Le gouvernement a décidé en juillet 2019 de dérembourser progressivement les préparations homéopathiques en faisant passer leur taux de remboursement de 30% à 15% en 2020, puis de 15% à 0% en 2021 (elles étaient même remboursées jusqu’à 90% en Alsace Moselle). En octobre 2019, alors que les décrets d’applications venaient d’être publiés au journal officiel, les deux principaux laboratoires français spécialisés dans l’homéopathie ont annoncé saisir le conseil d’Etat pour obtenir gain de cause quant à cette décision contraire à leurs intérêts.
A l’origine du processus qui a conduit à cette décision se trouvent 124 médecins du collectif Fakemed (fondé en association loi 1901 en mai 2018), qui a rédigé en mars 2018 une tribune à l’encontre des médecines non conventionnelles. Elle demandait pour l’homéopathie, en l’absence de preuves scientifiques sur son efficacité, son déremboursement total, ainsi que ne plus reconnaitre les diplômes du domaine comme diplômes ou qualification médicale. Cette tribune avait été publiée le 19 mars 2018 dans « Le Figaro ».
L’entrée de l’homéopathie au catalogue des prestations remboursées par la sécurité sociale a été pour le moins dirigée. En matière médicale, la règle est que tout ce qui est financé par la solidarité nationale est d’abord évalué par la Haute Autorité de Santé, qui renouvelle son avis sur le service médical rendu tous les cinq à dix ans pour la grande majorité des traitements. Les médicaments homéopathiques y ont échappé. En 1984, la ministre des Affaires sociales de l’époque (NDLR : Georgina Dufoix, PS), décidait de son remboursement à 65% sans passer par cette procédure. Cette décision sans évaluation préalable permit au groupe familial lyonnais Boiron de se développer sur son territoire national (60% de son chiffre d’affaire), puis de devenir le leader mondial du secteur. Ce taux de remboursement fut cependant diminué en 2003 à 35 % puis à 30 % en 2011.
Un combat informationnel viral pour mobiliser l’opinion et cristalliser la polémique
Le cardiologue Jérémy Descoux, à la tête du collectif Fakemed en juin 2019 présentait les membres de ce dernier comme suit : « Ce sont des médecins actifs dans la sphère internet et impliqués dans la lutte pro-sciences. » L’idée est d’ailleurs venue « d’un groupe de médecins qui échangeaient beaucoup sur Twitter ». Ceux-ci réagissent savent efficacement réagir par média-social interposé lorsque début avril 2018, pas moins de deux semaines après la publication de leur tribune, les pro-homéopathie, laboratoires et praticiens lancent une campagne « Mon Homeo, mon choix ». Ils enclenchent immédiatement une campagne virale utilisant le mot-clef Twitter #MonHariboMonChoix, et font parfaitement jouer aux média sociaux leur rôle de caisse de résonance.
Tandis que le slogan du lobby de l’homéopathie fait clairement appel au champ des libertés individuelles, le mot clef #MonHariboMonChoix agit parfaitement en miroir du slogan initial, le tourne en dérision (et le retourne) tout en appuyant le message du collectif. De manière très évidente, le lobby de l’homéopathie ne cherche pas la confrontation sur le champs scientifique, champs sur lequel sa position est extrêmement délicate, et qu’il évite soigneusement, mais cherche bien à mobiliser le public sur un parti pris, au nom de la croyance personnelle et de la défense des libertés individuelles, soit-il arbitraire, soit-il réfuté par la science. Dans ce domaine, force est de constater que le seul discours audible avancé par les pro semble bien éloigné de considérations scientifiques pourtant requises et se faisant attendre pour défendre l’homéopathie : 50% des français en ont déjà pris (preuve sociale), 3 personnes sur 4 y croient (respect de la « croyance » populaire), le remboursement de l’homéopathie « coût faible pour l’assurance-maladie puisqu’il a représenté 0,29% des remboursements de médicaments en 2016 (Boiron) » (coût marginal dont il ne serait pas utile de se soucier).
