Les pendants de Jan Victors

Publié le 13 février 2020 par Albrecht

Jan Victors, élève de Rembrandt, est un peintre très mal connu. Il a peint beaucoup de scènes de l’Ancien Testament, probablement sur commande de riches marchands juifs. Parmi elles on trouve quelques pendants très originaux, dont l’appariement reste en partie mystérieux.

J’en ai établi la courte liste à partir de l’ouvrage de référence, la thèse de Debra Miller [1] (les numéros DM sont ceux de ce catalogue raisonné).

Joseph racontant ses rêves à son père, Wadsworth Atheneum, Hartford  (DM 51) (202 x 158 cm)
Joseph présente son père Jacob à Pharaon, localisation inconnue (DM 58) ) (204 x 163 cm)

Jan Victors, 1651

Ces deux tableaux illustrent le début et la fin de l’histoire de de Joseph.

Le premier tableau montre l’événement déclencheur de toute l’histoire, le second rêve de Joseph :

« Il dit:  » J’ai eu encore un songe: le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. « . Il le raconta à son père et à ses frères, et son père le réprimanda, en disant:  » Que signifie ce songe que tu as eu? Faudra-t-il que nous venions, moi, ta mère et tes frères, nous prosterner à terre devant toi? Et ses frères furent jaloux de lui, mais son père conservait la chose dans son coeur. » Genèse 37,9:11

Joseph fait ensuite carrière et devient vice-roi d’Egypte. Le second tableau montre la happy-end :

« Joseph fit venir Jacob, son père, et le présenta à Pharaon. Jacob bénit Pharaon; et Pharaon dit à Jacob:  » Quel est le nombre de jours des années de ta vie?  » Jacob répondit à Pharaon:  » Les jours des années de mon pèlerinage sont de cent trente ans. Courts et mauvais ont été les jours des années de ma vie, et ils n’ont point atteint les jours des années de la vie de mes pères durant leur pèlerinage.  » Jacob bénit encore Pharaon et se retira de devant Pharaon. Joseph établit son père et ses frères, et leur assigna une propriété dans le pays d’Égypte, dans la meilleure partie du pays, dans la contrée de Ramsès, ainsi que Pharaon l’avait ordonné; et Joseph fournit de pain son père et ses frères, et toute la famille de son père, selon le nombre des enfants ». (Genèse, 47, 7:12)

La logique du pendant

Dans ces deux compositions parallèles, Joseph occupe la même place, debout devant une figure d’autorité assise : mais ses moustaches et ses vêtements disent son ascension. A l’inverse,  le couvre-chef enlevé à Jacob (qui a gardé la même pelisse bordée de fourrure) marque sa subordination.

Esaü vend son droit d’aînesse à Jacob pour un plat de lentlles, Muzeum Narodowe, Varsovie (DM 36) (109 x 137 cm) Naomi et Ruth , Kingston, Agnes Etherington Art Centre (DM 67) (108.5 x 137 cm)

Jan Victors, 1653

Ce pendant intérieur/extérieur et masculin/féminin oppose :

  • la rivalité entre les deux frères Esaü et Jacob,
  • l’affection entre deux femmes qui ne sont pas du même sang ni du même peuple, Ruth la Moabite et sa belle-mère Naomi la Juive : on voit à l’arrière-plan Orpah l’autre belle-fille de Naomi, qui a décidé de ne pas rentrer pas avec elle au pays de Juda. [2]


La coupe découverte dans le sac de Benjamin (DM 57) (196.5 x 179 cm) La découverte de Moïse (DM 61) ( 199 x 175 cm)

Jan Victors, 1653, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde (photos JL Mazieres)

Cet autre pendant masculin féminin (onze figures de chaque côté) est beaucoup plus mystérieux.

Le premier tableau illustre une ruse de Joseph (Genèse 44) : pour garder son frère favori Benjamin auprès de lui en Egypte, Joseph a fait cacher un vase précieux dans son sac. Tandis que Benjamin et ses frères repartent vers le pays de Canaan, Joseph envoie son intendant (l’homme au turbean) pour les intercepter, accuser Benjamin de vol et le ramener comme esclave.

Le second tableau montre un épisode très rarement représenté : l’allaitement de Moïse par sa propre mère sous les yeux de la fille de Pharaon :,

« Un homme de la maison de Lévi était allé prendre pour femme une fille de Lévi. Cette femme devint enceinte et enfanta un fils. Voyant qu’il était beau, elle le cacha pendant trois mois. Comme elle ne pouvait plus le tenir caché, elle prit une caisse de jonc et, l’ayant enduite de bitume et de poix, elle y mit l’enfant et le déposa parmi les roseaux, sur le bord du fleuve. La soeur de l’enfant se tenait à quelque distance pour savoir ce qui lui arriverait. La fille de Pharaon descendit au fleuve pour se baigner, et ses compagnes se promenaient le long du fleuve. Ayant aperçu la caisse au milieu des roseaux, elle envoya sa servante pour la prendre. Elle l’ouvrit et vit l’enfant: c’était un petit garçon qui pleurait; elle en eut pitié, et elle dit: « C’est un enfant des Hébreux. » Alors la soeur de l’enfant dit à la fille de Pharaon: « Veux-tu que j’aille te chercher une nourrice parmi les femmes des Hébreux pour allaiter cet enfant? » « Va » lui dit la fille de Pharaon; et la jeune fille alla chercher la mère de l’enfant. La fille de Pharaon lui dit: « Emporte cet enfant et allaite-le-moi; je te donnerai ton salaire. » La femme prit l’enfant et l’allaita. Quand il eut grandi, elle l’amena à la fille de Pharaon, et il fut pour elle comme un fils. Elle lui donna le nom de Moïse, « car, dit-elle, je l’ai tiré des eaux. » Exode 2, 1-10

La logique du pendant (SCOOP !)

