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Portrait d'une soprano wagnérienne par Henry Céard

Publié le 02 mars 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco
Je ne résiste pas au plaisir de vous recopier le portrait de Madame Trénissan, une soprano amie du protagoniste du roman Terrains à vendre au bord de la mer d' Henry Céard, que je vous présentais dans un post récent : https://munichandco.blogspot.com/2020/02/terrains-vendre-au-bord-de-la-mer-de.html. Une lecture qui m'amuse beaucoup. Ainsi de ce passage :
Portrait d'une soprano wagnérienne par Henry Céard
" Soprano à la voix éclatante et profonde, par sa carrure et sa prestance, Mme Trénissan se flattait de ressembler à ces cantatrices wagnériennes vastes génératrices de sons, hautes à l'égal des colosses, puissantes à la façon des locomotives et que la musique entoure d'une telle immensité d'atmosphère que l'exagération de leur taille diminue parmi l'ampleur des harmonies : ainsi les silhouettes des individus se rapetissent devant l'énormité des horizons et des mers. Au-dessus de toutes les autres partitions de Richard Wagner, elle plaçait Tristan et Yseult. De toutes les héroïnes d'amour et de sacrifice sorties de la géniale imagination du compositeur et du poète, elle préférait éperdument Yseult. Ce rôle, elle l'étudiait sans cesse, elle s'insinuait en lui, elle l'identifiait à sa personne ; et désespérant de le chanter jamais sur un théâtre, toutes les fois qu'elle le pouvait, elle le chantait, gratuitement, dans les concerts.
Quand, au milieu des salles bondées des spectateurs, elle apparaissait sur l'estrade, parmi les musiciens, et que les lampes électriques étincelant plus fort à son entrée, le chef d'orchestre frappait sur son pupitre pour commander le silence, elle était transportée d'extase. Ses nerfs à l'unisson vibraient sous les archets caressant les chanterelles ; et quand, après une longue attente, sa voix enfin se mêlait aux instruments, elle se sentait soulevée hors d'elle-même, hors du monde, surhumaine, immatérielle, transfigurée ! L'exécution terminée, elle redevenait une femme sage, méthodique, surveillant sa cuisinière, comptant avec ses métayers, ne laissant point passer la date d'échéance de ses coupons de rentes et fort préoccupée du salut de son âme. Elle ne dédaignait ni la société ni le plaisir. Facilement provoquée à la gaieté, pareille aux religieuses, elle riait volontiers des plaisanteries les plus simples. "
Et, quelques paragraphes plus loin :
" Mme Trénissan quittant sa toilette de voyage, dans les compartiments nombreux de sa malle apportée par Baluche avait choisi une robe blanche, coupée à la façon d'un costume de théâtre. Nulle main servante de mauvais désirs ne semblait devoir jamais soulever l'étoffe de la jupe souple et sévère qui tombait chastement, avec des plis tels qu'on en voit aux sculptures. Une écharpe, blanche aussi, descendait de son cou, flottait, sur son corsage. Tête nue, ses cheveux blonds seulement relevés sous un grand peigne d'or, quand elle s'avança, Malbar éprouva l'illusion qu'il se trouvait en présence de l'Yseull du poème, majestueuse et idéale, traversant en souveraine lès plaines harmonieuses de lajner. Comme dans la partition dont il connaissait par coeur le détail des mouvements et leurs moindres nuances, Yseult confondue en Mme Trénissan lui paraissait arriver toute en noblesse sur les vagues fleuries de soleil. "

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