« En se rabaissant lui aussi à faire un film de zombies, Jim Jarmusch insulte son art. » Tout est parti (comme c’est désormais de coutume) d’un tweet avant même la projection de The Dead Don’t Die lors du dernier Festival de Cannes. Un jugement aussi infondé (l’internaute concerné n’ayant tout simplement pas encore vu le film à ce moment-là pour réellement en juger) que péremptoire, qui en dit long sur la défiance dont peut faire preuve une certaine frange de cinéphiles, autoproclamés gardiens du temple, niant toute profondeur et toute grandeur à des œuvres adoubées par le grand public, ou portées par des figures populaires dont le succès en aurait dévoyé la pertinence. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard qu’un(e) internaute en vienne à fustiger un film de zombies, tout réalisé par Jarmusch qu’il soit, tant ces derniers sont devenus au cours de ces quinze dernières années les chantres d’un cinéma et d’une télévision d’exploitation triomphants, notamment sous l’impulsion du phénomène The Walking Dead. La popularité et le succès étant à leur corps défendant bien souvent douteux, le symbole de la contre-culture anti-Guerre du Vietnam serait dès lors devenu l’emblème d’un opportunisme mercantile détestable, rendant d’emblée nuls et non avenus tout propos politique, ou toute velléité de récit engagé.
La porte grande ouverte à un dialogue de sourds comme en raffolent les réseaux sociaux, la meilleure réponse qui pouvait être apportée à pareils propos n’a finalement pas tardé à arriver, avec la sortie chez les désormais incontournables éditions Playlist Society de Géographie zombie, les ruines du capitalisme le 14 mai dernier, le jour même de la première de The Dead Don’t Die à Cannes. Les armes forcément inégales (quelques centaines de caractères confrontés à un écrit de 128 pages), mais avec une proposition autrement plus constructive d’un côté, le combat n’aura finalement pas lieu, tant l’uppercut asséné par Manouk Borzakian s’avère percutant et cinglant. Cinglant de par ses constats sans compromission ni faux semblants (le racisme latent dans la vision des zombies chez Zack Snyder notamment), percutant de par la précision et la conviction de son argumentation.


Un ouvrage d’autant plus édifiant qu’il en vient à nous faire appréhender avec un regard différent les nouvelles récentes et la gestion des événements. On pense notamment à la crise toute récente du coronavirus chinois, et ses prémices qui, par exemple, ne jureraient pas dans Dernier train pour Busan… Ou quand un essai d’un genre et d’une matière (la géographie, hélas parent pauvre de l’enseignement faut-il le rappeler) mésestimés devient un support privilégié d’analyse de l’actualité. N’en déplaise aux chantres du bon goût, les morts-vivants ont donc en définitive bien des choses à dire : Manouk Borzakian et Playlist Society le prouvent de la plus belle manière qui soit, le zombie superbement couronné roi.
