Au cœur d’une telle crise, il existe toujours un double risque, sanitaire bien sûr, que nous ne pouvons prendre à la légère, mais aussi social, politique et éthique.
Rien de pire que les grandes peurs… Alors que l’épidémie –utilisons désormais l’expression consacrée– déstabilise nos sociétés, reconnaissons qu’une sensation étrange nous étreints et nous oblige. Le coronavirus pousse au grand ralentissement, l’économie globalisée, les voyages ou les manifestations culturelles et sportives, bref, la vie sociale ordinaire. Avec l’inexorable passage au «stade 3», la France n’échappe pas à des mesures d’une exceptionnelle rigueur dont nous ne présageons pas de l’ampleur éventuelle. Imaginait-on que le nord de l’Italie serait confiné et que 16 millions de nos voisins se retrouveraient coupés du monde, à l’instar des décisions liminaires de la Chine?
Est-ce «trop», «exagéré»? Chez de nombreux épidémiologistes de renommée internationale, l’inquiétude prédomine dans la mesure où, affirment-ils, la pandémie qui ne veut pas dire son nom est incomparablement plus meurtrière que la grippe saisonnière et justifierait les choix actuellement observés. Dès lors, comment lutter contre toutes les formes de cette psychose que nous constatons avec incrédulité et gravité? Reconnaissons-le, au cœur d’une telle crise, il existe toujours un double risque, sanitaire bien sûr, que nous ne pouvons prendre à la légère, mais aussi social, politique et éthique. Vigilance, donc, si nous voulons que notre boussole républicaine s’impose à tous.
Primo: empêchons les stigmatisations de certaines personnes. Secundo: prenons en compte les plus fragiles, d’un point de vue médical comme social, en assurant l’accès à la santé des plus démunis. Tertio: rappelons sans relâche l’exigence démocratique afin que ne puisse se justifier une quelconque limitation des libertés publiques.
Et pendant ce temps-là? Ne négligeons rien, et exhortons les forces vives du pays – faute de pouvoir influencer les médias dominants – à ne pas perdre de vue les combats qui nous constituent. N’oublions ni la bataille pour l’avenir de nos retraites, qui n’est pas achevée, loin s’en faut; ni le sort des migrants aux portes de l’Europe forteresse, victimes des haines conjuguées et de la xénophobie galopante. N’oublions pas, aussi, que nous votons, dimanche prochain, pour des élections municipales dont l’organisation devient un casse-tête dans toutes les communes. Si l’épidémie de coronavirus provoque, de fait, une sorte de frein brutal à certaines de nos activités, il serait irresponsable, par les temps qui courent, qu’elle réduise la portée de nos engagements citoyens.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 9 mars 2020]