La confrontation entre les puissances mondiales concerne aussi la question des Devises. Cette guerre des changes se caractérise par une situation dans laquelle les différents pays tentent de déprécier leur monnaie, afin de favoriser leurs exportations et d’ajuster leurs inflations. Ce type de pratique unilatérale des banques centrales est objet de tension, et de confrontation entre les puissances mondiales. Il est souvent orchestré autour de stratégie d’influence intercontinentale. Le jeu autour des devises est utilisé par les banques centrales, comme un levier de redressement économique dans un contexte de taux très bas, voire négatifs pour soutenir les exportations et améliorer leur compétitivité.
Accusations mutuelles et déstabilisation informationnelle
Le Trésor américain maintient sous surveillance continue la Chine, le Japon, la Corée du Sud, la Suisse, l’Inde et l’union Européenne pour leur politique de change. Les Etats-Unis d’Amérique les soupçonne de pratiquer des dévaluations compétitives à son détriment. En juillet 2018, le président américain accusait « la Chine et l’Union européenne » de « manipuler leurs monnaies en baissant leur taux d’intérêt ». Une année auparavant, il reprochait à l’Allemagne de « profiter d’un Euro sous-évalué », après avoir accusé le Japon d’en faire autant avec le Yen et le Brésil pour un affaiblissement volontaire de sa monnaie, représentant ainsi un changement stratégique de Washington, puisque les dernières désignations officielles par le Trésor de pays « manipulateurs » remontent déjà à 1994. Dans le clan inverse, plusieurs pays ont accusé les Etats-Unis d’Amérique d’exercer une stratégie du Dollar faible pour favoriser les échanges extérieurs américains. Dans cette confrontation rude et à effet systémique, tous les pays veulent dévaloriser ou sinon, freiner la réévaluation de sa monnaie. Or, lorsqu’une devise baisse, inversement une autre devise est immédiatement revalorisée. C’est un jeu à somme nulle !
La suprématie de la monnaie américaine
C’est un « privilège exorbitant » des Etats-Unis d’Amérique. Telle est l’expression consacrée par Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, en plaçant le dollar américain, monnaie de réserve internationale de référence au cœur du système monétaire international. Le Dollar américain est la principale monnaie de réserve utilisée dans le monde. En 2018, cette devise représentait 62 % des réserves des banques centrales à travers le monde. Elle est également la plus utilisée dans le commerce international, où la plupart des matières premières, agricoles ou énergétiques, sont cotées en dollars et dans les places boursières américaines.
Pour maintenir sa position de premier acteur économique, les Etats-Unis d’Amérique a mis en œuvre une stratégie offensive d’encerclement cognitive basée sur deux leviers principaux : un levier financier, utilisant le Dollar américain comme devise de change, et un autre législatif, élargissant la loi d’extraterritorialité pour couvrir toute transaction réalisée avec le billet vert. Sur le plan financier, Donald Trump a mandaté, dès son arrivée à la maison blanche, l’administration américaine à opérer de nouvelles réflexions pour la mise en place d’une réglementation, permettant d’imposer des droits compensateurs aux pays pratiquant le dumping monétaire, dans une optique de rééquilibrer les échanges commerciales au profit des Etats-Unis d’Amérique.
Dans ce cadre, Le Trésor américain a lancé une action hautement symbolique l’année dernière, en inscrivant la Chine sur la liste des « manipulateurs de devises ». Ainsi dans son communiqué, le Trésor américain a précisé que Steve Mnuchin « va discuter avec le FMI afin d’éliminer l’avantage compétitif créé par les récentes décisions chinoises ». Cette procédure envisagerait des sanctions sous forme de hausses compensatoires des droits de douane, ou d’exclusion des entreprises chinoises des appels d’offres publics américains.
Sur le plan législatif, et dans le cadre de sa stratégie d’encerclement cognitif, le pays de l’Oncle Sam a intégré l’utilisation de la monnaie américaine dans le dispositif de sa loi d’extraterritorialité. En effet, la position privilégiée du dollar a permis aux Etats-Unis d’Amérique d’inonder les marchés mondiaux par sa devise. De ce fait, son utilisation répondue permet de s’acquitter d’un vrai avantage stratégique, d’où l’idée que son usage seul pourrait présenter un élément de rattachement suffisant avec le territoire américain, et un élément clé d’affaiblissement stratégique. S’appuyer sur le billet vert, permet donc, l’application extraterritoriale du droit américain sans aucune limite spatiale ou personnelle.
En vertu du principe de ce dispositif législatif, plusieurs banques et entreprises ont été piégées et infligées à des amendes de montants colossaux, comme le cas de la Société générale qui était contrainte de payer 1,2 milliards d’euros, pour solder son litige avec les autorités américaine. Elle avait pour seul péché l’utilisation du Dollar américain dans des transactions avec des pays sous embargo économique américain (Cuba, Souda, Iran).
Contre-Attaque de la Chine
Pour contrer la stratégie américaine, la république populaire de Chine, s’est efforcée de son côté, de développer, l’usage d’une monnaie alternative, et de levier de pression afin de remédier les actions offensives américaines. La Chine utilise désormais de plus en plus le Yuan (ou Renminbi), comme une monnaie alternative, pour ses transactions commerciales et multiplie les initiatives pour préparer son internationalisation. Selon la banque centrale chinoise, les règlements transfrontaliers en Yuan de la République populaire de Chine, au titre des comptes courant de 2011, s’élevaient à 2 580 milliards de Yuans (environ 400 milliards de dollars). L’année suivante, ce chiffre a été augmenté de 57,5% et s’est élevé à 4630 milliards de Yuans (746 milliards de Dollars US) ce qui représentait déjà 2,5% des règlements des échanges internationaux. Ce contexte de hausse des échanges et des investissements transfrontaliers en RMB a continué jusqu’à positionner cette devise comme la cinquième monnaie la plus largement utilisée sur le plan international en 2014 après le Dollar américain, l’Euro, la Livre britannique et le Yen japonais.
Par ailleurs, le FMI a acté en 2016, l’internalisation du Renminbi et son inclusion en tant que devise de réserve dans le nouveau panier de valorisation des droits de tirage spéciaux, ce qui a permis de soutenir davantage la tendance haussière. La stratégie chinoise s’est appuyée également sur son initiative de route de la soie « Belt and Road », en tant que moteur important pour propulser sa devise sur la scène internationale. Plus de 1 900 institutions financières utilisent désormais le renminbi (RMB), pour les paiements avec la Chine et Hong Kong. L’internationalisation du RMB revêt une grande importance stratégique pour les banques et les institutions financières, ainsi plusieurs projets ont vu le jour, afin de faciliter l’utilisation du Renminbi sur le plan international, comme son intégration au réseau bancaire SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication).
Du fait des enjeux stratégiques, souverains et économiques, la guerre des devises se caractérise par la diversité des acteurs et la complexité du mécanisme financier mondial. Dans cette confrontation, les deux puissances mondiales, les Etats-Unis d’Amérique et la Chine, n’épargnent aucun effort dans la défense de leur intérêt, par la mise en place de stratégie et d’actions offensives ou réactives, menant ainsi un jeu variable de mouvement continue où tous les leviers seraient autorisés.
Abdelali Arherbi
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