À Louis II de Bavière - Papiers collés
Ce jeune garçon sur la tête de qui on a posé une couronne, Cet enfant qui ne sait rien de la vie, S’ennuie dans le vaste château de ses pères, Et la nuit, quand ses courtisans dorment, Il demande un cheval et erre Dans la campagne silencieuse et déserte, À la recherche de l’imprévu, Comme un gendarme À la recherche d’un malfaiteur.
Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, sire Éblouissant Lohengrin des premières années Géant angélique aux traits purs et aux yeux d'un bleu magnifique Des yeux couleur de mer et de mélancolie Qui semblaient regarder dans l'invisible. Ses cheveux épais, ondulés et sombres, Son nez droit et sa bouche Parfaitement dessinée Il avait l'air à la fois d'un jeune homme et d'une jeune fille. L’Europe embourgeoisée et féminine tant Néanmoins admira ce Louis de Bavière
Et les femmes de Munich lui sourient Et les jeunes archiduchesses croient savoir ce que c'est l'amour, Et les princesses des légendes romantiques d'alentour Ajustent leur altière beauté pour mieux envoûter son charme !
Un roi passe indifférent dans son carrosse au long de l'Isar
Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, sire Roi vierge au grand cœur pour l’homme seul battant.
Malédiction de venir au monde pour devoir le remettre en ligne Malédiction de ces corps perdus au loin qui te font signe ! Ni fille ni garçon, des yeux échappés au cloisonnement humain, Des mains étanches faites pour caresser les chairs mitoyennes
Maintenant toutes les femmes ont été chassées de ma vie Mon cœur est brûlé depuis longtemps par d'ineffables amours
Pénétrer l'intimité de cette âme qui jamais ne livra son secret. Roi de lui-même et de son rêve. Roi vierge et martyr Que nulle union féminine n'accouple
Puis viennent les amours qu'escortent les misères Que déjà l'on allègue, ou dont on parle bas,
Grâce auxquelles le Dieu ne se mariait pas !
Ces grelottantes étoiles de fausses femmes dans vos lits
Décor de luxe et de fête Débauches d'une imagination meurtrie Que fait à ces yeux réprouvés comme un puits L'équivoque printemps des peaux trop de fois vues ? Débauche mentale et rêve physique
De suavités et de cruauté.
Tous les raffinements les plus alambiqués
Sont, aux grossièretés sans bornes, mélangées ;
Les naturelles lois sont toutes dérangées ;
Le contingent mignon des chanteurs, et des Kainz,
Cède aux chevau-légers, aux valets, aux coquins, Bref, un Capri contemporain
Tyran délicieux, despote féminin ;
Monstrueusement vierge et chastement obscène.
Statue énigmatique aux attraits mi-voilés
D'extase et de folie, et d'amour étoilés.
Hermaphrodite beau, Narcisse légendaire La folie de commettre un péché, démesure De ses désirs d'hommes
Lire dans son regard les extravagances de sa pensée. Esthète dément, Qui dormit sa vie dans un rêve d'art, Sublime et coupable. Solitaire somptueux, Son corps grand et lourd n'a plus l'allure d'éphèbe De ses jeunes années
Il se réveille de la vie, La tête Hors des eaux dormantes Qui vont le recouvrir Nageur mort Tragique sabbat où la Nuit et les Mânes lui ont ravi le coeur
Près d'un château sans châtelaine La barque aux barcarols chantants Voguait cygne mourant sirène Un jour le roi dans l'eau d'argent Se noya puis la bouche ouverte Il s'en revint en surnageant Sur la rive dormir inerte Face tournée au ciel changeant
Caerula linter ad libertatem sic fuit unda tibi Les flots t'ont servi de vaisseau vers la liberté
---------------------------------------------------------------------------------
Collage réalisé à partir de fragments textes d'Albert Wolff, d'Edmond Jaloux qui cite Édouard Schuré, de Paul Verlaine, de Gabriele d'Annunzio, de Jacques Bainville, de Robert de Montesquiou, d'un poème du Décadent faussement attribué à Louis II, d'Anatole France, de Louis Le Cardonnel, de Noel Richard, de Guillaume Apollinaire, de Robert Goffin, de Nicole Louvier, de Georges Zouba et de Karl Heinrich Ulrichs.
----------------------------------------------------------------------------------
J'ai réalisé ce collage ce matin en me souvenant de la technique des papiers collés que Georges Braque et Pablo Picasso avait mise au point en 1912. J'ai utilisé des fragments homoérotiques des poésies à paraître dans le recueil Le Roi Louis II de Bavière dans la poésie française, qui sera disponible dans les tous prochains jours.
L'idée m'en est venue alors que je venais d'apprendre la mort de Daniel Dumont, décédé dans la nuit de dimanche à lundi des suites du corona-virus. J'avais rencontré Daniel il y a de cela une quarantaine d'années à Bruxelles et me souviens de son extraordinaire gentillesse, de sa tolérance, de la finesse de son humour, de sa bonhomie, de sa disponibilité et de son soutien amical dans les moments difficiles. Il était rapidement devenu un personnage et une légende dans la communauté LGBT. Par la suite nous avions pris d'autres chemins mais parfois il surgissait à Hambourg, Cologne ou Berlin. La camarde s'est emparée de cet homme plein de vie et c'est une énorme tristesse. Daniel était secrétaire de l'European Confederation of Motorcycle Clubs et Président du MSC Belgium. Pour lui, pour ce Prince à sa manière, pour sa mémoire, ce poème à Louis II de Bavière.
Luc-Henri Roger, Le Roi Louis II de Bavière dans la poésie française,
BoD, 2020. ISBN 9782322208371