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Levallois-Perret, la fin de l’ère Balkany

Publié le 19 février 2020 par Alex75

Isabelle Balkany a présidé jeudi 13 février le dernier conseil municipal à Levallois avant les élections de mi- mars, mais aussi de sa carrière politique. Et cela au lendemain de la libération de son époux de la prison parisienne de la Santé, en raison de son état de santé, après cinq mois, pour fraude fiscale et blanchiment et dans l’attente de la décision de la Cour d’appel sur chacun des volets, les 4 mars et 22 avril prochains. Isabelle Balkany est elle-même sortie d’une grave dépression nerveuse, feinte, réelle ou supposée, il y a quelques mois de cela, au début de ses ennuis judiciaires. Isabelle Balkany, maire intérimaire depuis l’incarcération de son mari, avait prévenu la veille qu’elle présiderait elle-même le conseil. Son mari se reposerait, avait-elle tranché, son époux étant apparu aimaigri. C’est donc elle, 1ère adjointe, qui a présidé l’ultime séance de l’ère Balkany à Levallois. Elle est entrée dans la salle de conseil municipal sous les applaudissements des habitants venus, pressés les uns contre les autres sur les gradins, dans l’hôtel-de-ville haussmannien plein à craquer. Isabelle Balkany a dit dire « au revoir » ou plutôt « adieu » à Levallois, à savoir la commune dont elle est élue depuis 1983 avec son mari, avec une parenthèse d’un mandat. Patrick Balkany a tenu, dans une lettre lue par sa femme, à adresser quelques mots à ses administrés. « Je vous aime et je vous aimerai toujours », a-t-il déclaré. Après leur condamnation en 1ère instance pour fraude fiscale et blanchiment aggravé, ils avaient finalement renoncé fin 2019 à se présenter pour un 6e mandat à la mairie non sans dénoncer la « confiscation du suffrage universel par la justice ». C’est une de leurs adjointes, qui sera la candidate LR aux municipales à Levallois.

C’est un Patrick Balkany épuisé et d’une maigreur épouvantable, qui tire ainsi sa révérence, lui qui pensait qu’il allait mourir tranquillement en prison, comme il le dit lui-même. Il était incarcéré depuis le 13 septembre avec mandat de dépôt dans le quartier des personnes vulnérables de la Santé, là où a été l’opérateur de marché de la Société Générale Jérôme Kerviel, l’homme d’affaires Bernard Tapie, le préfet Maurice Papon, l’ex-dirigeant d’Elf-Aquitaine Alfred Sirven, l’homme d’affaires Xavier Niel en 2004, mais aussi des policiers ripoux comme l’ancien directeur-adjoint à la PJ de Lyon Michel Neyret. Ou peut-être dans le temps, le poète et écrivain Guillaume Appolinaire en 1911, qui a été accusé à tort de complicité dans le vol de la Joconde. Il était seul dans une cellule rénovée, équipée d’un téléviseur loué, bénéficiant de la visite d’un médecin, mais cela restait la prison, avec une heure de promenade par jour. Il est toujours officiellement maire, les peines en 1ère instance n’étant pas exécutoires. Isabelle Balkany a été condamné à trois ans, elle aussi frappée d’inégibilité, la décision n’étant pas exécutoire. Il est fait état de la dégradation manifeste de l’état général de santé de l’élu condamné, âgé de 71 ans. Régulièrement hospitalisé depuis la mi -décembre, Patrick Balkany a été opéré d’une tumeur osseuse à la hanche et il apparaît comme sérieusement affaibli (ayant perdu 30 kg). Dans un état dépressif marqué, il est atteint d’une complication intestinale (infarctus mésentique), grave, rare et potentiellement mortelle.

D’où la réclamation obtenue de libération immédiate auprès de la cour de l’avocat Me Romain Dieudonné, après une expertise médicale relevant un état général jugé incompatible avec la détention. « Je peux récupérer, me soigner… », a-t-il déclaré dans un récent entretien filmé, la victimisation jouant peut-être quelques peu, pour la 2e audience dans ces circonstances. Mais l’élu est cette fois-ci sérieusement malade et affaibli, étant difficile de déterminer en quelle mesure ces ennuis judiciaires ont pu accélérer ces soucis de santé peut-être sous-jacents, comme on l’a dit pour Bernard Tapie, atteint d’un cancer de l’estomac. C’est la fin d’un empire. Cette affaire de fraude fiscale et de blanchiment aggravé les ayant rattrapée, signe la fin de leur carrière politique. Bien qu’ayant déjà été condamnés par le passé, en 1995, à une peine d’inégibilité d’un mandat, mais pour des faits beaucoup moins graves. On a l’impression que les Balkany appartenaient à une autre époque, celle où les Hauts-de-Seine étaient un empire et sur lequel régnait d’abord un certain Charles Pasqua, puis un certain Nicolas Sarkozy. Avec des personnages, des barons, nous pourrions dire, du type de Patrick Balkany à Levallois. Patrick Devedjian à Antony, André Santini à Issy-les-Moulineaux, Joël Ceccaldi-Raynaud à Puteaux, dans des communes souvent initialement à gauche, voire communistes dans l’après-guerre et conquises par le RPR / UDF au début des années 1980. C’est l’occasion d’opérer un retour sur une incroyable saga politique. C’est l’histoire d’un tandem, d’un duo souverain à Levallois, d’un couple carriériste, la stratège étant Isabelle Balkany, qui a pensé l’aménagement de la commune. Enlevée au PCF en 1983, autrefois ouvrière, Levallois est devenue une commune assez cossue, en pointe, avec l’immense aménagement du front de Seine. Patrick et Isabelle Balkany, c’est un couple type Bonnie and Clyde.

