Début juin 2019, 780 tonnes de steaks hachés surgelés se révélant non conformes ont été livrées à des associations caritatives venant en aide aux plus démunis : Croix Rouge, Les Restos du cœur, le Secours Populaire Français et la Fédération française des banques alimentaires. Ce sont les associations elles-mêmes qui ont donné l’alerte, après constatations de moisissures et d’un goût suspect. Et pour cause : les steaks hachés contenaient en fait de l’amidon, du soja, de la peau, du gras, des amygdales et du cartilage, tous sauf de la viande donc ! Comment cette fausse viande a-t-elle pu passer tous les contrôles sanitaires ? Quels sont les acteurs impliqués dans cette affaire ? Que révèle cette affaire qui rappelle en certains points le scandale des plats cuisinés à la viande de cheval de l’usine Spanghero ?
Trois entreprises impliquées
La distribution de ces steaks avait débuté en juillet 2018. Les autorités sanitaires sont alertées en mars 2019. La DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) investigue sur la qualité́ des produits et permet l’identification des entreprises concernées. Parmi les entreprises impliquées, Voldis spécialisée dans agroalimentaire et détenue majoritairement par Valéry Le Helloco. L’enquête montre la structure nébuleuse de l’entreprise en question. Sur place, au siège social de Voldis situé à Loudéac en Bretagne, pas d’écriteau affichant « Voldis » et aucune trace d’une entreprise spécialisée dans l’agroalimentaire ! A la même adresse figure une autre entreprise : Flèche intérim, société contrôlée par M. Le Helloco, selon la déclaration à l’Autorité des marchés financiers en date de décembre 2018.
Ces informations facilement disponibles sur internet auraient pu donner l’alerte sur la tournure opaque que pouvait prendre cette affaire. La suite de l’enquête révèle que les steaks hachés ont été́ fabriqués, après externalisations successives, par un industriel polonais Biernacki et qu’entre les deux entreprises, se trouvait un intermédiaire : la société de courtage Marcel Proux (SMP). Au vu de ses informations, la DGCCRF soupçonne une tromperie en bande organisée.
Quelle est l’origine de cette commande ?
Cet achat trouve son origine dans le cadre d’un appel d’offre géré par l’État (en l’occurrence FranceAgriMer, organisme placé sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation). Cet appel d’offre avait pour but de trouver un fournisseur pour approvisionner les associations et c’est ainsi que l’entreprise Voldis a été choisie. Les financements ont été apportés par le Fonds Européen d’Aide aux plus Démunis (FEAD) et le cahier des charges rédigé par FranceAgriMer ne prête aucune considération à la qualité organoleptique du produit (odeur, saveur, aspect).
Le seul critère déterminant pour le choix du fournisseur semblait être le prix. Serait-on moins regardant sur la qualité des produits distribués quand ces derniers sont destinés à des associations caritatives ? Une question qu’il est légitime de se poser. Diminuer notre consommation de sucres, remplacer la protéine animale par la protéine végétale, manger bio… tous ces sujets sont au cœur des préoccupations sociétales, le gouvernement s’en est d’ailleurs saisi par différentes campagnes comme la recommandation de « manger 5 fruits et légumes par jour ». Varier son alimentation n’est pas un luxe mais bien quelque chose d’essentiel et recommandé à tous et y compris aux personnes se trouvant en précarité alimentaire. Les quatre associations caritatives ont besoin du FEAD puisqu’il représente entre 20 et 35 % de leurs approvisionnements et permet d’apporter de la diversité nutritionnelle… Le FEAD est une donc aide précieuse qui, complétée par les dons, permet aux associations de s’approvisionner notamment en protéines animales.
Confrontation informationnelle entre l’État et les associations
Début juin 2019, les quatre associations publient un communiqué de presse pour faire part de la fraude dont elles ont été victimes. Dans cette affaire, la diversité des acteurs, leurs visions et leurs différents objectifs (baisse des coûts de production et augmentation de la marge, santé publique, lutte contre la pauvreté, l’insertion sociale) sont, de par leur nature, antagonistes. Pour autant, considérant certains enjeux, des points de convergences sont nécessaires. En l’occurrence le premier des points de convergence : le prix versus la qualité. Si cela n’a pu être respecté au moment de l’appel d’offres, alors qu’en est-il au moment de la révélation du scandale ?
D’autres points sont également soulevés :
- Les contrôles sanitaires (conditions de propreté des lieux de production) qui sont obligatoirement fournis alors que les autocontrôles de composition ne sont présentés qu’à la demande de FranceAgriMer.
