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Un virus mortifère. Eyal Dadon chorégrahie la Danse de Salomé au Theater-am-Gärtnerplatz.

Publié le 02 mars 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

Un virus mortifère. Eyal Dadon chorégrahie la Danse de Salomé au Theater-am-Gärtnerplatz.

Crédit photos : Marie-Laure Briane

Après un fulgurant parcours de danseur,  Eyal Dadon, né en 1989 à Beer Sheva en Israel, est devenu depuis 2016  le directeur artistique et le chorégraphe de la Sol Dance Company. Le Théâtre de la Gärtnerplatz l'a invité à Munich où il présente son spectacle Salome Tanz, qu'il met en scène dans le monde virtuel des jeux vidéos auquel il joint des éléments d'interactivité : dès avant le spectacle, le public était invité à en orienter le cours  en répondant via internet à des questions parfois surréalistes (Ketchup ou Mayonnaise?). Le soir du spectacle il reçoit des cartes bifaces qui lui permettent d'influer sur le déroulement de la soirée en votant à main levée. 
Le spectacle commence par une projection vidéo sur le rideau d'avant-scène : une multitude d'écrans pivotants se rassemblent pour composer l'image de la tête d'un homme barbu au cou tranché qui, vu le titre du spectacle, évoque nécessairement  le Baptiste, qui se livre ici à un acte d'auto-cannibalisme. Il semble détacher des fragments de chair de son cou qu'il porte à sa bouche. 

Un virus mortifère. Eyal Dadon chorégrahie la Danse de Salomé au Theater-am-Gärtnerplatz.

Le choix du public. Joel Di Stefano donne la procédure du vote.

Le rideau se lève et nous introduit dans le monde virtuel d'une console vidéo. Le jeu va se jouer accompagné de diverses musiques dont la principale est la Kammersymphonie (symphonie de chambre) pour 23 instruments solistes que composa Franz Schreker en 1917, à laquelle viennent s'ajouter des musiques de John Cage et Caroline Shaw. Un protagoniste barbu se voit attaqué par des multiples danseurs vêtus des pieds à la tête de combinaisons collantes blanches grillagées d'un filet noir, une version en blanc et noir du costume de Spider-Man (costumes très réussis de Bregje van Balen). Comme dans les premiers jeux vidéos, il s'agit pour le protagoniste d'éviter ou de supprimer ses attaquants. Le grand jeu de la vie et de la mort est filmé par un cameraman (vidéos de Thomas Mahnecke et  Christian Gasteiger), avec une projection instantanée sur les toiles encadrant le fond de scène. Les danseurs explosés s'en vont mourir en coulisses. Entre les tableaux du spectacle, des questions simples sont soumises au choix du public (du type : le personnage doit-il s'agenouiller ou danser / est-ce la femme ou l'homme qui doit mourir ?), mais le jeu de l'interactivité ne nous a pas semblé apporter grand chose au spectacle. Le procédé est usé et le scénario trop flou, trop éloigné de celui de Wilde auquel il se réfère pour que le public se prête véritablement au jeu.
Le public est cependant assez cultivé pour retrouver dans la chorégraphie des éléments empruntés à l'histoire bien connue de Salomé telle qu'elle fut portée au théâtre par Oscar Wilde puis à l'opéra par Richard Strauss. La Salomé d'Eyal Dadon n'est cependant plus un personnage unique identifiable, elle se disperse dans la chorégraphie comme un virus mortifère venu infecter un jeu vidéo. Au cours d'une interview, Eyal Dadon faisait justement remarquer que dans les jeux vidéos la mort et le meurtre laissent les joueurs complètement indifférents, le monde virtuel du jeu se peuple de cadavres qui disparaissent aussitôt sans qu'on en soit affecté. A-t-il voulu y insister en donnant le vote au public ? Et le public se rend-il compte que, à l'instar des spectateurs des jeux du cirque romains, la carte qu'il tient à la main décide de la vie ou de la mort des personnages dansés ? 

Un virus mortifère. Eyal Dadon chorégrahie la Danse de Salomé au Theater-am-Gärtnerplatz.

Pas de deux. David Valencia et Isabella Pirondi.

La beauté du spectacle tient tant à l'idée maîtresse qu'il véhicule qu'aux inventions chorégraphiques d'Eyal Dadon. Il crée des mouvements d'une plasticité élastique étonnante, les danseurs semblent doter d'une motilité d'une fluidité toute caoutchouteuse, notamment lors d'un impressionnant pas de deux. Les ensembles sont parfois captivants, malgré des passages à vide fort répétitifs et qui deviennent un peu lassants lorsqu'on a compris le propos. Les danseurs livrent tous de remarquables performances et l'on reste pantois face à l'exercice d'endurance d'un spectacle de 80 minutes qui se déroule sans entracte. L'excellence de l'orchestre du Teater-am-Gärtnerplatz placé sous la direction de Michael Brandstätter a été particulièrement saluée au moment des applaudissements.
Jusqu'au 22 avril (six représentations restantes). Cliquer ici accéder à l'agenda et aux réservations.

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