ces puissants-là continuent de se gaver en toute impunité et ne rêvent ni de cortèges ni de poésie. Eux n’ont pas besoin de se mettre en grève pour sauver leurs régimes (très) spéciaux. Ils s’enrichissent sans même travailler, juste en dormant.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 10 janvier 2020.]