Le thème commun, celui de la tromperie pour une bonne cause, est développé en parallèle :

  • à gauche l’enjeu : le jeune Benjamin ou le bébé Moise :
  • au centre le complice de la tromperie : l’Intendant, ou la grande soeur qui présente la vraie mère comme une simple nourrice ;
  • à droite les dupes : les frères de Joseph stupéfaits, la fille de Pharaon apitoyée.


Jacob enterre les fausses idoles (DM 49) (180 x 194 cm) Ruth et Boaz (DM 69) (181 x 201 cm)

Jan Victors, 1655-1676, Statens Museum for Kunst, Copenhague

Jacob enterre les fausses idoles

« Jacob dit à sa famille et à tous ceux qui étaient avec lui: «Enlevez les dieux étrangers qui sont au milieu de vous, purifiez-vous et changez de vêtements. 3 Nous nous lèverons et nous monterons à Béthel… Et ils donnèrent à Jacob tous les dieux étrangers qui étaient entre leurs mains et les boucles qu’ils avaient aux oreilles, et Jacob les enfouit sous le térébinthe qui est à Sichem. Ils partirent, et la terreur de Dieu se répandit sur les villes d’alentour, et on ne poursuivit pas les fils de Jacob. » Genèse, 35,2:5

Ruth et Boaz

« Boaz dit à Ruth: «Ecoute, ma fille, ne va pas ramasser des épis dans un autre champ; ne t’éloigne pas d’ici, reste avec mes servantes. Regarde où l’on moissonne dans le champ et va après elles. J’ai défendu à mes serviteurs de te toucher. Quand tu auras soif, tu iras aux vases et tu boiras de ce que les serviteurs auront puisé. » Ruth 2,8:9

La logique du pendant (SCOOP!)

Elle reste très énigmatique. Formellement, dans chaque tableau, un homme âgé s’adresse à une jeune femme :

  • en désignant le ciel pour invoquer le commandement de Dieu ;
  • en désignant la terre.

L’idée est peut être le parallèle entre la mise sous terre des idoles, prélude au départ sans encombres, et le glanage des blés, prélude à l’établissement heureux de Ruth sur les terres de Boaz.

L’habillage des orphelines à l’Orphelinat des Diaconesses (DM 20) Le repas des orphelines à l’Orphelinat des Diaconesses (DM 19)

Jan Victors, 1659-62, Amsterdam Museum

Les deux scènes servent de prétexte à un portrait de groupe des diaconesses, dont l’identité est précisée dans le cartouche : la lettre W à la suite des noms d’un couple signifie qu’il s’agit d’une veuve (Weduwe), la lettre V indique une femme mariée (Huis Vrouv). Ce sont ces indications biographiques qui ont permis dé déterminer la date approximative du pendant.

L’habillage et le repas des orphelins
Jan de Bray, 1663, Frans Hals Museum, Haarlem

Un peu plus tard, Jan de Bray traite le même thème des trois actes de Charité (donner à boire, à manger, à s’habiller) pour la chambre du Régent de l’orphelinat du couvent de Magdalene à Harlem,mais sans la notion de portrait de groupe.

Pendants incertains

Marchands avec un singe (Marktkoopvrouwen met een aapje ) Marchands de fruits avec un perroquet (Fruitverkoopster met een papegaai)

Attribué à Jan Victors, ccllection privée


Le boucher (De varkensslachter), 1648, Amsterdam Museum, en prêt au Rijksmuseum (DM 95) ( 99,5 x 79,5 cm) Le dentiste, 1654, Amsterdam Museum (DM 109), (94.5 x 78 cm),

Jan Victors

Ces deux tableaux ont été acquis comme pendants, mais leur date différente (inscrite sur les tableaux) laisse penser qu’i s’agit vraisemblablement de faux-pendant.

Le boucher au travail, localisation inconnue (DM 98) Scène de village avec un poissonnier et un mariage (Village Scene with a Fishmonger and Wedding Par), localisation inconnue (DM 134) (91 x 73 cm)


Références : [1] Debra Miller, JAN VICTORS (1619-76). (VOLUMES I AND II), thèse de 1985 [2] Debra Miller, « Ruth and Naomi of 1653: an unpublished painting by Jan Victors » dans The Hoogsteder Mercury, Journal 2 , https://hoogsteder.com/oldmaster/wp-content/uploads/2014/03/The-Hoogsteder-Mercury.pdf