Née en 1947 à Boulogne-Billancourt, Isabelle Smadja, de son nom de jeune fille, est une fille d’immigrés juifs tunisiens, ayant fait fortune dans l’import-export et le caoutchouc, domiciliés dans le 16e. Lui, sa famille paternelle est d’origine juive hongroise et a fait fortune dans le prêt-à-porter. Patrick Balkany est né en 1948 et il a passé son enfance à Neuilly / Seine. Le magasin paternel  « Réty » est situé en face de l’Elysée, où Patrick Balkany effectuera son service militaire au service de presse. Ils se sont rencontrés en 1975. Il invite sa future épouse à un match de boxe, ce qui est pour le moins original. Ils dînent chez Lipp, puis convolent ensemble en voyage de noces. Patrick Balkany veut initialement être acteur. Séducteur et fêtard, en 1966, il a alors 18 ans et ne se voit pas nécessairement reprendre l’affaire de prêt-à-porter de luxe lancée par son père, plutôt en haut de l’affiche au cinéma. Il a ainsi joué plusieurs petits rôles secondaires au cinéma et à la télévision, dans Soleil noir sous la direction de Denys de la Patellière et dans le rôle du grand-duc Vladimir Pavlovitch dans J’ai tué Raspoutine, dans un rôle offert par son ami, le réalisateur Robert Hossein. Il pense finalement à la politique. Candidat malchanceux à Auxerre en 1976, il revient en région parisienne. Devedjian ira à Antony, Balkany à Levallois. On les appelle les Pasqua Boys. Balkany ouvre une permanence en face de l’hôtel de ville de Levallois, qui fonctionne rapidement comme une sorte de mairie bis. Il est candidat d’opposition sous étiquette RPR, la mairie étant communiste, l’élu en poste (depuis 1965) étant alors Parfait Jans, ancien ouvrier ajusteur, chauffeur de taxi puis député (1967-68, 1973-86). 

Cette banlieue ouest, ancien département de la Seine, devenu les Hauts-de-Seine (92) a été excessivement populaire. Dans les années 1950, c’était encore une banlieue rouge, communiste, ouvrière, berceau de l’automobile. A la fin des années 1960, De Gaulle décide d’aménager le quartier de la Défense, alors des terrains vagues, ex-zone de manoeuvre militaire, occupée en partie par des bidonvilles, ainsi baptisée en référence à la statue baptisée la Défense de Paris (toujours visible, mais déplacée), dressée en hommage aux barricades des Parisiens, lors du siège et des bombardements allemands sur Paris en 1870. De Gaulle veut en faire un quartier d’affaires, qui bouleversera le territoire et est alors créé le comité d’aménagement de la Défense. Les gaullistes lancent à la fin des années 1960, l’offensive contre les municipalités communistes. C’est le début de la conquête par la droite. En tête, le jeune Charles Pasqua, fils de gendarme, représentant chez Pernod-Ricard et à la tête du SAC (service d’action gaulliste), qui est entré en politique au sein du RPF. Il décide de faire du département le « coffre-fort » du futur RPR, devenu ensuite l’UMP, puis « LR ». La reconquête par la droite se poursuit dans les années 70 et suite à l’élection de François Mitterrand en 1981, la droite arrache de nombreuses communes à la gauche dans les Hauts-de-Seine aux municipales 1983. Il y a trente-six ans, Levallois était communiste avec des taudis partout, des hôtels miteux, des bars de voyous, des zones industrielles en déliquescence, voire en friche, notamment sur les quais de Seine. La firme Citroën y occupe dès 1929, l’usine « Clément-Bayard » (70 000 m²), fermée en 1988, où sera fabriquée la fameuse « 2 CV ». Levallois était également jusque dans les années 1970, le repaire des taxis de la région parisienne, où se trouvait de nombreux garages.