- Dans le dossier en question, ces autocontrôles n’ont pas été consultés. Madame Avelin, directrice générale de FranceAgriMer : «pour l’aspect sanitaire, nous exigeons du fournisseur qu’il nous adresse, avant les livraisons, les autocontrôles sanitaires qui ont été réalisés. En revanche, jusqu’à présent, nous n’exigions pas que les autocontrôles de composition nous soient transmis préalablement : ils devaient cependant être tenus à notre disposition et, effectivement, nous ne les avions pas vérifiés. »
- L’État n’exclut pas que la chaîne de contrôles telle qu’elle existe est « perfectible »
- Le niveau de responsabilité des associations dans l’élaboration du cahier des charges. En effet, placer la responsabilité des contrôles au moment de la réception des denrées par les associations qui, ne sont actuellement pas associées dans la rédaction de l’appel d’offres et du cahier des charges et donc dans le choix de leur fournisseur, représente un risque non négligeable.Ce qui est difficilement compréhensible car les chaînes de responsabilité sont fondées sur la traçabilité du sourcing, de la transformation, du transport, de la distribution… alors comment l’exiger pour le domaine privé et ne pas en faire un critère pour le public ? Les associations auraient dû depuis longtemps demander à être associées plus en amont dans l’élaboration du cahier des charges et des appels d’offres.
- Le niveau de responsabilité de l’Etat : il est difficilement imaginable que l’État puisse se désintéresser du sort des denrées lorsque celles-ci ont été livrées. Et donc d’être déchargé de toute responsabilité sur la partie aval.
Cette rupture dans la chaîne de responsabilité est antinomique avec le mot d’ordre international en termes de sécurité et sûreté, où on ne peut plus se cacher derrière le flou de nos fournisseurs ou de nos clients. La connaissance totale de la chaîne de distribution doit être sécurisée et connue précisément et en totalité.
Les pistes d’amélioration
Dans la pratique, certaines pistes d’amélioration ont été identifiées : en juillet 2019, la commission des Affaires économiques du Sénat par l’intermédiaire de Fabien Gay, sénateur et auteur du rapport d’information, après analyse du scandale de la « fausse viande », a dressé une liste de 18 propositions à l’issue de deux tables rondes réunissant :
- D’une part, les associations caritatives victimes de cette fraude ;
- D’autre part, les services de l’État (DGCCRF, Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), FAM), l’Autorité de gestion du FEAD en France).
Ces 18 propositions (comme mettre en place un critère de traçabilité sur les matières premières utilisées pour produire les denrées FEAD dans les appels d’offres ou encore prévoir que les autocontrôles de composition des produits fournis par le fabricant soient réalisés obligatoirement par un laboratoire indépendant agréé) ont pour but de répondre à ces défaillances.
Reste néanmoins d’autres aspects non débattus dans ce dossier : doit-on prendre en considération le destinataire final de ces produits comme étant un critère déterminant dans les appels d’offres ? On se souvient de l’affaire Spanghero qui a révélé un véritable scandale sur une substitution de viande de bœuf par du cheval. Cela avait créé l’émoi dans la sphère médiatique et chez les consommateurs. Mais le traitement dans ce dossier, dont un similaire s’est répété en août 2019 (360 tonnes de volailles gorgées d’eau, et destinées elles aussi à ces mêmes associations caritatives), bien plus que de révéler les défaillances préalablement citées, révèle aussi une différence de traitement quant au destinataire final.
Les failles persistantes
Ces scandales alimentaires révèlent une trop grande légèreté quant à l’attribution d’un fournisseur pour des associations dont le but est caritatif. En résumé, le seul but du caritatif est-il uniquement de distribuer à manger, faisant peu de cas de la composition des denrées, du moment que cela coûte le moins cher possible ? Le volet économique est primordial surtout dans le domaine associatif qui vit principalement de dons et subventions mais concilier (et non opposer) volet économique et volet nutritionnel est fondamental. Quand une personne est en grande précarité, l’essentiel c’est de manger et la qualité est un critère fondamental. Par qualité, nous n’entendons pas manger le rare et inimitable bœuf de Kobe mais simplement les apports essentiels. Dans le cadre de cet appel d’offres, il s’agissait de la protéine animale fournie par la viande de bœuf. Les associations ne s’attendaient pas à un agglomérat d’abats, de gras, de peau, de tissus lymphoïdes, d’amygdales, ou autres dont personne ne voudrait. On ne parle pas de substitut en l’occurrence, mais d’une réelle tromperie sur le produit !
Quant à la traçabilité, on note une ambivalence des exigences de l’état vis-à-vis des opérateurs français mais pas sur ces propres critères d’attribution dans les appels d’offres à des fins sociales. En effet à ce jour, il n’est toujours pas possible de déterminer l’origine de la viande contenue dans les steaks hachés distribués dans le cadre du marché public incriminé… Face à ce cocktail d’enjeux, venir en aide aux plus démunis en considérant l’aspect économique est primordial, plus particulièrement dans le vent de revendications qui soufflent sur le pays depuis novembre 2018. Mais aussi, ces affaires de fausse viande et de volailles gorgées d’eau soulèvent en réalité la question sur le devenir de l’alimentation dans un contexte d’accroissement démographique et de raréfaction des ressources.
Aurélie Jarlegant
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