Racontez-nous de quelle manière s’est fait ce livre...
Matthieu Ricard : j’ai vécu un demi-siècle dans l’Himalaya et je rêvais depuis l’enfance de me rendre en Patagonie, en Islande. J'ai été émerveillé par la beauté de ces endroits. Je me souviens d’un matin où, me réveillant un matin sur les hauts plateaux d’Islande, j'ai vu la neige blanche sur la lave noire et j'ai ressenti l’émerveillement. Et si je n'imaginais pas publier un guide de ces régions, j’ai réalisé que ce terme me permettrait de réunir dans un même ouvrage les rivières gelées du Yukan et le delta de l’Irrawaddy en Birmanie. C’est une humble contribution à ce vaste mouvement qui vise à essayer, en dépit de la tiédeur des politiques et des intérêts pour les énergies fossiles, d’être un peu raisonnable et de ne pas trahir les générations à venir.Qu’est-ce que l’émerveillement pour vous ?
C’est une notion très simple, que l’on ressent en présence de certaines personnes, ou dans certains lieux. Un moment de grâce où l’on se sent parfaitement bien au fond de soi-même. Il se traduit par un sentiment d’immensité intérieur ou extérieur : la vastitude du ciel, un paysage infini. Et l’immensité existe aussi dans le microcosme d’une mousse et des fourmis qui courent à droite à gauche. C’est aussi l’effacement du Moi, soit le contraire de l’épidémie de narcissisme qui prévaut ces temps-ci. Le sentiment d’appartenance, d’interdépendance d’où naît la responsabilité universelle vis-à-vis des plus démunis, des autres espèces, des générations à venir… Tout cela prend brusquement une autre dimension lorsqu’on s’émerveille. On touche la texture de la lumière, des glaciers qui brillent. Il ne faut pas se fixer dessus, mais on peut quand même nourrir cet état et se le remémorer pour retrouver la paix intérieure. Le temps se dissout dans un moment de grande gratification intérieure. L’attention est soutenue sans effort. C’est joyeux. Le contraire de l’émerveillement c’est le désenchantement, la lourdeur, la dépression, le renfermement sur soi, la rumination. L'émerveillé ne rumine pas. Il est dans la fraîcheur du moment présent, il n’a pas de crainte, de jalousie, d’animosité. L’émerveillement va de pair avec la liberté intérieure.Va-t-il également de pair avec l’amour ?
Bien sûr, car lorsque les gens s’émerveillent, ils sont plus altruistes. C’est aussi bon pour les enfants qui doivent aller davantage en nature pour ouvrir leur cœur et leur esprit, comme l’explique la biologiste Rachel Carson dans Printemps silencieux. Des études californiennes ont également montré que les enfants au contact de la nature sont plus créatifs et imaginatifs pour résoudre des problèmes lorsqu’ils rentrent en classe, inspirés par la façon dont la nature complexe résout des problèmes. La revue scientifique britannique The Lancet a consacré un article sur le risque accru à la schizophrénie et la dépression pour les enfants des villes totalement coupés de la nature. Je pense aussi au livre The last child in the wood, de Richard Louv, qui fait état de cette déconnexion avec la nature. Enfin, des études japonaises montrent que marcher en forêt est bon pour la santé. Tout cela est prouvé, ce n’est pas un truc New Age !