Balkany fait 51 % en 1983. Il a trente-cinq ans. C’est difficile. Il gagne de justesse. Il arpente les rues. Isabelle Balkany est la communicante, journaliste à la base. Elle est dans la stratégie. C’est aussi la droite des années 1980 et 90. Ils sont la jeunesse, l’avant-garde de la droite RPR et comptent bien marquer la vie politique française, quand ils sont élus. « Je suis là pour trente ans, si je ne fais pas de bêtises », dit-il à son élection. Pourtant, il y en aura. Ils réfléchissent à l’aménagement de ces villes de l’ouest parisien en misant sur la sécurité. Il fait parler les bulldozers, pour en faire une banlieue chic. Ils ont transformé cette ville indéniablement. Durant ses deux premiers mandats, Patrick Balkany a contribué à la profonde mutation de Levallois, à l’image de toute la partie nord des Hauts-de-Seine qui a changé, le plus souvent gérée par des mairies de droite et avec beaucoup à faire sur le plan immobilier. Soit un Etat dans l’Etat en France et don le PIB est équivalent à celui de la Grèce avant 2008 et de beaucoup de petits pays européens, parce qu’il y a ce quartier d’affaires de la Défense, avec beaucoup de sièges sociaux de grands groupes et d’entreprises payant leurs impôts locaux aux communes limitrophes (Puteaux, Courbevoie, Asnières, Suresnes…). A Levallois, le quartier du front de Seine est également une mini-la Défense. Les zones industrielles déliquescentes ou en friches ne cessent dégringoler à leur arrivée et Patrick Balkany les a transformés en quartiers résidentiels ou de bureaux.

Il a fait venir une nouvelle population (passant de 50 000 à 65 000 habitants), ce qui signifie de nouveaux électeurs, leur offrant les services, dont elle avait besoin. Dans sa chanson Levallois, le chanteur Florent Marchet et dans son roman 99 Francs, le romancier Frédéric Beigbeder citent Levallois comme l’archétype des années 2000 de la commune de première couronne parisienne. Elle est décrite comme le refuge d’une jeunesse médiocre (emplois tertiaires dans la capitale), de droite (non-boboïsée), contrainte de quitter Paris à cause des prix de l’immobilier, pour s’y installer en famille. C’est comme cela que ces communes se sont complètement transformées architecturalement et sociologiquement. Balkany a été réélu, étant indéniable qu’il a transformé cette Levallois. Il en a fait la commune des classes moyennes, des cadres, avec des crèches partout, des centres sportifs, des associations sportives. Et Balkany a soigné ses habitants, avec le taux de crèche le plus élevé en France, chaque retraité ayant droit à sa bouteille de champagne, chaque année. Mais au prix d’un endettement énorme, qui devra être payé, un jour, par les citoyens de Levallois. C’est la ville la plus endettée de France. Mais c’est en même temps, une commune où il y a des sièges sociaux (Alstom, Plastic Omnium, Guerlain…) pouvant justifier cet endettement. Et cela fait longtemps que la presse et la justice suspectent Patrick Balkany de monnayer les terrains immobiliers, de faire de l’argent et d’avoir constitué une fortune.

Dès lors, la page est tournée. On se méfiait, car cela faisait longtemps que l’on parlait de sa fin, de sa chute. Effectivement, Patrick Balkany est dans le tourbillon de la justice depuis 1995, réunissant la plus grande collection de mises en examen de l’histoire de la vie politique française. Sa 1ère condamnation était liée au fait qu’ils confondaient personnel municipal et domestique, emmené par exemple dans leur villa aux Antilles. Il a été réélu ensuite, ayant d’autres exemples d’élus condamnés, puis finalement adoubés par leur électorat, une fois leur peine écoulée, à droite comme à gauche. L’inégibilité est fixée un temps, par le juge, un élu pouvant avoir une deuxième ou une troisième vie politique. Alors qu’un fonctionnaire ne le peut, car étant révoqué. C’est heureux pour certains, pas pour d’autres. Il a été élu trente-cinq ans maire et vingt-cinq ans député, au travers cinq mandats. Même encore en prison, Balkany pouvait être candidat le 15 mars, la peine n’étant pas exécutoire, lui ou Isabelle Balkany, toujours éligible. Patrick Balkany en aurait été capable, lui toujours hâbleur, tchatcheur, provocateur, séducteur, battant comme à son procès, attirant l’attention médiatique sur lui, alors qu’après tout, il n’est que le maire de Levallois-Perret. Il coche toutes les cases. Il séduit ou exaspère, mais ne laisse personne indifférent. C’est blanc ou noir, à l’image d’une personnalité comme Bernard Tapie. Mais cette fois-ci, nous le savons, ça ne sera pas le cas, il ne se représentera plus, les problèmes de santé de Patrick Balkany étant vraisemblablement la cause principale du retrait du couple. Il va y avoir ce 2e procès. A l’étranger, tous leurs biens ont été saisis et on attend le 2e jugement pour avoir les saisies définitives. Mais ce qui est sûr, c’est qu’une page s’est tournée.

                                                                                                                                                                                                                                     J. D.


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