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Résumé : Sarah est une astronaute française qui s'apprête à quitter la terre pour une mission d'un an, Proxima. Alors qu'elle suit l'entraînement rigoureux imposé aux astronautes, seule femme au milieu d'hommes, elle se prépare surtout à la séparation avec sa fille de 8 ans.
« J’ai toujours souhaité quitter la Terre. À présent que je suis sur le point de la quitter, je ne me suis jamais sentie aussi attachée à elle ». Les mots de Sarah Loreau (Eva Green) valent pour programme de Proxima : à la différence de bon nombre de films spatiaux, le dernier long-métrage d’Alice Winocour se veut résolument terrestre.
Mâle espace…
Un seul homme vous manque et tout est repeuplé. On a toujours du mal à se rendre compte à quel point le male gaze phagocyte un genre. Jusqu’à ce qu’un autre regard, un female gaze, déconstruise les présupposés en vigueur. Ici, l’œil critique d’Alice Winocour, déjà réputée pour avoir mis au jour les pratiques scandaleuses de la psychiatrie masculine dans Augustine (comme réalisatrice) et la domination patriarcale encore en vigueur dans les campagnes turques avec Mustang (en tant que scénariste), s’attaque aux représentations des cosmonautes. Avant Proxima, on comptait déjà plusieurs femmes dans l’espace : Jodie Foster dans Contact, Sandra Bullock dans Gravity, Anne Hathaway dans Interstellar, etc. La petite révolution qu’opère Winocour ne tient pas tant dans la féminisation du personnel spatial, ni même dans la réévaluation de son importance narrative comme symbolique, que dans un changement de traitement. Aux errances métaphysiques déconnectées du réel que pratiquent ses homologues masculins, la cinéaste choisit d’ancrer son propos sur la terre ferme, sinon la Terre-mère.Cinéma européen oblige, Proxima s’attarde bien davantage que les superproductions américaines sur les conditions concrètes de l’exploration spatiale. On relèvera évidemment la persistance des propos et préjugés sexistes, dont le collègue de Sarah, l’États-Unien Mike Shanon (Matt Dillon), se fait le mâle héraut. Mais on notera également un fait tellement évident que la majeure partie des productions l’esquivent : une mère ne cesse pas de l’être parce qu’elle part un an dans l’espace. Aussi, Sarah Loreau passe l’essentiel de son entraînement à réconforter sa fille, bien nommée Stella (prometteuse et insolente Zélie Boulant-Lemesle), et à s’assurer qu’elle passe une année heureuse auprès de son père (Lars Eidinger), ingénieur comme elle à l’ESA, alors qu’ils se sont séparés des années plus tôt.La charge mentale existait déjà bel et bien chez certaines héroïnes cosmonautes. Mais elle fonctionnait toujours a posteriori, comme un fardeau de culpabilité qu’elles traînaient derrière elles pour n’avoir pas su prendre soin de l’être aimé. Le meilleur exemple demeure Sandra Bullock dans Gravity, hantée par la mort de sa fille, à mille lieux d’Eva Green s’efforçant d’aimer et cajoler son enfant malgré la distance qui les séparera. C’est là que réside la singularité du film de Winocour au sein du genre. Proxima inverse la donne : l’œuvre vibre d’un trop-plein de présence humaine, quand l’intégralité des films spatiaux contemporains, voire une partie de la SF dystopique (l’érotisme glacial de Blade Runner 2049), se complaît dans l’atrophie émotionnelle sous le poids d’un deuil trop intense.
… et Terre-Mère
De ce point de vue, il faudrait qualifier Proxima de film « terrestre » ou, si l’on désire vraiment l’opposer aux films « métaphysiques » dans lesquels l’espace intersidéral sert de projection à l’espace intérieur (Ad Astra, First Man), de film « physique », en revenant au sens que lui donnaient les Grecs antiques (physis, « la nature »). Alors que nombre d’humain·es stationnant en orbite souffrent de ne plus entendre les gazouillis des oiseaux, le chuchotis du vent dans les feuilles d’arbre ou le ruissellement de l’eau entre les pierres d’une rivière, Winocour et Eva Green amassent le plus possible de sensations terrestres, qui puisent aussi bien dans le répertoire de la nature (la baignade dans le lac, la promenade dans la forêt d’automne) que dans les relations sociales (les appels à Stella, les souvenirs que Sarah emporte dans la fusée). Écoféministe ? Proxima ne se revendique pas clairement du mouvement, mais il est clair que le lien que tisse le film entre la figure d’Eva Green et les éléments naturels rapproche davantage l’œuvre de Winocour des travaux d’une Starhawk que d’un fantasme de géo-ingénierie, quand bien même Sarah a suivi une formation technicienne des plus poussées. Car in fine, à l’isolement individualiste produit par un male gaze recroquevillé sur lui-même, répond un être ouvert sur le monde et nourri par la Terre, fruit d’un female gaze sensible à la collectivité.
Proxima, Alice Winocour, 2019, 1h46
Maxime
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