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1917. Entrer dans l’enfer des tranchées

Par Balndorn
1917. Entrer dans l’enfer des tranchées
Résumé : Pris dans la tourmente de la Première Guerre mondiale, Schofield et Blake, deux jeunes soldats britanniques, se voient assigner une mission à proprement parler impossible. Porteurs d’un message qui pourrait empêcher une attaque dévastatrice et la mort de centaines de soldats, dont le frère de Blake, ils se lancent dans une véritable course contre la montre, derrière les lignes ennemies.
Pour qui a perdu ses ancêtres durant la Grande Guerre, voir 1917 mettra ses nerfs à rude épreuve, tant le niveau d’immersion dans l’enfer des tranchées atteint non seulement un haut degré de réalisme, mais en outre colle de manière viscérale aux actions des protagonistes.
Le plan-séquence : de la performance technique…
Quatre plans. Voilà tout ce dont se composera les deux heures du nouveau long-métrage de Sam Mendes. On saluera bien sûr la performance technique de tourner un film de guerre trente à quarante minutes sans interruption, mais la force de 1917 ne tient pas dans ce seul exploit. Filmer en plans-séquence peut en effet tourner à vide et ne plus renvoyer qu’à la performance accomplie ; le meilleur exemple en la matière restant Gravity, dont la beauté des plans-séquence intersidéraux n’a d’égale que la platitude du scénario et du discours. Fort heureusement, Emmanuel Lubezki, chef-opérateur d’Alfonso Cuarón pour Gravity et le bien meilleur Les Fils de l’Homme, s’en alla travailler avec un troisième Mexicain, Alejandro Iñárritu ; et de la collaboration des deux naquirent les superbes Birdmanet The RevenantJ’avais longuement commenté The Revenant à sa sortie, insistant sur la « nouvelle forme-sens » accordée aux plans-séquence, capable de plonger le spectateur « dans la chair même du monde ». Il semble que 1917 s’inscrive dans ce nouvel usage du plan-séquence. Cette fois-ci, aucun Mexicain à la barre, mais deux Anglais : Sam Mendes à la réalisation et Roger Deakins à la photographie. On connaissait Deakins pour ses couleurs chatoyantes (Blade Runner 2049, Dragons 2 et 3), son sens charnel de la tension (Sicario, No Country for Old Men, etc.) et sa collaboration avec Mendes sur Skyfall et Spectre. Enfin débarrassés de la pesanteur de la saga James Bond et bien appuyés par le travail sonore remarquable du monteur Lee Smith (à l’œuvre derrière Dunkerque), les deux Britanniques combinent leurs talents respectifs pour entrer dans la peau de jeunes soldats anglais au fin fond de la Somme.
… à une nouvelle éthique des relations sociales
Comme dans The Revenant, le plan-séquence pose une nouvelle éthique des relations humaines. Réunis dans un même plan et non plus séparés par un champ/contrechamp, les deux personnages principaux, Blake (Dean-Charles Chapman) et Schofield (George MacKay), interagissent d’abord en se positionnant dans l’espace l’un par rapport à l’autre. En témoigne la scène poignante de tension et d’amitié au cours de laquelle Blake sauve Schofield d’une galerie de mine sur le point de s’effondrer : de même que Blake guide son camarade aveuglé en le tenant par la main, le plan-séquence en plan large figure la solidarité des deux jeunes hommes en montrant leurs corps unis malgré l’adversité.Au demeurant et comme le montre la scène de la mine, Sam Mendes choisit délibérément de mettre au centre de ses plans la solidarité entre soldats d’un même camp, reléguant la majorité de la violence dans le hors-champ ou des objets vestigiels (les ruines, les cadavres, les trous d’obus, etc.). Ce prisme humain valorise, dans la lignée des travaux d’un Tardi outre-Manche par exemple, l’expérience intime des soldats plutôt que l’exaltation patriotique de l’armée nationale. Il trouve cependant ses limites dans la représentation des soldats allemands. On aurait pu espérer que la solidarité s’étendrait jusqu’à l’ennemi, comme dans Joyeux Noël ; or, les soldats allemands apparaissent systématiquement comme des traîtres, des revanchards, en un mot des bellicistes, à rebours du pacifisme, sinon de la camaraderie, qu’affichent les soldats britanniques.  
1917. Entrer dans l’enfer des tranchéesÉcologie du champ de bataille
Cependant, 1917 ne se contente pas d’appliquer la forme-sens des cinéastes mexicains à la Première Guerre mondiale. Mendes et Deakins perfectionnent un aspect qu’Iñárritu et Lubezki exploitaient paradoxalement peu : l’espace. Certes, Birdman et The Revenant regorgent de points de vue spectaculaires. Voler à travers les immeubles new-yorkais ou chuter à cheval du haut d’une falaise enneigée, à chaque fois en un seul plan, tient de l’exploit ; mais précisément, l’espace sert ici davantage de tremplin vers le spectaculaire cinématographique que de milieu de vie dans lequel cohabite une myriade d’êtres vivants. Or, si 1917ne manque évidemment pas de scènes spectaculaires, sa conception de l’espace repose avant tout sur la continuité biologique et géographique. C’est presque à une écologie du champ de bataille que se livrent Mendes et Deakins, tant le film progresse, à la hauteur et à la vitesse de ses protagonistes humains, à travers une pluralité de paysages. On n’aura jamais vu les tranchées filmées de cette manière. À la frontalité meurtrière et inhumaine du classique À l’Ouest, rien de nouveau, où toute vie – sauf dans le magnifique dernier plan – a disparu du no man’s land, 1917 peint la Somme dévastée comme un continuum de territoires. Ainsi, après les tranchées grouillantes de vie où pénètre la caméra et le no man’s landbourbeux dans lequel prolifèrent rats et corbeaux, les deux héros découvrent l’arrière du front, peu représenté d’ordinaire, ses cerisiers en fleurs et ses rivières sauvages comme ses villages en flammes.Ce faisant, en réinscrivant la tranchée dans un territoire, 1917 met en images ce que l’industrie militaire fait à la nature : canons et camions transforment inlassablement la terre fertile en un désert stérile. Une lueur d’espoir existe cependant : à quelques mètres de la ligne de mort, la vie sauvage reprend ses droits. Les herbes folles envahissent les champs désertés par les paysans et les vaches, affranchies d’un maître, paissent paisiblement dans les prairies.De manière plus radicale encore que The Revenant, 1917 propose donc une éthique holistique. Si l’on ne bascule pas encore complètement dans l’anti-spécisme, au moins en reprend-on les traits principaux : tout être vivant, qu’il soit animal ou végétal, vit d’interactions avec les autres êtres. Et le plan-séquence se révèle l’une des meilleures manières de saisir les invisibles connexions du vivant.
1917. Entrer dans l’enfer des tranchées
1917, Sam Mendes, 2020, 1h59
Maxime
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