Positionnement des institutions : le préalable à la décision politique
La tribune publiée par le collectif des 124 médecins demandait au Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) d’œuvrer pour le déremboursement de l’homéopathie, actuellement prise en charge à hauteur de 30 %. Ce dernier, s’estimant incompétent pour juger de l’efficacité scientifique de ces produits et de leur éventuel déremboursement, a demandé à l’Académie nationale de médecine et au ministère de la Santé de se saisir du sujet. En 2004, l’Académie de médecine avait déjà demandé le déremboursement de l’homéopathie. En 2017, l’Académie des sciences européenne a estimé qu’il n’y avait aucune preuve scientifique de l’efficacité de l’homéopathie (hors effet placebo), en y voyant une pratique dangereuse car inefficace et source de retard dans l’initiation d’un traitement actif. L’avis rendu par l’académie nationale de médecine et de l’académie nationale de pharmacie rendu le 28 mars 2019 recommande, à nouveau, « qu’aucune préparation homéopathique ne puisse être remboursée par l’assurance maladie tant que la démonstration d’un service médical rendu suffisant n’en aura pas été apportée ».
Saisie le 1er aout 2018 par Agnès Buzyn, Ministre de la santé, la Haute Autorité de Santé rend à l’été 2019 son évaluation indépendante et estime, après analyse de 800 études sur le bénéfice pour les patients, que ces granules ont une efficacité équivalente à un placebo. C’est sur cet avis, lequel n’avait pas été sollicité en 1984, que la ministre de la Santé fonde sa décision, de dérembourser progressivement l’homéopathie jusqu’en 2021. Ni l’intervention inattendue de Xavier Bertrand dans le débat, ni celle, plus prévisible, de Gérard Collomb (Les Laboratoires Boiron sont implantés à une vingtaine de kilomètres de Lyon, à Messimy) n’auront voix au chapitre dans la décision de la Ministre,. Dans une interview sur ce sujet au journal Le Parisien, elle précise « Je suis la ministre de la Sécurité sociale, dont l’argent n’a pas vocation à soutenir des entreprises même si elles sont françaises », faisant écho aux motifs qui poussèrent à rembourser l’homéopathie à partir de 1984.
L’homéopathie : une pratique qui a su faire sa place
Si l’homéopathie a pu échapper si longtemps à une évaluation de la Haute Autorité de Santé (et si l’on fait abstraction de la décision politique de ne pas l’y soumettre en 1984), c’est qu’en France, les préparations homéopathiques bénéficient d’ajustements réglementaires particuliers : elles sont exemptées d’autorisation de mise sur le marché (laquelle comprend une évaluation de l’efficacité thérapeutique) et ne sont soumises qu’à simple enregistrement formel (L. 512 1-8 et L.512 1-13 du code de la Santé).
En Allemagne, où l’homéopathie a vu le jour en 1879 (Samuel Hahnemann), la situation comporte d’intéressante similitudes. L’homéopathie y bénéficie également d’un régime dérogatoire, elle ne fait pas l’objet d’un suivi au même titre que les préparations allopathiques. Interrogé à l’automne 2019 sur le sujet lors d’une rencontre avec la presse, le ministre de la Santé allemand Jens Spahn rappelait que les caisses publiques d’assurance maladie remboursaient quelques 40 milliards d’euros par an contre 20 millions pour l’homéopathie. « On pourrait discuter du sujet de façon passionnée et braquer beaucoup de gens. Ou se demander si, compte tenue de cet ordre de grandeur, ça vaut vraiment la peine d’en débattre, » a-t-il déclaré, en ajoutant que la situation était « bien comme ça ».
Depuis 2018, quelques 70 des 124 signataires de la tribune publié dans Le Figaro ont été poursuivis pour « non-confraternité » devant l’Ordre des médecins par le Syndicat des homéopathes (SNMHF) et ont écopé de sanctions (blâme, suspension temporaire etc.). En somme, s’il leur a été donné raison par toutes les instances sur le plan scientifique, l’Ordre les sanctionne sur le plan professionnel.
Maxime Zeller
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