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Annemarieke van Drimmelen : la photographie comme langue maternelle

Publié le 27 mars 2020 par Les Lettres Françaises

Annemarieke van Drimmelen : la photographie comme langue maternelleEn vitrine de l’excellente librairie La Nouvelle Chambre Claire (3, rue d’Arras, 75008, Paris), un livre se détache : Tadaima d’Annemarieke van Drimmelen aux éditions Libraryman. L’élégance de la couverture saute aux yeux. Sur une reliure de tissu d’un bleu d’une sombre profondeur, une photographie en noir et blanc d’un torse nu de femme surplombe le titre et le nom de l’artiste. Cette image présente une poitrine, un ventre, des bras dont les mains cachent le sexe. La chair est magnifiée par les contrastes et le cadrage : ce corps est fait pour la volupté. « Tadaima » est un mot japonais qui, comme me le dit René de Ceccatty, « signifie juste maintenant et c’est ce qu’on dit en rentrant à la maison. Je suis rentré ! Ou c’est moi ! Et ça s’adresse à ceux qui sont déjà là. » Le livre s’annonce poliment en s’introduisant chez le lecteur. De fait, un lien intime s’établit avec les œuvres.

Tadaima est le premier ouvrage d’Annemarieke van Drimmelen. Née à Amsterdam en 1978, elle s’est fait connaître comme photographe de mode pour Vogue ou M Le Monde et elle a suivi les collections de Chloé, Armani, Massimo Dutti, Hugo Boss ou Prada. De ce travail, je ne dirai rien, me sentant peu compétent pour en juger, sinon qu’il révèle une belle recherche sur le mouvement ainsi qu’une attention soutenue sur les visages. Des nus se glissent dans les séries comme ce Details of Drake qui présente en couleur des fragments de bras et de jambes dans un cadrage si serré que la composition devient abstraite. On peut découvrir ces œuvres sur son site (www.annemariekevandrimmelen.com). Mais Annemarieke van Drimmelen développait dans le même temps des projets plus personnels dont Tadaima est le premier aboutissement.

Ouvrons le livre. « Et les fruits passeront la promesse des fleurs », comme disait Malherbe. Avant même de tenter de trouver d’une photographie à l’autre un fil conducteur qui serait de sens ou d’esthétique, on est d’abord frappé par la variété de ce qui s’offre au regard : le plus souvent la nudité de corps féminins, des lits défaits, des cactus, une chaise longue vide, des paysages, des pierres, des images abstraites ; un noir et blanc qui sait être suave mais avec une pointe de douce mélancolie, des couleurs étouffées et jamais criardes. Il n’y a pas de bruit dans ces images sinon peut-être celui du vent, des draps froissés…

Pourquoi le bleu ? Le site de la librairie le précise : « Le bleu était la couleur préférée de sa mère. Un bleu très foncé. En imprimant à la main des cyanotypes (ou des tirages bleus ; une technique inventée en 1800, par Anna Atkins, une botaniste britannique qui est également considérée comme la première femme photographe). Pour Tadaima, Annemarieke s’est efforcée de se rapprocher le plus possible du bleu de sa mère. » Ces cyanotypes rythment le livre. Il est dédié à sa mère, Ineke, et on peut lire ce court texte, en anglais, daté de juin 2019 : « Je me souviens de tes mains. Elles avaient l’air si fortes. Elles enserraient ton petit appareil, tes ongles étaient rouges. Toujours rouges. / J’aimerais pouvoir me souvenir de ton visage aussi bien que de tes mains. Mais dans ma mémoire, tes yeux sont cachés derrière l’objectif. / La moitié de ton sourire parfois visible à travers tes mains. / J’aimais tellement quand tu me prenais en photographie. » Le premier appareil photographique d’Annemarieke van Drimmelen fut celui de sa mère, dont elle a hérité à dix ans après la mort de celle-ci. C’est ainsi qu’elle s’est mise, très tôt, à cet art en prenant des clichés qui devaient constituer comme un journal intime. Tadaima s’est ainsi construit, bien des années plus tard, à partir d’errances entre l’Arizona, la Californie, Paris et Amsterdam. La fille orpheline est devenue mère et une œuvre représente le ventre rond. Les seins sont très présents, qui renvoient bien sûr à la maternité mais offrent aussi, avec les autres nus, une sensualité aussi forte que délicatement pudique.

Si la mélancolie est bien présente au fil de ces pages, Tadaima est sans pathos. L’hommage à la mère morte n’est pas conçu pour apitoyer ou faire pleurer. Il sublime la douleur. Il sublime l’héritage de la mère, mais rend également hommage au père avec une photographie de ses mains. Il montre la vie telle qu’elle s’écoule au fil des jeux de lumière. L’utilisation de la couleur ou du noir et blanc est subtil, léger, aérien. Tadaima est un livre d’une grande réussite, qui provoque des sentiments élégants et surtout une forte émotion esthétique.

Franck Delorieux

Annemarieke van Drimmelen, Tadaima
24,5 cm x 30,5 cm. 80 pages. 69 color plates.

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